Nette percée de l’extrême droite au Portugal

L’impermanence est une loi en politique et la roche tarpéienne n’est jamais très éloignée du Capitole. Il y a seulement deux ans, le Parti Socialiste portugais obtenait une victoire probante en raflant une majorité absolue après deux législatures de gouvernements minoritaires. Antonio Costa, c’était la gauche qui gagne et surtout celle qui confirme, une rareté en Europe. Rien ne laissait d’ailleurs présager que les élections suivantes pourraient avoir lieu avant terme puisque, fort d’une stabilité parlementaire appréciable, le gouvernement Costa était a priori à l’abri jusqu’en 2026. Mais, comme hélas encore trop souvent dans l’histoire de la vie politique dans la péninsule ibérique, les Socialistes allaient voir ressurgir les vieux démons des affaires et de la corruption. Plusieurs scandales allaient ainsi avoir lieu, touchant un certain nombre de ministres, jusqu’à ce que l’un d’entre eux vienne éclabousser le Premier Ministre lui-même, entrainant immédiatement sa démission. Et si, finalement, l’enquête allait rapidement l’innocenter, le mal était fait.

Le Parti Socialiste paie cher la crise du logement et l’inflation

Mais il serait faux de croire que le Parti Socialiste ne doit sa défaite qu’au climat autour des affaires. Celle-ci est trop nette et trop large pour ne pas avoir des causes plus profondes. Les Socialistes ont perdu pas moins de 43 sièges et passent de plus de 41% des suffrages à seulement 28,6%. L’explication n’est pas à rechercher autour des performances économiques : le Portugal a enregistré une croissance supérieure à la moyenne européenne, le taux de chômage est bas et le gouvernement sortant est parvenu à assainir les finances publiques de manière significative.

En revanche, la crise du logement s’est considérablement aggravée et on tient là sans doute le motif principal de la chute de la maison socialiste. En effet, si le PS maintient sensiblement ses positions dans le Sud rural, il dégringole dans les villes (-13 points à Lisbonne et à Porto) avec une perte importante au sein de l’électorat jeune et urbain, celui qui est justement le plus sensible à la crise immobilière. D’autre part, l’inflation reste l’un des points noirs de l’économie portugaise. Enfin, il est incontestable que l’usure du pouvoir aura joué son œuvre après neuf années de gouvernement Costa, ce dernier n’ayant pas su renouveler le parti. Encore que la nomination de Pedro Nunes Santos, classé à l’aile gauche, n’y aura rien changé et on peut douter que les divergences internes soient réellement le sujet en l’état actuel des choses, même si la défaite entrainera sans doute quelques règlements de compte.

Si la gauche perd nettement, la droite traditionnelle ne triomphe pas. Elle ne gagne que deux sièges à ce stade par rapport à un score de 2022 considéré à l’époque comme franchement mauvais et ne fait finalement que retrouver son niveau de 2019, où elle avait nettement perdu. L’alliance de droite ne redevient la première force du pays que par défaut, suite à la déroute des Socialistes. Elle retrouve la prépondérance dans la partie Nord du pays qu’elle avait abandonné aux Socialistes il y a deux ans mais sans pour autant y obtenir de résultats spectaculaires.

En effet, si les Portugais ne voulaient plus des Socialistes, ils avaient des réticences à se donner à la droite : le souvenir de l’austérité du début des années 2010 est encore bien présent dans les esprits d’autant plus que le gouvernement de Passos Coehlo avait coupé dans les dépenses sociales et gelé les retraites, entrainant une crise sans précédent du pouvoir d’achat des seniors, un électorat important pour le centre droit. S’il a promis des baisses d’impôts et une politique d’approche libérale, le probable futur Premier ministre Luis Monténégro s’est en revanche bien gardé d’annoncer un tour de vis concernant les dépenses publiques. Il est vrai que la tâche lui sera grandement facilitée par les bonnes performances de Costa en matière de déficit. D’autre part, Monténégro aura pris grand soin d’établir un cordon sanitaire avec l’extrême droite de Chega, craignant de perdre son électorat le plus centriste effrayé à la perspective d’une éventuelle collaboration.

