Bye bye von der Leyen…

Dans quelques semaines, après les élections européennes, s’ouvrira la période du grand marchandage quinquennal pour les principaux postes à la tête des institutions européennes. Parmi ceux-ci, celui de président ou présidente de la Commission européenne n’est pas le moins déterminant pour l’avenir de l’Union. A l’heure actuelle, Ursula Von der Leyen est candidate à sa propre succession et semble avoir de bonnes chances de conserver ce poste. Pourtant de nombreuses raisons plaident contre une telle prolongation de son mandat.

Un bilan globalement positif face à la pandémie de COVID-19

A son actif, on peut placer son action face à la pandémie de COVID-19. C’est à ce moment là en particulier que l’Union a brisé un tabou majeur : elle s’est endettée à hauteur de 750 milliards d’euros pour y faire face tout en accélérant les transitions verte et numérique. Le rôle d’Ursula von der Leyen dans cette affaire ne doit pas cependant être surestimé. Cette décision historique est due avant tout à l’impulsion politique donnée par Angela Merkel, encore à l’époque chancelière d’Allemagne. Même si elle ne le reconnaitra sans doute jamais publiquement, elle avait compris qu’elle avait commis de graves erreurs d’appréciation durant la crise de la zone euro et la crise grecque et elle tenait à éviter que cela ne se reproduise et entache son bilan. Le rôle d’Ursula von der Leyen a été surtout de mettre en musique cette décision.

Là où son rôle personnel a été plus déterminant, c’est sur le sujet des vaccins contre le COVID-19. Là aussi, l’Union a brisé un tabou en décidant d’acheter en commun des vaccins alors qu’elle n’a en théorie pas de compétences en matière de politique de santé. Et sur ce terrain, Ursula von der Leyen s’est pleinement investie personnellement. Cela lui vaut aujourd’hui des difficultés suite à ses échanges directs avec le patron de Pfizer, en contournant les procédures normales d’appel d’offres. On lui reproche également des commandes trop importantes de vaccins qui ont entraîné des surcoûts sensibles pour l’Union. Je reviendrai plus tard sur la gouvernance autocratique de la Commission par Ursula von der Leyen et les problèmes qu’elle pose, mais dans le contexte très particulier de cette crise aigue où la question des vaccins était potentiellement une question de vie ou de mort pour des millions d’Européens, les reproches adressés aujourd’hui à Ursula von der Leyen sur ce sujet semblent très excessifs.

Un habitus ordolibéral inadapté à la période

C’est surtout quand on examine le reste de son action qu’on doit conclure qu’il n’est pas souhaitable qu’Ursula von der Leyen demeure à la tête de la Commission européenne. Confrontée à la guerre en Ukraine, à la nécessité de renforcer très rapidement la Défense et l’industrie de Défense européennes tout en accélérant la transition verte pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles russes, elle n’a rien tenté pour renforcer les capacités financières de l’Union, débloquer le dossier des ressources propres, et pérenniser les emprunts communs européens, malgré des besoins d’investissement manifestement colossaux.

Du coup, toute sa politique en matière de préparation de l’avenir relève largement du trompe-l’œil et de la cosmétique. On veut renforcer la Défense et l’industrie de Défense européennes, mais on ne met quasiment aucuns moyens en face et l’Ukraine risque de perdre la guerre. On veut accélérer la transition énergétique mais comme on est incapable de subventionner à grande échelle les industries vertes comme le font Chinois et Américains, on mise principalement sur un prix du carbone élevé. Ce qui pose des problèmes sociaux et politiques majeurs tout en affaiblissant les entreprises européennes par rapport à leurs principaux concurrents… Le temps de « l’effet Bruxelles » est terminé : il ne suffit plus d’édicter des normes au niveau de l’Union pour avoir son mot à dire dans le monde, il faut pouvoir mettre la main à la poche.

La question de la hausse des moyens à la disposition de l’Union est évidemment toujours une des plus difficiles à aborder politiquement, les résistances sont toujours très fortes et le risque d’échec majeur. Mais ce qu’on peut surtout reprocher à Ursula von der Leyen, c’est qu’elle n’a même pas essayé. Elle reste en réalité coincée dans son habitus de conservatrice allemande ordolibérale, parfaitement inadapté à la période que nous traversons. Alors pourtant, qu’en tant qu’Allemande, elle aurait eu sur ce terrain plus de chances de succès qu’un ou une Française, qu’un ou une Italienne ou qu’un ou une Espagnole si elle avait enfourché ce cheval.

