Le cauchemar Wilders

Sur le plan politique, les Pays-Bas sont tout de même un pays bien surprenant. Au printemps dernier, les élections provinciales avaient consacré l’émergence d’un nouveau venu, le parti agraire du BBB, quand l’extrême droite obtenait à contrario des résultats médiocres. C’était il y a neuf mois seulement. Cela parait aujourd’hui faire une éternité tant le paysage politique a été une nouvelle fois bouleversé depuis cette date.

L’immigration au cœur de la campagne électorale

La séquence aboutissant aux élections parlementaires était lancée en juillet par une rupture entre les partis de la coalition gouvernementale sur fond de désaccord concernant la question migratoire. En cause, le durcissement de la ligne des libéraux conservateurs du VVD portant sur le regroupement familial dans le cadre du droit d’asile. La stratégie du VVD apparaissait alors d’emblée : il s’agissait de cliver avec ses anciens partenaires sur l’immigration afin d’en obtenir le bénéfice électoral et d’avoir davantage les mains libres lors de la prochaine législature. Ce plan paraissait d’autant plus gagnant aux yeux des stratèges du VVD que l’extrême droite de Wilders semblait relativement affaiblie au moment du lancement de la campagne. Et il est vrai que les premiers chiffres dans les sondages montraient un VDD assez haut quand D66, la CDA et la CU s’effondraient.

Quelques jours plus tard, le Premier ministre et leader du VVD Mark Rutte annonçait qu’il mettrait un terme à sa carrière politique aussitôt après la constitution du futur gouvernement émanant des prochaines élections. Persistant dans sa stratégie de droitisation, le VVD désignait alors la ministre de la Justice Dilan Yesilgoz comme candidate au poste de Premier ministre, cette dernière étant porteuse d’une ligne dure sur l’immigration. C’était un indice supplémentaire quant à la volonté du parti de faire de l’immigration le thème central de la campagne.

Wilders plus convaincant que Timmermans, Omtzigt et Yesilgoz

Pendant ce temps, il se passait à gauche un évènement assez extraordinaire. N’ayant pu faire élire de Premier ministre depuis plus de vingt ans, les Travaillistes et les Verts décidaient alors d’unir leurs forces en formant une liste commune. Intelligemment, les deux leaders de chacun des partis se plaçaient en retrait afin de ne pas provoquer un duel risquant de diviser les militants de leurs deux forces respectives et se mettaient rapidement d’accord sur la candidature de l’ancien ministre des Affaires étrangères, le Commissaire Frans Timmermans. Modéré et pragmatique, ce Travailliste avait un double avantage : son image verte plaisant aux écologistes et sa capacité à séduire un électorat plus centriste. Pour la première fois dans ce siècle, la gauche devenait ainsi une force capable de parvenir au pouvoir.

Cependant un autre scénario, typiquement néerlandais, semblait alors tenir la corde avec la percée météorique d’un nouveau parti, le Nouveau Contrat Social. Son fondateur et dirigeant, Pieter Omtzigt, était loin d’être un inconnu. Ennemi intime du Premier ministre Mark Rutte depuis qu’il fut à l’origine de la fuite dans le scandale des allocations familiales, Omtzigt s’est bâti une solide réputation d’homme honnête et intègre. Economiquement au centre gauche mais sociétalement au centre droit, son nouveau parti était d’emblée en capacité de ratisser large. Il aura néanmoins souffert d’une étonnante indécision de son leader qui se sera montré incapable, durant toute la campagne, de confirmer qu’il serait bien Premier ministre si son parti l’emportait. Ces tergiversations auront finalement conduit une partie de son électorat, le plus à droite et le plus contestataire, à l’abandonner dans les derniers jours pour le PVV de Geert Wilders. Ce fut le premier des deux instants décisifs. L’autre aura été la déclaration de Dilan Yesilgoz annonçant qu’elle rompait avec la stratégie du cordon sanitaire et qu’elle était prête à accueillir le PVV dans son gouvernement. Elle pensait alors piéger Pieter Omzigt qui, lui, avait assuré le contraire mais cette tactique aura finalement un effet contreproductif totalement inattendu à savoir celui de légitimer Geert Wilders. Fort d’une ultime bonne performance lors du dernier débat et d’un discours un peu plus modéré qu’à l’accoutumée, le momentum incroyable de Wilders et de son parti était mis en évidence dans tous derniers sondages.

