Suppression de l’aide aux Palestiniens : Oliver Varhelyi doit démissionner

Il y a une semaine, le Hamas lançait une opération terroriste d’ampleur contre Israël, massacrant hommes, femmes et enfants dans leurs maisons. Chacun en Europe affirmait immédiatement sa solidarité avec les victimes et son soutien au peuple israélien.

Le 9 octobre le Commissaire Européen hongrois en charge du voisinage désigné par Viktor Orban, Oliver Varhelyi, annonçait sur X/Twitter la suspension immédiate de toutes les aides européennes à la population palestinienne. Une annonce irresponsable au goût de représailles qui a déclenché aussitôt un tollé parmi les Etats membres et sur la scène internationale. Le lendemain, Eric Mamer, porte-parole de la Commission désavouait officiellement Oliver Varhelyi, en indiquant qu’il avait agi seul, sans concertation. Depuis, l’épisode a été largement oublié en Europe, l’actualité dramatique du conflit en Israël/Palestine le reléguant au rang de péripétie.

Une faute politique et institutionnelle majeure

Pourtant cette affaire mérite qu’on s’y arrête tant il s’agit d’une faute politique et institutionnelle particulièrement grave, illustrative des nombreuses dérives et dysfonctionnements au sein de la Commission Européenne et de l’alliance croissante entre la droite et l’extrême droite européennes. Pour éviter que ces dérives se poursuivent et s’aggravent, il est essentiel que toutes les leçons soient tirées de cet épisode et qu’Oliver Varhelyi soit sanctionné.

Il s’agit tout d’abord en effet d’une faute politique majeure qui a nui gravement à l’Union Européenne et à sa crédibilité dans le monde. La marche arrière effectuée par la Commission l’a peut-être effacée aux yeux de beaucoup d’Européens mais ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde où perdure l’impression ainsi créée d’un alignement sans condition de l’UE sur la politique de punition collective des Palestiniens par le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahu.

La crise au Sahel et les difficultés persistantes rencontrées avec beaucoup de pays du « Sud global » après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont montré, s’il en était besoin, qu’un gouffre s’est creusé au cours des dernières décennies entre nous et nos voisins du Sud de la Méditerranée. Ce gouffre menace l’avenir de l’Union et celui de toutes les démocraties si ce « Sud Global » devait se coaliser durablement dans les années qui viennent avec les autocraties de l’axe Chine-Russie. Il est essentiel que nous regagnions la confiance de beaucoup de ces pays.

Une perte de crédibilité de l’UE à l’égard du « Sud Global »

Une part non négligeable de notre perte de crédibilité à l’égard de ce « Sud Global » est liée en particulier à des accusations de « double standard ». Et celles-ci se basent notamment sur la différence, indéniable, de comportement de l’Union Européenne à l’égard de la Russie en Ukraine d’une part et de de l’autre de l’occupation par Israël des territoires palestiniens depuis 56 ans en dépit de nombreuses résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU et du droit international. Et cela malgré l’aide significative que l’UE apporte à la population palestinienne via principalement l’UN Reliefs and Works Agency (UNRWA) et l’Autorité Palestinienne, aide qu’Oliver Varhelyi entendait couper.

La diplomatie européenne avait commencé à réagir au cours des derniers mois sur ce terrain en se rapprochant notamment de la Ligue Arabe pour essayer de relancer le processus de paix. L’annonce d’Oliver Varhelyi, même démentie par la suite, a ruiné durablement ces efforts. D’autant plus que cette annonce a été suivie par les tergiversations d’une partie de la Commission Européenne, et notamment de sa présidente, pour condamner le blocus inhumain de Gaza. L’annonce d’Oliver Varhélyi n’était cependant pas simplement totalement irresponsable sur le plan politique, elle l’était également pour la sécurité des centaines de personnels de l’Union Européenne présents dans la région qui devenaient ainsi du jour au lendemain des cibles potentielles dans un contexte extrêmement tendu.

Un coup de force institutionnel d’une gravité exceptionnelle

Il ne s’agit toutefois pas seulement d’une faute politique majeure mais aussi d’un coup de force institutionnel d’une gravité exceptionnelle dans une organisation, l’Union Européenne, qui est censée être régie par des règles de droit strictes, sa marque de fabrique depuis 66 ans. Tout d’abord selon les textes, la Commission Européenne forme un « collège des commissaires ». Il ne s’agit pas en théorie d’un ensemble de personnes en charge chacune d’un domaine de compétences qu’elles peuvent gérer à leur guise, mais d’un collectif où toutes les décisions sur tous les sujets se prennent collectivement au cours d’une réunion hebdomadaire.