Atlantisme et incompréhension à l’égard du « Sud Global »

Elle est donc mal placée pour contribuer efficacement à préparer l’avenir de l’Union dans ces domaines essentiels. Sa vision de la place de l’Europe dans le monde n’en reste pas moins problématique. Trop atlantiste, elle parait mal préparée aux turbulences qui ne vont pas manquer de se multiplier au cours des prochaines années dans nos relations avec les Etats Unis, que Trump l’emporte ou non. On l’a déjà constaté en particulier avec la réaction totalement insuffisante de la Commission européenne face à l’Inflation Reduction Act (IRA) et aux dégâts considérables qu’il cause à l’industrie européenne.

Mais c’est surtout son incompréhension de ce qui se produit dans ce qu’on appelle aujourd’hui le Sud Global qui pose problème. J’ai dit tout à l’heure que son action en Europe sur la question des vaccins avait été positive malgré les reproches qui lui sont adressés après coup, mais on ne peut pas en dire autant de l’action de l’Union vis-à-vis de ses partenaires du Sud Global durant cette période. L’égoïsme européen en matière de distribution des vaccins a laissé des traces profondes dans beaucoup de pays. Dans la foulée de la pandémie, Ursula von der Leyen avait bien lancé le « Global Gateway » pour essayer d’améliorer nos relations avec le Sud Global et concurrencer la « Belt and Road Initiative » chinoise. Là aussi, faute de moyens réels supplémentaires à injecter dans cette opération, il s’agit pour l’essentiel d’une opération Potemkine repackageant des projets qui étaient déjà dans les tuyaux, ce qui nous ridiculise plus qu’autre chose aux yeux de nombreux partenaires.

C’est surtout sur le terrain des migrations qu’Ursula von der Leyen a aggravé nos relations avec les pays du Sud de la Méditerranée, les dressant contre l’Europe, avec les conséquences qu’on a déjà pu constater au Sahel notamment. Elle a choisi en effet de s’allier de façon privilégiée sur ces sujets avec Giorgia Meloni et Viktor Orban, et son âme damnée à Bruxelles, le Commissaire Oliver Varehlyi en charge de la région méditerranéenne. Cela a conduit notamment à des accords passés avec deux des pires dictateurs de la région, Cais Saied en Tunisie en juillet 2023 et le Maréchal Al Sissi d’Egypte en Mars 2024. Ces accords sont tout d’abord de purs scandales institutionnels et démocratiques : ils n’ont été examinés et approuvés par aucune instance européenne légitime, ni la Commission elle-même, ni le Conseil de l’Union, ni le Parlement européen. Le pur fait du prince. Ils constituent aussi un scandale financier majeur, les 150 millions d’euros promis à Cais Saied et les 7 milliards donnés sans condition à Al Sissi dans l’espoir qu’ils retiennent les migrants, n’existent dans aucun budget de l’Union. Pour pouvoir les verser, il faudra les prendre sur l’argent destiné initialement à aider d’autres pays et notamment les pays d’Afrique sub-saharienne.

La gestion catastrophique du conflit israélo-palestinien

Enfin, la gestion du conflit israélo-palestinien par Ursula von der Leyen suite à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre dernier a été purement et simplement catastrophique. Non seulement lors de son voyage à Jérusalem le 13 octobre dernier où elle avait affiché un soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahu, mais aussi par la suite. Notamment lorsqu’elle a laissé le Commissaire hongrois Oliver Varhelyi, en charge du dossier, couper les fonds à l’UNRWA, l’agence des Nations Unies dont la mission réside dans le soutien aux réfugiés palestiniens à Gaza et dans toute la région.