Wilders perçu tel un rassembleur à (l’extrême) droite

Au final, le PVV obtient donc 37 sièges et plus de 23%. Même s’il semble défier toutes les prévisions, il est clair que cette percée n’aura finalement fait qu’amplifier les mouvements de dernière minute déjà relevés par les divers instituts. Ses bons résultats sont assez équilibrés sur l’ensemble du pays même si c’est dans le Sud frontalier avec la Belgique qu’il réalise ses meilleures performances. Assez logiquement, il obtient également un score solide à Rotterdam où, historiquement, les mouvements populistes ont le vent en poupe depuis une vingtaine d’années. La victoire de Wilders est due à un certain nombre de facteurs : le fait que la campagne ait été d’emblée centrée sur l’immigration, le basculement d’une partie de l’électorat de droite suite aux propos de Dilan Yesilgoz les décomplexant totalement de voter PVV et, sans doute de manière plus marginale, la situation internationale au Moyen Orient replaçant au tout premier plan la peur des attentats islamistes. Comme évoqué précédemment, une partie des électeurs les plus ancrés à droite ont pu avoir le sentiment de ne pas savoir à quoi s’attendre avec le VVD et le NSC quand le vote Wilders leur semblait la garantie ultime – même si ce n’était pas forcément un bon calcul – d’obtenir une coalition franchement marquée droite.

L’union à gauche limitée par un plafond de verre

Car dans le même temps, l’Alliance menée par Frans Timmermans a obtenu un résultat plutôt honorable. La liste commune enregistre un gain de 8 sièges par rapport au total de députés que possédaient les Travaillistes et les Verts dans la législature sortante. Elle arrive en tête dans la province de Hollande du Nord avec d’excellents scores dans la capitale, Amsterdam, ainsi que dans la province d’Utrecht. Timmermans sera parvenu à reprendre des voix au centre, notamment sur D66, mais le reflexe du vote utile aura également joué son rôle par rapport à la gauche radicale puisque celle-ci a perdu 4 sièges. La poussée de Wilders dans les derniers jours aura entrainé en réaction un désir de voter pour la liste à gauche la mieux placée et la plus susceptible de le contrer. Force est de constater que le mariage entre le PVDA et les Verts a assez bien fonctionné et les deux partis seraient assez inspirés de le faire durer le plus longtemps possible. Malgré tout, si elle a assez bien optimisé ses possibilités, l’Alliance s’est heurté à un plafond de verre avec un total de voix de gauche qui reste relativement médiocre dans un pays qui se droitise de plus en plus.

Un programme inconstitutionnel en l’état

Maintenant, une seule question est sur toutes les lèvres : Geert Wilders deviendra-t-il le prochain Premier ministre des Pays-Bas ? Dans ce pays, la phase de négociations est encore plus longue et complexe que ne l’est la campagne et ce n’est certainement pas ce tableau fracturé et inédit ressortant de ces élections qui démentira cet état de fait. Mark Rutte est bien parti pour prolonger son bail de nombreux mois, une année complète n’étant même pas impossible. La première condition dépend de Wilders lui-même. Disons le tout net, en l’état actuel des choses son programme est inconstitutionnel.

Aucun parti ne travaillera avec lui s’il persiste dans son désir de bannir le Coran ou de fermer des mosquées, ce qui est possible en Corée du Nord mais pas dans un Etat de droit où la liberté de conscience constitue un principe fondamental. Aucun parti non plus n’acceptera un Nexit (une sortie des Pays Bas de l’Union Européenne) si ce n’est le mouvement encore plus extrémiste de Thierry Baudet, qui de toute façon n’a obtenu que 3 sièges. S’il veut devenir Premier ministre, Wilders devra mettre de l’eau dans son vin. Ce qu’il semble d’ailleurs prêt à faire. A ce stade, seul le mouvement agraire du BBB et les néo fascistes du FvD ont affirmé leur désir d’entrer dans la coalition gouvernementale derrière Wilders. Les premiers n’apportent que 7 sièges et les seconds sont plus gênants qu’autre chose.

Qui assumera de gouverner avec Wilders ?

