La France mise à l’amende

(Gros) évènement dans le (petit) monde européen de l’énergie. Ayant échoué à tenir ses objectifs en termes de développement des énergies renouvelables (EnR), le gouvernement français demanderait à échapper à la pénalité qu’il est, de son propre aveu, tenu de payer aux autorités européennes. L’AFP aurait pu lire un courrier dans ce sens adressé à la commissaire européenne compétente, Kadri Simson, par la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Plus concrètement, la France s’était engagée à ce que les énergies renouvelables (EnR) représentent en 2020 23% de sa consommation finale brute énergétique. Cette part n’étant que de 19,1%, des indemnités sont dues – que le gouvernement de la République refuse tout bonnement de payer. Il s’agit, en somme, de demander à « avoir le droit de tricher », pour ne pas citer un sketch des Inconnus…

Passons sur le quinquennat qui devait être écologique ou ne serait pas – ce n’est pas comme si la situation était sérieuse, sur ce front comme sur quelques autres. Et ce n’est pas comme si la France était en retard, non seulement sur ses engagements européens, mais sur son propre calendrier, la Planification pluriannuelle de l’énergie (ou PPE). Par exemple, les capacités éoliennes installées à la fin 2022 représentait 80% de objectifs fixés pour 2023 – un déficit difficile à combler en douze mois.

Dans sa lettre à Mme Simson, Mme Pannier-Runacher avance que la France dispose d’un des mix énergétiques les plus décarbonés en Europe (c’est un fait) et que les EnR s’y développent plus rapidement que dans bien d’autres Etats membres. Mais si on pousse le raisonnement, pourquoi fixer des objectifs qui seraient superflus au regard de la (si nécessaire) transition énergétique ? En outre, une question intéressante à ce stade serait, non pas de se demander si ces mesures poussent dans le bon sens, ce dont personne ne doute, mais si elles sont suffisantes ? Il semble que non, la France n’étant pas sur une trajectoire qui permettrait d’espérer atteindre la neutralité carbone « à temps », c’est-à-dire pour limiter le réchauffement à 1,5°C, comme convenu dans le cadre de l’Accord de Paris.

La ministre suggère également que l’argent de cette amende serait mieux investi dans des projets destinés… à la transition énergétique, précisément. C’est du bon sens. Mais alors, que cet argent n’a t’il été investi lorsqu’il était temps ? C’est précisément pour avoir trop tardé sur ce chantier, pourtant d’une urgence brûlante, que la pénalité est censée s’appliquer (sans être d’ailleurs contestée par qui que ce soit).

Sous la plume de la ministre, la France refuse également de « régulariser » sa situation comme d’autres l’ont déjà fait : en achetant des volumes d’énergies renouvelables à d’autres nations européennes qui disposeraient de surplus, ayant dépassé leurs propres objectifs. Le cadre juridique européen le permet. Argument contre cette option : cela ne ferait progresser en rien la situation au niveau européen. Le réchauffement climatique étant un phénomène mondial, il est évidemment justifié de l’appréhender de manière globale, par-delà les frontières nationales. On pourrait même souhaiter que cela fût plus fréquemment le cas. Mais les Etats demeurant les acteurs majeurs des politiques publiques, a fortiori à Bruxelles. C’est bien à leur niveau que les décisions essentielles sont prises et, fort logiquement, que la responsabilité pèse.

Là se trouve d’ailleurs le point le plus problématique et le moins compréhensible. Indépendamment de la question de savoir si cette amende est une bonne ou une mauvaise chose, elle répond à un engagement pris qui n’a pas été tenu et pose donc un enjeu évident d’Etat de droit. On comprend naturellement les motivations du Gouvernement : personne n’aime payer une contravention. Mais s’il est possible de s’exonérer de sa responsabilité tout en la reconnaissant, que peut-on bien trouver à reprocher au régime « illibéral » de Viktor Orban ? Certes, l’histoire de la construction européenne est aussi et surtout celle d’une grande créativité sur le plan juridique, elle est faite d’opt-outs (options de retrait), de rabais, d’exceptions à la règle et de dérogations en tous sens. Mais ce n’est pas une raison. Quelle règle, et quels engagements peuvent rester crédibles si les sanctions censées garantir leur application sont violées par la voie d’un courrier officiel ?