L’attitude unilatéralement pro-israélienne d’Ursula von der Leyen dans cette crise a coûté, et continue de coûter, très cher à l’Union Européenne dans de nombreux pays. Notamment dans le monde musulman bien sûr, mais pas seulement. C’est le cas en Amérique Latine et en Afrique sub-saharienne où cette attitude manifestement déséquilibrée a renforcé beaucoup la crédibilité de la propagande russe sur une politique européenne de « deux poids deux mesures » suivant le fait que les civils massacrés sont des Ukrainiens ou des Palestiniens. Nous courons de plus en plus le risque de nous retrouver isolés par une coalition du « reste contre l’Ouest », de nombreux pays du Sud choisissant de soutenir plutôt la Russie et la Chine contre l’UE et les Etats-Unis. Il s’agit d’un des risques géostratégiques les plus graves pour l’avenir de l’Union. Il nous menace en effet beaucoup plus directement que les Américains dans la mesure où il s’agit de nos voisins immédiats. L’action d’Ursula von der Leyen a beaucoup renforcé ce risque.

Un fonctionnement autocratique à la tête de la Commission

Enfin, « last but not least », sa gestion de la Commission européenne elle-même est autocratique, ramenant tous les dossiers majeurs à elle et à son cabinet allemand. Une attitude contraire aux Traités européens qui prévoient depuis le départ que la Commission européenne soit un organe collégial où les décisions se prennent en commun, son Président n’étant qu’un primus inter pares. Rien de tel avec Ursula von der Leyen. Cette conception du fonctionnement de la Commission est un facteur majeur d’inefficacité.

Dans une Europe des 27, la Commission européenne ne peut certes plus fonctionner de la même façon que dans l’Europe des 6. Du fait de l’obligation d’avoir un Commissaire par Etat membre, tous les dossiers essentiels ont été éclatés entre plusieurs Commissaires. Pour fonctionner efficacement, il faudrait instaurer une hiérarchie au sein de la Commission avec des Vice-Présidences coordonnant l’action de plusieurs Commissaires. Une évolution que Jean-Claude Juncker avait initiée. En voulant traiter en direct avec chaque Commissaire, Ursula von der Leyen empêche cette coordination, embolise le système, encourage les guéguerres de territoire et le fonctionnement en silo, un des principaux problèmes qui limite l’efficacité de l’action de la Commission.

Bref, tant par son mode de fonctionnement autocratique que par son incapacité à se mobiliser afin d’obtenir des moyens supplémentaires pour l’Union, et par sa vision erronée et dangereuse de la place de l’Europe dans le monde, Ursula von der Leyen n’a pas été en réalité depuis cinq ans une bonne présidente de la Commission européenne, malgré une maitrise incontestable de sa communication personnelle. Il n’y a guère de raisons pour que des progressistes et des écologistes puissent souhaiter son maintien à ce poste.

Noël Benchettrit
Noël Benchettrit
Haut fonctionnaire

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14 Commentaires

  1. A tout le moins un commentaire partiel et partial …
    Partiel: ignorer la part prise par Emmanuel Macron dans l’initiative de relance franco-allemande de 2020.
    Partial : ignorer le choix assumé par Ursula Van der Leyen dès 2019 d’un Green deal européen.

  2. Je trouve cette analyse tout à fait convaincante et pertinente, même si peut-être d’autres points auraient pu être abordés, ceux qui le sont sont sans doute les plus importants et le sont de façon juste.
    Sans enter dans une polémique inutile, je ne suis pas convaincu de l’influence de M. Macron et de la France, qui est très forte pour discourir, mais beaucoup moins quand il s’agit d’agir concrètement. Quant au Gree ndeal, on sait ce que les gouvernements, et notamment la France en ont fait.

  3. Dans SLE, les articles courts sont à privilégier. Ils permettent aux non-spécialistes qui ont de multiples activités d’aller rapidement à l’essentiel. Les articles de fond sont à réserver pour d’autres médias.

    • Attention à la superficialité ! La valeur ajoutée de SLE réside précisément dans des analyses en profondeur d’aspects que négligent en général les « autres médias ». Comme je l’ai déjà souligné en réponse au même reproche qui m’est parfois adressé, nous ne publions pas -fort heureusement – en considération de la dictature des smartphones.

