Non, les Verts ne supplanteront pas les Sociaux démocrates

Depuis quelques mois, une petite musique se fait entendre de façon persistante à gauche. Elle est bien évidemment savamment entretenue par nos amis Verts mais également par des analystes tout à fait indépendants. A les écouter, nous serions à la veille d’un profond bouleversement politique dans le camp progressiste : la social démocratie arriverait en fin de cycle et la décennie qui vient serait celle de son remplacement définitif par les Verts en tant que force motrice du centre gauche face aux libéraux, aux conservateurs et aux populistes.

Sur le papier, cette thèse parait crédible. Les dernières élections européennes, qui ont vu les Verts augmenter leur score de plus de 4 points en 5 ans, témoignent d’une vague de fond à l’échelle du continent. La progression n’est pas forcément spectaculaire mais elle est régulière et se vérifie également lors des élections nationales. Dans le même temps, la social démocratie est plutôt à la peine en ne maintenant sa domination que dans des zones circonscrites grosso modo aux pays nordiques et à la péninsule ibérique. D’autre part, l’enjeu lié au changement climatique est à juste titre devenu l’une des principales préoccupations des électeurs européens ce qui, fort logiquement, crée des opportunités nouvelles pour les Verts.

Toutefois si l’on analyse les choses dans le détail, il reste encore énormément de défis à relever pour les Verts si ils souhaitent caresser l’espoir de devenir la première force progressiste et on peut se risquer à dire qu’il est peu probable qu’ils parviennent à supplanter la social démocratie dans un futur proche.

En effet, en observant la carte des résultats obtenus par les Verts, on se rend bien compte que leurs succès récents ne concernent qu’un nombre limité de pays qui présentent tous la même caractéristique : un produit intérieur brut supérieur à la moyenne européenne. De fait, le vote vert demeure très faible dans les pays méditerranéens ainsi qu’en Europe de l’est quand la social démocratie, même affaiblie, maintient une présence importante dans toutes les zones géographiques en restant bien souvent la principale force d’opposition. De là à dire que le vote Vert est en corrélation avec le niveau de vie élevé de l’électorat, il n’y a qu’un pas… qui sera aisément franchi en s’intéressant cette fois à la sociologie électorale à l’intérieur même de chaque pays. L’Allemagne est un exemple de choix, d’autant plus significatif que le vote Vert y est enraciné depuis plus longtemps qu’ailleurs. Une étude portant sur les élections de 2017 montre que les six principaux partis se répartissent en quatre niveaux selon la composition de leur électorat : l’AfD et les Linke obtiennent leurs meilleurs scores au sein des classes populaires, l’électorat SPD se partage principalement entre les classes populaires et les classes moyennes inférieures, celui de la CDU est assez homogène parmi les classes moyennes quand le FDP et les Verts performent essentiellement au sein des classes moyennes supérieures.  Le vote Vert est donc concentré dans l’éventail supérieur de l’échelle des revenus, aussi bien d’un point de vue géographique qu’à l’intérieur de chaque pays.

Historiquement, lorsque la social démocratie gagne les élections, c’est toujours parce qu’elle a réussi à bâtir une coalition électorale réunissant les classes populaires et les classes moyennes. A contrario, l’une des raisons de son recul récent tient à ses difficultés à reconquérir ces mêmes classes populaires lorsqu’elles sont malheureusement séduites par les sirènes du populisme. Il est donc difficile d’imaginer que les Verts seraient en mesure de construire une stratégie victorieuse simplement à travers le support d’un petit segment de la population, plutôt urbain, plutôt jeune, plutôt diplômé et de classe moyenne tout en faisant quasiment totalement l’impasse sur les classes populaires. D’ailleurs, force est de constater que lorsque les Verts deviennent ponctuellement la première force de gauche, ils ne tiennent pas la distance à moyen terme. Lors des dernières législatives néerlandaises, les Verts avaient réalisé une spectaculaire percée, confirmée ensuite par les municipales, avec notamment la conquête d’Amsterdam pour la première fois. Je me hasardais cependant à pronostiquer qu’ils avaient atteint leur plafond de verre, ce qui semble se vérifier depuis quelques mois avec une remontée sensible du Parti Travailliste à leurs dépens. Le fait est que – même si les choses peuvent changer – la coalition inter classe menant traditionnellement la gauche à la victoire n’est pour l’instant pas accessible aux Verts et ce constat semble présent partout.

