Guillaume Klossa : Il fallait mettre la question de la puissance sur la table

EuropaNova a publié un rapport intitulé « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui – co-construire une puissance globale, durable et responsable ». Guillaume Klossa, son Président, nous fait l’amitié de se prêter à nos questions.

Discussion entre Guillaume Klossa et Antonio Costa, premier ministre portugais lors de l’ouverture du Conclave, à droite l’œil du politologue Ivan Krastev

Le rapport « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui – co-construire une puissance globale, durable et responsable » édité par Europanova et que vous avez coordonné, a été produit via une formule que vous avez baptisée Conclave et dont la première édition s’est tenue les 24-26 novembre au Portugal sous le haut patronage du président de la République qui a accueilli l’événement et en partenariat avec le premier ministre qui y a participé. Concrètement, de quoi s’agit-il ? Qui en a pris l’initiative ?

Il s’agit d’une initiative que nous avons prise avec une douzaine de personnalités européennes de premier plan qui ont souhaité créer ensemble une nouvelle dynamique d‘idées et de réflexion sur l’Europe qui soit vraiment transdisciplinaire, transpartisane, transnationale et intergénérationnelle et permette de rassembler des participants de toutes sensibilités de l’UE. Au-delà des think thanks, l’Union européenne n’a pas de grands rendez-vous annuels de haut niveau pour réfléchir à son avenir, nourrir directement les institutions européennes et contribuer à son agenda stratégique. Nous avons décidé de créer ce rendez-vous qui a nécessité un investissement considérable en temps, compétences et ressources.

Parmi les cofondateurs du Conclave à mes côtés, on compte des gens de toutes sensibilités politiques et de toutes disciplines, comme par exemple, le syndicaliste et ancien SGA de l’OCDE Aart de Geus, la politologue Daniela Schwarzer, l’ancienne négociatrice du traité de Lisbonne Maria Joao Rodrigues, l’industriel Etienne Davignon ou l’avocat Antonio Vitorino, tous deux anciens commissaires européens, le géopoliticien et économiste Loukas Tsoukalis, le mathématicien et ancien président du Conseil européen de la recherche, Jean-Pierre Bourguignon, les diplomates Philippe Etienne, Piero Benassi et Peter Grk, tous les trois d’anciens Sherpas… ainsi que des dirigeants de fondations européennes comme Erika Widegren et Grégoire Roos.

L’idée de ce groupe, c’est qu’il faut engager de manière diversifiée et au plus haut niveau des représentants des mondes politique, industriel, de l’entrepreneuriat, de la science, de la société civile… et des citoyens, pour promouvoir une réflexion libre à long terme sur l’avenir de l’Europe permettant de penser au-delà des urgences.

Nous avons choisi Conclave comme nom de ce nouveau rendez-vous, un format de conférence en « Chatham House » que les Américains et les Indiens utilisent pour des conférences dont ils souhaitent qu’en sorte un résultat concret… une fumée blanche. L’originalité du Conclave, c’est la diversité et la qualité de la cinquantaine de personnalités qu’il a rassemblé pendant trois jours dans le palais présidentiel de Cascais mis à disposition par le Président de la République Mario Rebelo De Sousa, depuis des premiers ministres jusqu’aux citoyens. C’est aussi le fait qu’il a été précédé d’une journée d’échange avec des personnalités non européennes afin d’éviter que, comme trop souvent, la réflexion sur l’Europe ne soit pas « à l’écoute du monde » et qu’elle ne prenne pas en compte les grandes dynamiques de transformation du monde en cours.

A quoi aboutit cette démarche de réflexion collective ?

Le résultat du travail est un rapport qui a requis, outre les trois jours de séminaire, quatre mois de travail et d’interaction avec la cinquantaine de participants. Cette démarche a permis d’établir plusieurs recommandations. Ce rapport « « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui – co-construire une puissance globale, durable et responsable » a été remis et discuté avec le Premier ministre belge, président en exercice du Conseil de l’UE ainsi qu’avec la Présidence du Conseil européen afin de préparer l’agenda stratégique européen 2024-2029 qui fixe le programme de travail de la Commission, du Conseil et du Parlement. Nous sommes en train de faire une tournée européenne pour le discuter avec les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 dont le président Macron. En France, il a été remis en mains propres à presque toutes les têtes de liste que nous avons rencontrées.

Quels est l’enseignement principal de ce rapport édifié par EuropaNova qui a été remis à l’ensemble des dirigeants européens ?

Le premier enseignement qui n’allait absolument pas de soi, c’est qu’il y a aujourd’hui les bases d’un consensus européen pour transformer l’Union européenne en puissance globale, durable et responsable. C’est un consensus qui n’avait rien évident il y a cinq ans ou il y a dix ans, dans la mesure où l’évocation d’une puissance européenne était un mot tabou et où l’Europe puissance était perçue comme une idée exclusivement française et concernant essentiellement l’Europe de la défense et de la sécurité.