Cela a toujours été pour une part une fiction, d’autant plus évidemment qu’on est passé progressivement de 6 à 27 commissaires, mais le scandale Varhelyi illustre la dérive complète de l’actuelle Commission présidée par Ursula von der Leyen dans ce domaine. Sous sa houlette, il n’y a plus aucune collégialité dans le fonctionnement de la Commission. Il n’existe plus de décision collective effective : c’est elle qui traite tous les sujets en bilatéral avec chacun des 27 Commissaires, quand elle ne les traite pas seule avec son cabinet. Les Commissaires les plus concernés par un dossier particulier apprennent fréquemment dans la presse les décisions prises par la Présidente ou un ou une de leurs collègues qui affectent directement le dossier dont ils ont la charge.

Oliver Varhelyi est un de ceux qui s’accommodent le mieux de ce fonctionnement individualiste encouragé par Ursula von der Leyen. Le 8 octobre dernier, il est donc censé avoir agi seul sans aucune concertation avec personne au sein de la Commission. Il semble certain en effet qu’il n’a pas cherché à s’entendre avec ses collègues les plus directement concernés, le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell, le Commissaire en charge des situations de crise. Janez Lenarcic, ou encore la Commissaire en charge des partenariats internationaux, Jutta Urpilainen. Mais le fait qu’il ait pu agir ainsi sans avoir recherché et obtenu sinon l’accord explicite du moins un nihil obstat de la part d’Ursula von der Leyen semble très improbable. C’est d’ailleurs ce que paraît confirmer l’absence totale de réaction ultérieure de la Présidente de la Commission vis-à-vis de ce qui aurait été sinon un acte d’insubordination totalement inadmissible à son égard.

Une remise en cause de l’équilibre des pouvoirs entre les institutions de l’Union

L’action d’Oliver Varhelyi ne constitue pas seulement un manquement grave aux règles de fonctionnement internes de la Commission, il s’agit aussi d’un coup de force vis-à-vis du Conseil de l’Union Européenne et de l’équilibre des pouvoirs entre les différentes institutions européennes. La politique étrangère et de sécurité reste en effet un domaine qui dépend exclusivement du Conseil de l’Union Européenne statuant à l’unanimité des Etats. La Commission Européenne n’a aucune prérogative dans ce domaine. Le Haut Représentant de l’UE, qui préside en permanence le Conseil des ministres des Affaires étrangères et celui des Ministres de la Défense, est en même temps Vice-Président de la Commission Européenne afin d’assurer la liaison entre ces deux institutions mais la seule légitimité politique en matière de politique étrangère et de sécurité est celle du Conseil.

En pratique cependant la Commission dispose de nombreux leviers pour peser dans ce domaine à travers notamment les accords commerciaux, la politique climatique et surtout la maîtrise du budget de l’Union. Et depuis le début de son mandat, Ursula von der Leyen s’est constamment efforcée de tirer la couverture à elle en matière de politique étrangère et de prendre le leadership dans un domaine où les traités ne lui attribuent aucun rôle, nourrissant ainsi une guérilla institutionnelle interne qui a été à différentes reprises très dommageable pour l’image de l’Union Européenne à l’extérieur. Et cela au service d’une vision très atlantiste d’un alignement de l’UE sur les Etats-Unis dans tous les principaux dossiers, qui est loin d’être partagée par tous les Etats membres.

Dans ce but, elle avait déjà fait alliance avec Oliver Varhelyi pour réaliser un coup de force diplomatique en juillet dernier avec la signature d’un Memorandum of Understanding très contestable et contesté avec le Président tunisien Cais Saied au sujet des migrations. Une opération commando menée par Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni et Oliver Varhélyi en court-circuitant tous les processus de décision européens prévus par les traités ainsi que les décisions prises par la Cour de Justice lorsqu’il avait fallu clarifier les textes. Josep Borrell avait dénoncé ce coup de force institutionnel dans un courrier adressé à Oliver Varhelyi début septembre qui avait fuité dans la presse.

