Amitié franco-allemande, qu’en disent les citoyens?

Entretien entre Henri Lastenouse, pour Sauvons l’Europe, et le Docteur Stefan Seidendorf, directeur adjoint de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI), à l’initiative d’un sondage représentatif France-Allemagne-Italie à l’occasion des 75 ans du DFI.

Henri Lastenouse (HL) : Vous avez célébré récemment les 75 ans de votre institut, un des acteurs à l’origine du rapprochement franco-allemand…

Dr Stefan Seidendorf (Dr S) : … Oui, notre histoire commence à Ludwigsburg en juillet 1948. A peine deux semaines après l’introduction de la nouvelle monnaie qui devait devenir le mythique « Deutsche Mark », quelques personnalités de la société civile allemande fondent l’Institut Franco-Allemand (DFI). Leur objectif : « promouvoir l’entente franco-allemande dans tous les domaines de la vie intellectuelle et publique“.

La jeune équipe prend aussitôt contact avec une initiative comparable en France, dont le jeune secrétaire général, Alfred Grosser, deviendra une figure emblématique des relations franco-allemandes: le Comité français d’échange avec l’Allemagne nouvelle, créé également en 1948.

Aujourd’hui, le DFI est le plus grand centre d’études, de compétences et de documentation sur les relations franco-allemandes. Proche des milieux politiques, il a toujours maintenu son ancrage local, dans le Land du Bade-Wurtemberg et surtout son indépendance politique et intellectuelle.

HL : Dans quel contexte faut lire votre sondage sur la perception réciproque du franco-allemand par les citoyens ?  

Dr S : C’est à l’occasion de notre 75e anniversaire que notre Institut a commandé, avec le soutien de la Fondation Wüstenrot et de la Fondation Baden-Württemberg, un sondage d’opinion représentatif afin de saisir le regard que nos populations portent sur leur vie, leurs sociétés et l’Europe. Outre l’Allemagne et la France, l’enquête a également été menée en Italie, le troisième grand pays fondateur de l’UE.

HL : Quel paradoxe révèle avant tout ce sondage ?

Dr S : Pour la population française comme pour la population allemande, il ne fait aucun doute qu’une coopération étroite entre les deux pays est décisive pour l’avenir. 76% des Allemands et 63% des Français considèrent qu’une coopération étroite avec le pays voisin est importante, voire très importante, à l’avenir également.

La situation se présente différemment lorsque l’on s’interroge sur l’intérêt porté au voisin : à peu près la moitié des Allemands et moins de la moitié des Français déclarent s’intéresser au pays voisin. Dans les deux pays, l’intérêt a encore diminué au cours des dernières années. 63% des Français déclarent s’intéresser peu ou pas du tout à l’Allemagne, l’inverse étant vrai pour 41% des Allemands.

HL : C’est un appel à privilégier une Europe plus horizontale, en deçà du seul niveau politique…

Dr S : Effectivement, ces résultats montrent à quel point il est important pour nos populations d’avoir l’occasion de se rencontrer et de faire des expériences européennes. Comment réussir un nouveau saut dans l’intégration européenne si l’intérêts mutuel des sociétés civiles devient le grand absent du projet ?

L’enjeu d’un destin politique commun devient difficile si les principaux pays membres ne s’intéressent déjà que de manière très limitée les uns aux autres, aux événements politiques et économiques et aux différentes empreintes et expériences historiques. »

HL : Par ailleurs, que nous révèle votre sondage sur l’état d’esprit en France, Allemagne et Italie ?

Dr S : Face aux multiples crises que connaît actuellement l’Europe, les populations des trois pays savent apprécier leurs propres conditions de vie… mais en même temps, elles perçoivent clairement et majoritairement de manière négative les changements et les défis à venir pour l’ensemble de la société. Seul un tiers environ des Allemands et des Français envisagent les dix prochaines années avec espoir, et seulement un sur cinq en Italie.

HL : Vous avez également sondé les opinions publiques françaises et italienne sur la place de l’Allemagne en Europe…

Dr S : Comme nombre des défis actuels nécessitent une coopération étroite au niveau européen, les relations avec les pays voisins sont particulièrement importantes. L’Allemagne, le plus grand pays de l’UE, joue un rôle important dans ce contexte. En France, 35 % estiment que l’influence de l’Allemagne dans l’UE est trop importante, tandis que 52 % ne sont pas de cet avis. L’évaluation est différente en Italie : Dans ce pays, 58 % des personnes estiment que l’influence de l’Allemagne est trop importante.

HL : Enfin, comment est perçu la promesse européenne d’un pacte social spécifique au projet européen ?

Dr S : Les évaluations sont également plutôt critiques en ce qui concerne la cohésion sociale. Dans les trois pays, la grande majorité des personnes interrogées estime que la cohésion de leur société est faible.

C’est particulièrement vrai en France, où 74 % des personnes interrogées estiment que la cohésion est faible, voire très faible, et en Italie, où 70 % des personnes interrogées font le même constat.