Il semble très probable que l’éclaireur choisi par le PVV travaillera sur la possibilité d’un gouvernement PVV-VVD-NSC-BBB. Premier écueil : le VVD a fait part de son refus d’intégrer un tel gouvernement, estimant que Wilders n’était pas en capacité d’unir le pays. D’autre part, Dilan Yesilgoz a déclaré qu’elle pensait que la responsabilité du gouvernement revenait aux gagnants de cette élection quand le VVD, lui, a perdu 10 sièges mais qu’elle n’excluait pas un soutien externe, ceci pouvant être interprété comme une possible tolérance à un gouvernement PVV-NSC. Ce qui n’est guère prometteur pour Wilders, d’abord parce que, à l’instar des Allemands, les Néerlandais n’aiment guère les cabinets minoritaires qu’ils jugent totalement instables mais aussi parce que Pieter Omtzigt n’a cessé de marteler durant la campagne que jamais il n’irait dans un gouvernement avec Wilders. Etonnamment, le leader de NSC n’a rien exclu au lendemain de l’élection, alimentant ainsi les spéculations quant à un possible changement de position. Néanmoins, il parait difficile à croire que le NSC pourrait rejoindre un tel gouvernement quand le VVD s’y refuse. S’il devait faire volte-face, Omtzigt perdrait sa crédibilité d’homme droit et honnête, ce qui l’a tant aidé durant cette campagne. Il ne serait certes pas le premier mais tout de même…

Et si Timmermans tirait l’épingle de son jeu…

En cas d’échec de Wilders, Frans Timmermans pourrait alors tenter sa chance. Depuis le soir de l’élection, il n’a montré aucune velléité à tenter de former un gouvernement mais il s’agit probablement d’une stratégie consistant à laisser l’initiative au vainqueur pour ne pas être accusé de ne pas respecter le résultat des urnes. D’autre part, démontrer dans les faits l’impossibilité à former un gouvernement de droite avant d’abattre ses cartes parait une tactique sage. Si Timmermans devenait Premier ministre, la coalition la plus vraisemblable serait alors PVDA/GL-VVD-NSC-D66. Les Travaillistes ont déjà dirigé une coalition dite « purple » (PVDA-VVD-D66) durant 8 années au cours des années 90 et le NSC est un parti d’obédience centriste ; donc sur le papier, rien ne s’opposerait à ce type de configuration. On peut même penser que le NSC s’accorderait davantage avec Timmermans qu’avec Wilders. D’autre part, D66 est généralement le parti le plus conciliant qui soit. Là encore, le problème viendrait sans doute davantage du VVD. Nonobstant le fait que les arguments pour dire « non » à Wilders seraient toujours valables avec Timmermans, Dilan Yesilgoz a mené une campagne très marquée à droite et en attaquant assez durement la liste d’alliance. Le VVD pourrait alors craindre un retour de flammes en cas de grande coalition. D’un autre côté, on peut imaginer que le VVD aurait tout à craindre d’une nouvelle élection : celle-ci serait probablement clivée entre l’Alliance d’une part et le PVV d’autre part.

La culture du consensus encore viable ?

Il faut noter qu’une nouvelle élection après un échec des négociations constituerait une première dans l’histoire récente des Pays Bas. Si les Néerlandais sont habitués aux élections anticipées avant terme, ils répugnent à ce que les partis soient incapables de se mettre d’accord pour au moins essayer de gouverner, ne serait-ce que pour un an. De ce point de vue, la crainte d’être désigné comme le parti ayant fait tout échouer peut peser sur tous les acteurs lors des prochaines négociations. Faites vos jeux.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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10 Commentaires

  1. Je n’en attendais pas moins de Sébastien, compte tenu de la qualité des analyses qu’il a coutume de développer sur le site de SLE, notamment après chaque échéance électorale. Ma seule interrogation était: quand allons-nous bénéficier d’une nouvelle analyse à la lumière du scrutin néerlandais ? Voilà, c’est fait. Maintenant, restons vigilants comme Jean-Luc Laffineur et relativement optimistes comme Nicole Fondeneige… mais aussi curieux d’observer comment, à l’égard de l’Europe, de l’eau pourrait être versée dans le verre de vin, à l’instar d’autres dirigeants populistes lorsqu’ils dont confrontés à la réalité de l’exercice (solitaire ou en coalition) du pouvoir.