Alexis Le Coutour
Alexis Le Coutour
Passionné par la coopération avec nos amis allemands et par la transition énergétique.

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6 Commentaires

  1. En effet la France à un mix énergétique moins carboné mais avec combien de tonnes de déchets nucléaires à traiter et dont on ne sait que faire à moins de les enfouir ! Sans compter les éventuelles catastrophes qui s’annoncent et les ravages que nous causons dans les pays producteurs et dont on ne parle jamais. On retrouve la même logique lorsque l’on évoque nos émissions carbone de 1% du volume mondial en mettant sous le tapis notre empreinte carbone et donc nos importations dont nous sommes totalement dépendant. Remarquons que nos énarques, chroniqueurs, politiques, toute tendance confondue s’émeuvent aujourd’hui du risque chinois alors qu’ils ont allègrement donner les moyens à ce régime totalitaire de disposer de toutes les armes pour nous tenir. Sans oublier les transferts de technologies. Tout cela pour ce monde merveilleux du marché. Idéologie très largement partagée au sein de l’UE qui conduit à supprimer toutes les structures sociales et socialisantes. Dont on voit les conséquences aujourd’hui avec l’arrivée au pouvoir des néo fascistes et non pas des populistes. Et c’est bizarre on retrouve les mêmes en train de pleurer sur le monde qui vient après avoir soutenu un Macron. Quelle rigolade….

  2. Bonsoir.

    La France n’a t’elle pas participé à l’élaboration de cet objectif, aux sanctions à infliger s’il n’était pas atteint ?

    C’est pour les autres, pas pour moi, affligeant ?

  3. C’est tout le problème de l’Europe, incapable, du fait de la nécessaire compromission politique, d’avoir des règles fondées sur des réalités techniques et scientifiques. Pourquoi vouloir décarboner l’électricité? A cause du réchauffement climatique attribué acm’zugmentztion du CO2. Ok. Donc l’objectif est bien de baisser les émissions MAIS on le formule en termes de % de production issus des seules éoliennes et PV. Or, la France n’en possédait pas, non pas par rejet, mais parceque dans la pratique, les centrales nucléaires faisaient déjà TOUT le boulot. Il aurait donc fallu signer un accord sur la base du taux de CO2/Mwh. Ce ne fut pas le cas. Les diplomates français sont-ils idiots? Non, pas plus que d’autres, simplement ils avaient des instructions en faveur des producteurs d’ENR. Signer ce genre d’accord allait bien sûr directement au profit de ces industriels. Qui était le Président, à l’époque? Qui était le ministre de l’industrie?
    Car sinon, pourquoi vouloir a tout prix «décarboner » une électricité française qui l’est déjà, au delà des normes.

    • 1) Le réchauffement climatique n’est pas « attribué » à l’augmentation de CO2, il en est la conséquence directe.
      2) L’énergie nucléaire est l’énergie la plus polluante en terme de déchets radioactifs, engageant les générations futures pour plusieurs siècles. Elle est la plus coûteuse, en terme de gestion de ces déchets.

      • Bonjour Monsieur HERLEMONT.

        L’article et les commentaires de Monsieur BOHY démontrent une nouvelle fois l’incompétence de nos diplomates ou encore plus grave, leurs compromissions.

        Le choix du nucléaire est d’après moi un autre débat, je rejoins vos positions à ce sujet, que vont devenir les déchets, le risque nucléaire a disparu des débats, ils ont déjà oubliés FUKUSHIMA, a quand la prochaine grande catastrophe nucléaire ?

  4. Félicitations Alexis pour cette prise de position bien argumentée sur un sujet important, qui avait échappé à mon radar européen !

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