L’alliance de la droite et de l’extrême droite européennes

Cette alliance objective entre la droite européenne, en la personne d’Ursula von der Leyen, dirigeante du Parti Populaire Européen (PPE) et l’extrême droite d’Oliver Varhelyi et Giorgia Meloni, n’est pas l’aspect le moins inquiétant de ces affaires. Le compromis traditionnel entre sociaux-démocrates, libéraux et conservateurs pour diriger l’Union Européenne se fissure de plus en plus. La droite parait de plus en plus souvent tentée de s’allier avec une extrême droite qui se renforce et l’axe Von der Leyen – Varhelyi illustre cette dérive très inquiétante pour l’avenir de l’UE. Non seulement du point de vue des politiques internes à l’Europe mais aussi sur le plan de son positionnement géopolitique : au moment où il serait essentiel pour son avenir que l’Union se rapproche des pays du « Sud Global », cette alliance réactionnaire creuse le fossé qui nous en sépare.

Pour toutes ces raisons, il est essentiel que la grave faute politique et institutionnelle commise par Oliver Varhelyi le 8 octobre dernier non seulement ne soit pas oubliée mais qu’elle soit effectivement sanctionnée. Cette sanction ne peut être moindre que son départ de sa fonction de Commissaire.

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14 Commentaires

  1. Merci de ces informations.
    Elles sont une alerte à prendre en compte très sérieusement.
    Beaucoup trop de Français ne pensent qu’à manifester, voire prier,  » pour Israel « , comme si Gaza n’existait pas.
    C’est affligeant

  2. C’est un article très intéressant. Mais je crains qu’il soit trôp tard pour pouvoir renverser la tendance

  3. Je pense que c’est toute cette Commission européenne Vonderleyen qui doit être démise de ses fonctions par une censure du Parlement européen s’il en avait le courage. Non seulement par cet épisode calamiteux qui illustre les manquements au principe de collégialité, mais aussi toutes les affaires troubles autour des vaccins/Pfizer etc..
    En son temps, le Parlement avait bien faut chuter la Commission Santer pour des broutilles (le petit contrat de complaisance de la Commissaire E Cresson pour son ami « dentiste »)…
    Henri Malosse
    ancien Président du Comité Economique et Social Européen

    • Etonnant parallèle Henri Malosse entre la chute de la Commission Santer pour beaucoup plus que des « broutilles » selon moi (de vrais conflits d’intérêt, sous-estimés uniquement par un certain nombre de Français, dans un contexte européen) et ce qui est clairement la prise de position d’un Commissaire complètement « hors des clous » d’une Commission européenne habituée à décider de manière collégiale. Cette anormalité, qui peut nous mettre en colère, a heureusement été rectifiée par la Présidente et le Haut Représentant Josep Borrell. Evitons les amalgames avec la question de la gestion de la crise COVID, bien difficile, dans laquelle la Commission européenne a fait preuve selon moi d’un bel esprit d’initiative, au risque de commettre quelques erreurs… Qui peut se prétendre parfait ???

  4. Monsieur Mollaret vous êtes hors sujet. La question posée concerne la capacité pour un commissaire de prendre une initiative arbitraire qui outrepasse les pouvoirs de la commission. Une démission individuelle ne suffit pas. Il faut que les traités soient plus explicites sinon ce dérapage risque de se reproduire. Ce serait aussi une raison pour refuser la reconduction d’Ursula von der Leyen. Elle a multiplié les maladresses et impairs entre autre sur le Proche-Orient.

  5. L’ UE est devenue le verrou
    qui enferme l’Europe
    dans son statut de
    protectorat américain .
    L’UE attise le feu d’une 3eme guerre mondiale.

  6. Il serait temps que l’Europe raisonne en terme de puissance et non en terme d’image d’un monde UE certes remarquable créé à partir d’un consensus mais insuffisamment structuré mentalement et institutionnellement pour exister. Le « roi est nu » nous le voyons avec l’Ukraine, et que pouvons nous faire quant au proche-orient condamnés que nous sommes à chercher du gaz, d’autres énergies et des métaux rares désespérément auprès de ceux qui alimentent le feu du Hamas ou une approbation molle d’actions de guerre quand ils n’y envoient pas des commandos ? Puissance ne signifie pas force arbitraire et discrétionnaire, mais affirmations de principes démocratiques et de quoi les faire respecter. A part des motions ou des déclarations, que pouvons nous faire ? Les « autres » les savent.