  2. L’analyse de Sébastien Poupon est factuelle. Certes, celle-ci est nécessaire pour ne pas tordre la réalité à des fins idéologiques, mais elle me semble insuffisante sur un site tel que SLE. A mon avis, il y manque l’essentiel : comment, à partir de ces faits, élaborer une stratégie politique qui permettrait de réaliser les objectifs sociaux, économiques et environnementaux que s’est fixé SLE.
    Pourtant, des ressemblances évidentes peuvent être mises en évidence dans tous les pays européens où émergent, à la fois, une extrême droite et une droite extrême : la montée des inégalités sociales, économiques et culturelles qui suscitent des replis sur soi, identitaires faute d’alternatives crédibles proposées par une gauche socialiste et écologique unie sur un véritable projet de société. Les alliances de circonstance (électorale) entre les partis de gauche ne sont pas suffisantes, pire, elles perdent de plus en plus de crédit aux yeux des populations en voie de précarisation. C’est une union de fond qui s’impose à la gauche qui laisserait de côté tous les ego partisans. Et non pas, la mise sur pied laborieuse d’une coalition du centre (mélange de centre droit et gauche) telle qu’on peut la lire en filigrane dans l’analyse de Sébastien Poupon. A mon avis, c’est ce type de solution (pragmatique ?) qui accentue la progression de l’extrême droite.

    • Bonsoir Yves,

      Le problème, c’est qu’il n’y a pas de bonne solution. Soit on essaie de bâtir une grande coalition dans le seul but d’empêcher l’arrivée au pouvoir de Wilders mais avec le risque, comme vous le soulignez fort justement, de le renforcer en tant que seul opposant majeur, soit on se résoud à le laisser prendre le pouvoir en espérant que cela l’affaiblira et l’exposera pour ce qu’il est mais avec le risque qu’il mette en œuvre une politique extrêmement néfaste. Étant partisan de l’adage selon lequel le pire n’est jamais certain, je reconnais volontiers une préférence pour la première solution. Mais elle n’est pas sans défauts, comme vous le relevez avec raison.

      On ne peut pas reprocher à la gauche de ne pas avoir joué la carte de l’union programmatique sur la base d’un véritable projet. Simplement, le pays est majoritairement à droite. Peut-être cela changera t-il un jour mais pour le moment, c’est un fait.

      Quand à la stratégie politique pour faire enfin reculer l’extrême droite, cela mériterait une analyse complète sur un format qui peut difficilement être celui d’un article.

      • La bonne question est de savoir pourquoi nous constatons un glissement constant des opinions publiques vers la droite voire l’extrême droite. J’ai une petite idée là-dessus, mais cela reste ma petite idée : un hiatus constant entre le discours (notamment électoral) et les actes au gouvernement. Cela brouille les cartes et rend le discours à gauche inaudible. Un cas exemplaire (mais pas unique) est celui de François Hollande qui a mené campagne à gauche et a accompli un quinquennat à droite, aussi bien d’un point de vue social (Loi-travail) qu’économique (politique de l’offre). De plus, il a enfanté Emmanuel Macron !
        Merci pour cet échange.

    • Juste pour remettre les choses en perspective, le total en nombre de sièges remportés par l’ensemble des partis classés à gauche (des sociaux libéraux de D66 à la gauche radicale du SP en passant par les communautaristes de Denk) est de 47. Sur 150!

  3. Bon article. Les précédents récents de l’Espagne et de la Pologne montrent qu’un cabinet Timmermans n’est pas impossible.
    Il y a un élément qu’il faudrait relever, même s’il est peu flatteur pour les électeurs du VVD, qui est que le transfert massif de voix vers Wilders s’expliqueaussi par le fait que la successeure de Rutte est musumane et d’origine turque, Dilan Yesilgöz. Le racisme a sans doute joué un rôle dans son échec car parmi les électeurs de la droite il y en a sans doute un nombre appréciable qui ne voulaient pas que les Pays-Bas soient gouvernés par une musulmane. C’est aussi un facteur qui a servi Geert Wilders.

    • Contrairement à ce que veut réaliser Timmermans, il s’agit, en Espagne, d’une union de la gauche avec l’appui extérieur des indépendantistes catalans (droite et gauche confondues). Le gouvernement sortant a réussi à faire perdre un nombre considérable de voix à l’extrême droite (Vox). Mais, aujourd’hui, Puidgemont est le talon d’Achille du gouvernement de Pedro Sanchez. Timmermans pourra peut-être réussir une coalition centriste, mais je pense que cela ne fera que renforcer le vote à l’extrême droite au prochain rendez-vous électoral.

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