Les grandes crises de ces dernières années, le Brexit, la pandémie et de ses conséquences sociales, les guerres aux frontières de l’Europe, l’imprévisibilité du comportement de notre partenaire américain, l’accentuation des tensions avec la Chine… ont changé la donne et ont fait comprendre aux Européens dans leur ensemble qu’ils devaient transformer radicalement l’Union européenne en grande puissance de nouvelle génération pour survivre dans un monde de plus en plus incertain, dangereux et hostile. Si l’intégration européenne a été un grand succès qui pu prospérer dans l’environnement d’après-guerre reposant sur le multilatéralisme et un commerce mondial encadré par des règles, c’est de moins en moins le cas dans un monde où le retour de la force et le non-respect des règles deviennent déterminants.

Maintenant le sujet, c’est de construire concrètement cette grande puissance qui ne peut être une superpuissance impérialiste à l’américaine ou la chinoise.

Vous proposez quatre priorités concrètes pour l’agenda stratégique que doivent adopter les 26 et 27 juin les dirigeants européens ?

Tout d’abord l’affirmation de l’Europe comme acteur géopolitique, notamment dans le domaine de la sécurité et de la défense qui ont à se fonder sur le développement d’une industrie d’armement et de technologie véritablement européenne. Cette affirmation doit se traduire par une nouvelle approche géopolitique en matière d’élargissement, avec un traitement spécial pour l’Ukraine qui est en soi une puissance en Europe, ainsi qu’une approche beaucoup plus offensive en ce qui concerne les migrations et les relations avec le reste du monde.

Le deuxième axe, c’est le développement d’un leadership scientifique et technologique avec la volonté politique de mettre fin au décrochage auquel on assiste depuis une dizaine d’années avec les Etats-Unis et la Chine. Ce décrochage explique la perte relative mais rapide de richesse de l’Europe par rapport aux Etats-Unis et pose un vrai problème de marginalisation économique accélérée des Européens dans la décennie qui vient.

Ensuite, la réinvention du modèle de développement européen autour de la production d’un certain nombre de biens communs, notamment dans le domaine de l’éducation, de la santé, des infrastructures énergétiques et numériques et du climat, qu’aucun Etat-membre n’a la capacité de produire seul et pour lesquels l’Union est nécessaire. Il s’agit de biens communs pour lesquels il y’a une attente très forte des citoyens… Ceci suppose de mettre en place un budget qui corresponde aux besoins qui ont été identifiés. Il y’a aujourd’hui un hiatus total entre les objectifs de l’Union et les moyens pour les mettre en œuvre qui créé un sentiment d’impuissance contribuant à nourrir le vote d’extrême droite.

Le quatrième objectif stratégique prioritaire est une nouvelle étape démocratique qui doit non seulement renforcer l’état de droit et les valeurs et les libertés fondamentales de l’Union, mais aussi la construction d’un espace public transnational numérique européen articulant les dimensions communautaires et nationales et permettant d’associer de manière continue et inclusive les citoyens au processus européen.

Ce rapport s’insère dans une discussion européenne foisonnante qui voit paraître les rapports Letta et Draghi, les interventions d’Ursula von der Leyen et le discours de la Sorbonne à venir d’Emmanuel Macron qui portera sur la puissance. Il semble d’ailleurs que la plupart de ces personnalités interviennent dans le même champ propositionnel qu’il déploie. Comment se situe-t-il dans ces échanges ?

Nous avons veillé dès début décembre à partager les résultats et enseignements du Conclave afin que ceux-ci alimentent les nombreuses réflexions, rapports et interventions publiques en préparation, notamment en rencontrant chefs d’Etat et de gouvernement et dirigeants des institutions. En conséquence, nous nous réjouissons que les enseignements du rapport se retrouvent dans les discours de Mario Draghi et d’Ursula von der Leyen, comme dans le rapport d’Enrico Letta. Le but de cette publication est de mettre la question de la puissance sur la table pour qu’elle devienne un enjeu central de l’agenda stratégique et des élections européennes.

Emmanuel Macron doit s’exprimer sur l’avenir stratégique de l’Europe à la Sorbonne, quels sont les éléments du discours que vous anticipez ?

Le premier discours de la Sorbonne en 2017 a été un grand succès européen, il répondait à une attente forte des européens après le Brexit. Ce discours, en donnant une vraie vision d’avenir accompagnée d’une proposition politique claire qui était la souveraineté européenne adossée à des mesures concrètes, a permis d’enclencher un débat à l’échelle du continent sur la souveraineté européenne.

A présent, la question, me semble-t-il, est de passer de l’affirmation de la souveraineté européenne à sa mise en œuvre concrète à travers une politique de puissance de nouvelle génération. Je suis intéressé par la manière dont le Président de la République va non seulement faire le bilan de son action passée mais aussi prononcer un discours d’approfondissement pour décliner effectivement la souveraineté dans les domaines essentiels que sont la géopolitique, la science et la technologie qui sont deux enjeux majeurs pour ré-industrialiser l’UE, la production des biens communs notamment sanitaires, climatiques et énergétiques et la démocratie.

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