  7. Il y a effectivement faute politique et institutionnelle qui mériterait une sanction. Cela dit, la tendance dans l’UE, au vu de l’augmentation continue de la moyenne d’âge de sa population, sera de devenir de plus en plus réactionnaire, même vis à vis de ses représentants minoritaires (jeunes et/ou différents).

  8. Les extrêmes droites et les droites nationalistes sont pro-israéliennes par antisémitisme : cela leur permet de se débarrasser des populations juives européennes en promouvant leur exode vers Israël (chacun chez soi). Cela leur permet également d’exprimer leur haine des musulmans et de dénoncer « l’islamo-gauchisme » de celles et ceux qui défendent les droits des Palestiniens. D’une pierre, trois coups…

  9. Bonjour.

    Ce qui se passe actuellement au niveau de la gouvernance de l’UE était prévisible et inéluctable, certains d’entre vous ne veulent pas voir, ils occultent la réalité des évènements, ils veulent être dans une modération néfaste, refusant d’affronter les faits, les méfaits de cette forme de gouvernance qui fera exploser l’UE.

    Relisez mes commentaires passés, vous y retrouverez la majorité des griefs qui figurent dans vos commentaires suite à cet article.

    Arrêtons de tourner en rond, je l’ai l’a aussi dit mainte fois, seule la finalisation de la construction européenne nous apportera de la sérénité, seule cette finalisation sera crédible au nouveau mondial, aujourd’hui, nous passons pour des « rigolos », vous tous, un seul combat pour éviter le renouvellement de nos discussions interminables, celui de la finalisation de la construction européenne, indépendante de toutes les autres puissances dont les USA, Europe humanitaire qui ne négligera pas les aspirations légitimes des peuples opprimés, oppression qui est le terreau de l’endoctrinement et de la fanatisation, il suffit de lire l’histoire, la montée du nazisme, du fascisme communiste (mao tsé toung, pol pot, staline, etc..) et de droite, du fanatisme religieux, Afghanistan, Iran, Daesch, le Hamas, le hezbollah, etc…

    Ces derniers nous laisserons tomber si nécessaire, ne vous faîtes pas d’illusions, et alors ?

    Madame ursula von der leyen est la pire de tous, cupidité, avidité, mensonges et corruption, arrêtons par naïveté de dire que ce sont des accidents de parcours, pas à ce niveau.

    Je le répète, un seul et unique combat pour Sauvons l’Europe, cette finalisation sinon l’explosion.

  10. « la Commissaire en charge des partenariats internationaux » …
    On ne dit pas « en charge de », vilain anglicisme, mais :
    « la Commissaire chargée des partenariats internationaux »

    • Votre remarque rejoint en effet les recommandations de l’Académie française en la matière. J’ai cru comprendre par ailleurs, sur la base d’autres sources et pour des raisons que l’on peut aisément deviner, que nos cousins québecois sont eux-mêmes particulièrement attentifs, en l’occurrence, à cette « nuance » lorsqu’ils évoquent les attributions de leurs hommes ou femmes politiques.

      Cela me conduit à reconnaître ma propre culpabilité dans le cadre des « coups de périscope » que je propose périodiquement à nos lecteurs, étant donné qu’il m’est arrivé, ponctuellement, de tomber dans le panneau… mais cela » en héritage » (si je puis dire pour ma défense) d’un autre souci inhérent à ma culture scolaire primaire, à l’époque où mes maîtres insistaient sur un autre « vilain » défaut: la tentation de la répétition mot pour mot dans un même paragraphe. Remarque anecdotique à ce propos: lorsque j’ai fait état de ce « souci d’élégance » de la langue française auprès d’un collègue anglophone, ce dernier en a été surpris. Et, de fait, la fréquentation de textes rédigés aujourd’hui dans la langue du regretté Shakespeare – à moins que ce ne soit celle du regrettable Trump – m’a convaincu que cette « répétitionnite » ne posait aucun problème aux rédacteurs desdits textes; à la limite, ce serait même, de nos jours, une marque de fabrique « made in UK » (voire « in USA », par contagion… ou par « ruissellement », pour employer une expression à la mode ?)

      Bref, attentif à votre mise au point, je m’efforcerai dorénavant de recourir, autant que possible, à d’autres synonymes pour préciser le contenu du « portefeuille » des commissaires.

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