  4. Monsieur Benchetritt reproche à Madame von der Leyen de ne pas avoir pris des initiatives dans des domaines où les traités ne lui attribuent aucune compétence. A l’exemple du conflit à Gaza ou pourtant lorsque, à l’ONU, 8 états votent la motion de la Jordanie, 4 votent contre et 15 s’abstiennent, ne donnent-ils pas une direction limpide ? A que revienne l’époque d’un nouveau Barroso où les Etats ne s’opposaient pas à ses initiatives, d’ailleurs n’a-t-il pas été reconduit ? Je vais envoyer un message de gratitude et de soutien à Ursula von der Leyen.

  5. Et pas un mot sur les affaires de corruption, les sms, le procès en cours etc .. Une VDL blanchie à la lessive  » Sauvons l’Europe ». Quand au fonctionnement autocratique de la commission il l’est, il a été conçu ainsi, et il le sera encore, peu importe qui en sera le président.

    • Dramatique préjugé sur le fonctionnement des institutions de l’UE ! Il serait temps de prendre conscience des réalités en vous informant sur ce fonctionnement au lieu de rabâcher des lieux communs forgés à la bien-pensance d’un populisme désuet. Décidément, la propagande US a un infiltré de choix sur le site de SLE !

  6. Monsieur Benchetrit semble ignorer le fonctionnement et les actions réels de l’URNWA (entrisme du Hamas dans cette organisation …)
    Lire à ce sujet l’article de l’hebdomadaire Franc Tireur N° 128 du 24 avril 2024.

  7. Bonjour.

    Comme l’écrit un commentateur, nous aurons les mêmes problèmes s’il n’y a pas une réforme en profondeur du fonctionnement des institutions de l’UE.

    Certains semblent se réveiller comme notre président Monsieur Macron, ils s’aperçoivent que seul nous ne sommes rien, nous aurions une autre envergure si nous étions unis avec un véritable gouvernement Européen.

    Bye bye von der Leyen, trop cupide et atlantiste, trop allemande alors qu’elle devait être européenne avant tout.

    Comme je l’ai déjà écrit, l’heure de vérité approche, malgré les multiples alertes de ces dernières années, aucunes avancées significative allant dans le sens d’une véritable identité européenne, nous allons le payer très cher, déjà, de nombreux Européens le payent de vie, terriblement scandaleux

  8. Article hilarant et pourtant le 1er avril est loin derrière nous… Mme von der Leyen (et cet article qui l’encense aussi) représente toutes les dérives de l’Europe que les citoyens européens lui reprochent:
    – absence de démocratie : la présidente de la Commission est élue sur un modèle qui rappelle le Politburo de l’URSS ou le système du PC chinois, c’est à dire par cooptation entre fonctionnaires du sérail qui négocient ça sur un coin de table. Ce n’est pas forcément mauvais (on a besoin de spécialistes compétents et non de vedettes de télé-réalité) mais cessons de parler de démocratie: c’est une bureaucratie qui pourrait être compétente et efficace si elle n’était pas si corrompue
    – corruption généralisée : les nominations se font par négociation et ces négociations ne portent pas sur des idéaux et des sensibilités politiques. Il s’agit avant tout de gros sous, de lobbies, de pressions des différents agents externes (multinationales, mais aussi Etats, Qatar, USA, et même Azerbaïdjan, ainsi qu’un récent scandale nous le révélait…)
    – sans parler de la corruption parfaitement invraisemblable de la présidente elle-même, qui négocie en direct (oops, les sms ont disparu?!) en toute opacité, les contrats de livraison de vaccins avec Pfizer (tiens, de leur côté non plus aucune trace ne subsiste?! quelle coïncidence!)
    Je me doute bien que ce commentaire va outrer les eurolâtres bêlants qui hantent ce forum, peu désireux d’entendre et encore moins d’écouter depuis l’Olympe bruxellois les voix venant des profondeurs de l’UE…

  9. Même si de très nombreux reproches peuvent/ doivent être fait à UVDL , avons nous présentement une « solution » de rechange.

    • Oui, le courage politique qui devraient animés nos députés européens, ils devraient se battre pour l’idéal européen que nous ne cessons de réclamer (voir x commentaires qui vont dans ce sens et depuis longtemps).

      HILLARECLINTOX a parfaitement raison, nous débattons souvent de multiples choses en abordant jamais ou très peu l’essentiel.

  10. contrats Vaccins 71 Milliards versus 7 milliards donnés à Sissi. et l’histoire des vaccins est secondaire ??

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