La population allemande a certes tendance à évaluer plus positivement la cohésion dans son pays, mais elle perçoit les changements comme particulièrement négatifs.

Les aspects socioéconomiques tels que l’éducation et les revenus sont perçus comme divisant la société, tout comme la guerre en Ukraine ou la protection du climat.

HL : Quelle conclusion tirez-vous de ce sondage à moins d’un an des prochaines élections européennes ?

Dr S : Une chose est claire au vu des résultats du sondage : les sociétés européennes ne se rapprochent pas d’elles-mêmes. Des efforts continus sont nécessaires pour y parvenir. Si nous voulons respecter les spécificités régionales et nationales tout en nous rapprochant les uns des autres, les populations doivent mieux se connaître. Les rencontres personnelles et les expériences communes restent la clé de la compréhension et du rapprochement.

Rappelons le premier jumelage franco-allemand, créé en 1950 entre Ludwigsburg et Montbéliard, qui a également été un acte politique pionnier du DFI. Jusqu’à aujourd’hui, ce modèle a trouvé environ 2400 successeurs…

Pour en savoir davantage sur la cérémonie du lundi 3 juillet au Forum am Schlosspark à l’occasion des 75 ans du DFI, cliquez ici.

Henri Lastenouse
Henri Lastenouse
Vice-Président de Sauvons l'Europe

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8 Commentaires

  1. L’entente Franco-Allemagne, un bien grand mot ?

    Mon opinion est que l’Allemagne est l’un des pays qui a le mieux su utiliser l’UE dans le sens de ses propres intérêts, c’est également un des pays qui est le plus inféodé aux intérêts américains.

    Dans les faits, l’amitiés Franco-Allemande existe t’elle ?

    Si t’elle était le cas, la construction européenne aurait déjà été finalisée, mon propos est factuel.

    Au niveau des peuples, ce désir d’amitié est nécessaire, mais l’hypocrisie, la cupidité, l’incompétences des politiques et des gouvernants l’entravent.

  2. Si on me demande mon ressenti, il me semble que, pendant des décennies, l’Allemagne a imposé à l’U.E. l’austérité salariale pour les populations ainsi qu’une compétitivité concurrentielle acharnée entre les entreprises entraînant les fléaux que sont le dumping social et fiscal. Tout cela à l’avantage de ses propres entreprises. L’U.E. s’est développée, à partir de années 80, sur ce déséquilibre entre l’Allemagne et les autres.

  3. Que l’Europe ne soit pas parfaite, qu’elle doive évoluer vers un fédéralisme constructif, réaliste et crédible dans notre monde en crise, c’est une évidence. Faudra-t-il d’autres guerres (Ukraine) ou crises (covid, climat)pour que cette évolution solidaire et responsable se poursuive ?
    On sera plus intelligents et forts à plusieurs que tous seuls si nous acceptons de considérer nos singularités comme une richesse plutôt que comme un handicap

  4. Les différences dans les domaines économiques et sociaux prises par les deux pays ont été provoquées et facilités par le manque de connaissance que les uns avaient des autres, au niveau individuel surtout. Il a fallu deux générations pour « oublier » les dégâts causés par la deuxième guerre mondiale dans tous les domaines ! Il est donc impératif si l’on veut faire avancer l’Europe en général d’encourager par tous les moyens une meilleure connaissance des de tous les pays européens entre eux afin de pouvoir mieux comprendre et comparer ce qui se fait ailleurs, et en priorité entre les deux « leaders » de l’UE !
    En tant que présidente d’un club des Aînés d’une petite ville corrézienne, je trouve très difficile de trouver un club ou une association prête à simplement « échanger » avec un club allemand., y compris en distanciel. La connaissance de la langue de l’autre est utile mais beaucoup de personnes dans les deux pays parlent aussi anglais et la communication n’est donc pas impossible entre nous, même si elle reste un petit problème !!!
    Les « partenariats » qui ont eu lieu au niveau national l’ont été au niveau de grandes villes ou des régions. Il me semble qu’il serait judicieux de tenter d’encourager « la base » à participer à cet effort de réflexion et de meilleure connaissance l’un de l’autre.

  5. Petite erreur dans le message que je viens d’envoyer: c’est « notre » club (Amicale Lou Cantou ») qui trouve très difficile de trouver un autre club allemand, en vue d’établir des « échanges » même en distanciel !!!

  6. Bonjour.

    Il est intéressant de constater que dans nos différents commentaires, la lucidité l’emporte.

    Il faudrait que dans les articles de Sauvons l’Europe, cette lucidité soit omniprésente, elle éviterait de tourner en rond comme c’est parfois le cas.

  7. Je constate que seul le Journal d’info d’ARTE donne régulièrement des informations sur la vie en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe. Comment pourrions-nous sensibiliser les journalistes en général à ce problème ?

    • Très bonne question !
      D’une certaine manière, elle s’inscrit dans le patient combat de Sauvons l’Europe en faveur de davantage d’Europe à la télé… raison de plus pour ne pas cantonner ces chevaux de bataille à l’atmosphère statique des écuries.

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