36 sièges supplémentaires pour Chega (extrême droite)

Chega, justement, est malheureusement le grand vainqueur de cette élection. Le parti d’extrême droite gagne 11 points et 36 sièges, ce qui constitue une ascension météorite. Non seulement Chega confirme son ancrage dans les districts du Sud, anciennement de gauche radicale, mais il réalise également une percée dans les villes, sur fond de crise du logement. L’extrême droite obtient ainsi 17% des voix dans la capitale et 15% à Porto. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que son leader, André Ventura, a mené une campagne très radicale sur des sujets tels que l’immigration, avec des propos plus que borderline et même franchement racistes. Il semble néanmoins que la principale motivation des électeurs dans leur vote Chega ait été, encore une fois, la question du logement sur laquelle le parti a tenu une ligne plus sociale et, du reste, très populiste.

Concernant les petits partis, la situation est en revanche plutôt stable. L’initiative libérale, mouvement avec une approche libertarienne, obtient 8 sièges comme en 2019 et si la gauche radicale voit le rapport de force être quelque peu modifié en son sein, son total reste sensiblement le même.

Dans les prochains jours, le Président Rebelo de Sousa devrait appeler le leader de l’Alliance, Luis Montenegro, à former le prochain gouvernement. Les Socialistes ont annoncé qu’ils siègeraient dans l’opposition, excluant ainsi toute forme de grande coalition, mais Pedro Nuno Santos semble disposé à laisser Montenegro gouverner sans le censurer, du moins dans l’immédiat, et cela dans le but de prévenir le risque d’un rapprochement entre la droite et l’extrême droite. Au bénéfice de Luis Montenegro, il faut lui reconnaitre une certaine constance et sans doute de la sincérité dans son rejet de Chega. Mais le score relativement médiocre de l’Alliance lui offre peu de marge de manœuvre, son seul allié potentiel étant l’Initiative Libérale qui n’a obtenu que 8 sièges.

Chega lance des appels du pied à la droite

Si les Socialistes peuvent ne pas vouloir sa chute immédiate, pour des raisons à la fois politiques – ne pas offrir à Chega le rôle de faiseurs de roi – et stratégiques – un retour immédiat aux urnes pourrait aggraver la déroute socialiste -, il n’en demeure pas moins que l’on voit mal Luis Montenegro en capacité de gouverner durablement et de faire passer un budget. Pour sa part, l’extrême droite parait déterminée à marchander son soutien et lance des appels du pied en ce sens.

Il faut espérer que le futur Premier Ministre ne cèdera pas à cette tentation qui, certes, lui offrirait la possibilité d’un gouvernement stable mais entrainerait surtout le reniement de ses propres valeurs. Il est à craindre qu’une partie de son mouvement, notamment son aile la plus à droite, soit pour sa part tout à fait ouverte à une collaboration avec Chega et le fasse savoir. Ceci étant dit, un éventuel partenariat ne serait pas non plus sans risque pour Chega, qui, en s’associant à des politiques davantage néolibérales, perdrait sans doute une partie de son électorat, notamment dans la jeunesse. Affaire à suivre…

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour.

    L’éloignement du politique de la réalité du terrain est propice à la montée des extrémismes, nous le constatons à nouveau, le PORTUGAL est le parfait exemple actuellement et ce n’est pas fini pour d’autres pays et pour l’Europe.

    A force de jouer avec le feu, on se brule, à force de prendre le citoyen pour un « couillon », il se venge avec le seul moyen dont il dispose, c’est le vote, à bon ou mauvais escient.

    Aujourd’hui, ce vote va malheureusement s’exprimer pour sanctionner la politique nationale, ce qui parait au premier abord anormal, se rajoute le rejet de la gouvernance européenne qui est incomprise, méprisante et incohérente dans bien des domaines.

    Le risque de vague déferlante de l’extrême droite est à craindre, rien n’a été fait pour l’endiguer ?

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