Pourquoi ce rejet des Verts auprès des classes populaires ? Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une préoccupation moindre de la part des plus modestes pour les questions environnementales, les enquêtes montrant au contraire une faible différence entre les classes sociales concernant la perception des enjeux climatiques et énergétiques. On pourrait cependant avancer d’autres explications. Les Verts sont généralement le parti qui succombe le plus à la tentation de placer les questions sociétales au premier plan devant les questions sociales et ils se situent presque toujours sur une approche très « multiculturaliste » en terme d’intégration et d’identité. Dans le même temps, on constate une évolution – en Allemagne notamment – de leur positionnement économique et social qui devient davantage compatible avec l’approche libérale, d’où des alliances avec la droite dans certains Länder, alliance d’ailleurs envisagée à l’échelon fédéral. Or, les classes populaires sont au contraire plutôt à gauche sur le plan économique mais bien plus conservateurs que les Verts sur les questions sociétales. D’où le hiatus actuel…

Il est donc encore tout à fait logique de considérer que la reconquête du pouvoir par la gauche semble toujours devoir passer par la social démocratie en tant que force motrice du camp du progrès. C’est d’ailleurs le cas dans tous les pays où la gauche est actuellement au pouvoir : le Premier Ministre est un social démocrate au Portugal, comme au Danemark, en Finlande ou en Suède. Il est, notamment dans les deux derniers pays cités, à la tête d’un gouvernement dont les Verts font partie. Aujourd’hui, et c’est une bonne chose, les Sociaux Démocrates n’ont plus grand-chose à envier aux Verts en terme de prise de conscience des enjeux environnementaux et un parti social démocrate ne pourra plus gagner sans un programme solide sur ce point. Le retour au pouvoir ne se fera que sur une coalition victorieuse qui ne pourra qu’inclure les classes populaires. Pas seulement parce que c’est la seule stratégie efficace mais aussi parce que la priorité donnée aux plus fragiles fait partie de l’ADN de la gauche.

 

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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3 Commentaires

  1. Je comprends que vous mettiez votre argumentation au service de la sociale-démocratie mais malheureusement celle-ci en France n’existe plus, ne présente ni de candidats ni de programme la représentant et motivants, elle est molle et floue, flirtant avec l’ultra-libéralisme. 127 députés ex-socialistes à la LREM, le groupe majoritaire, qui ont oublié qu’il y a social dans socialisme et que la clé de voûte de la démocratie est la laïcité sans laquelle l’application de la devise républicaine est impossible,ex-socialistes prêts à ouvrir les élections à la théocratie.
    Si je partage votre vision de la sociologie des verts français, des bobos urbains diplômés,cherchant plus à satisfaire leur propre confort qu’à le partager, cette donne change avec l’arrivée des « fin du mois, fin du monde », (+ 5%) venus de la dispersion des GJ, de la classe populaire provinciale, sensibles à l’écologie de terrain (pollution atmosphérique par les camions, maltraitance de la faune, de la flore, pour une nourriture saine du terroir..). Les verts commencent à tenir compte de ces nouveaux venus et se politisent en vue d’accéder aux responsabilités. Espérons qu’ils seront capables de construire un programme réaliste de changement de système sans revenir à leurs divisions et capables de présenter un candidat plausible aux présidentielles qui permettrait de sortir du chantage Macron, moi et ma révolution vers le tout privé, actionnaires ou le chaos Le Pen. Selon moi, verts seront les grands gagnants des municipales, du silence des sociaux démocrates.

  2. Pour cela, il faudrait qu’EELV, Y. Jadot, D. Corman… sortent du discours l’écologie n’est ni de droite ni de gauche et reviennent à des positions qui, sans oublier les défis climatiques et environnementaux place au cœur du programme la lutta contre les inégalités. Et qu’ils se souviennent que des écologistes se positionnent aussi à droite, très à droite, voire à l’extrême droite: faut-il, par exemple, rappeler les origines pétainistes des créateurs de La vie claire? et le GRECE, et Alain de Benoist, et « l’écologie intégral », Eugénie Bastié, Marianne Durano, Gaultier Bès de Bercn et « l’écofascisme »… « Sauvez les abeilles, pas les réfugiés ». Allons, encore un effort. Il y a loin de l’écologie à la social-démocratie. On peut toujours relire les deux pages consacrées à la question dans « Le Monde » du 5 octobre 2019.

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