Il faut ranimer la flamme franco-allemande

Dans les circonstances critiques que nous vivons, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une plus grande coordination économique européenne.

Le vide créé par le manque de cohésion entre la France et l’Allemagne laisse cependant ces voix se perdre dans une cacophonie destructrice, chacun y allant de sa proposition.Que de temps perdu alors que les outils de coordination et les contours d’un gouvernement économique existent depuis longtemps déjà !

En effet, dès la genèse de Maastricht, le cadre préalable à un gouvernement économique de ce qui devait devenir la zone euro avait été posé par les gouvernements sur la base d’un accord franco-allemand. Revenir sur les conditions de préparation et d’adoption de l’accord et du traité de Maastricht peut aider à répondre aux exigences du temps présent.

Il n’aura échappé à personne que le traité de Maastricht a établi les fondements de la monnaie unique et de la politique monétaire commune.

La négociation du traité s’était certes focalisée sur la monnaie compte tenu de la charge symbolique et des sacrifices considérables que cela impliquait pour l’Allemagne.

Mais Pierre Bérégovoy, alors premier ministre français, avait tenu à recentrer les débats au sein du conseil des ministres sur le sujet du gouvernement économique. Il était très ferme à ce sujet : la monnaie ne pourrait pas tenir sans politique économique commune.C’est ainsi que les articles 102 à 109 du traité, sous le titre « la politique économique », ont été rédigés et adoptés.

Avant même la fixation précise des critères de convergence censés instaurer une discipline commune, il s’agissait de créer un effet d’entraînement qui mènerait à un fédéralisme économique et pas seulement monétaire. Nous nous situions dans la droite ligne de la méthode Monnet : des réalisations concrètes devaient entraîner des solidarités de fait.

Le traité était on ne peut plus clair : « Les Etats membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil ». Et celui-ci d’instaurer des mécanismes de surveillance multilatérale et de règles de discipline financières et budgétaires.

La lecture de l’article 103 est éclairante : « lorsqu’il est constaté (…) que les politiques économiques d’un Etat membre ne sont pas conformes aux grandes orientations (de la Communauté) ou qu’elles risquent de compromettre le bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur recommandation de la Commission, peut adresser les recommandations nécessaires à l’Etat membre concerné (et)décider de rendre publiques ses recommandations ».

En d’autres termes, l’attitude non coopérative d’un Etat membre pouvait être dénoncée sur la base d’une décision prise à la majorité de ses partenaires.

Le Conseil et la Commission devaient en outre rendre compte de la mise en oeuvre de cette coordination devant le Parlement européen.

Pendant de nombreuses années, ce système préfigurant un gouvernement économique a fonctionné correctement.

L’adoption ultérieure des quatre critères dits de Maastricht, avec pour symbole la barre indépassable des 3 % de déficit public, aussi discutables soient-ils, en a été une illustration. Or l’effet d’entraînement attendu ne se sera pas poursuivi.

De nombreux facteurs peuvent expliquer le délitement de cette ambition fédérale, qu’il s’agisse des élargissements qui ont suivi ou de l’impact des opinions publiques nationales.

Mais il est un élément fondamental, premier, pour comprendre ces avancées et leur absence de suite : le concret des relations entre la France et l’Allemagne. A l’époque de Maastricht, parler de « couple » franco-allemand, c’était désigner des personnes de chair et d’os, qui se parlaient et se voyaient sans cesse avec la conscience de vivre des moments uniques dans l’histoire de l’Europe.

Tout cela n’était possible que dans le cadre d’une collaboration constante. Concrètement, les contacts entre les ministres des affaires étrangères de l’Allemagne et de la France étaient hebdomadaires, voire bihebdomadaires.

Au moins une fois par semaine, Hans-Dietrich Genscher téléphonait le matin au ministère et proposait de déjeuner ensemble ce jour-là.

De Bonn, il n’hésitait pas à prendre l’avion pour arriver à la mi-journée. Les deux ministres se retiraient dans le bureau du rez-de-chaussée du Quai d’Orsay et partageaient un repas, sans conseillers – ce qui mettait ces derniers dans l’angoisse…

De leur côté, ces conseillers étaient en contact permanent et souvent hors des cadres formels. Et, tous les dimanches, un point téléphonique avait lieu pour faire le tour de l’actualité des deux pays, et de l’Europe.

Au fil de ces rencontres se forgeaient de réelles amitiés, et au-delà, un « esprit de compromis » et de travail en commun. C’était l’esprit de Maastricht.

Si des contacts de ce type avaient perduré, ils auraient sans aucun doute permis de concrétiser les implications politiques des mécanismes du traité, qui relevaient pour nous de la nécessité absolue. L’écart entre les points de vue allemand et français est aujourd’hui tellement grand que les deux pays ne sont même plus capables de s’entendre sur les mots.

Ainsi, quand la France parle d’un gouvernement économique européen reposant sur des politiques économiques et budgétaires communes, l’Allemagne tient à une notion de « gouvernance économique » qui limiterait la coopération à des règles et une discipline partagées.

L’urgence est donc aujourd’hui d’abord de reconstituer le couple franco-allemand. Nos dirigeants, nos ministres, et en premier lieu Bernard Kouchner et Guido Westerwelle doivent réapprendre à se connaître, à se voir toutes les semaines.

Voilà quelle devrait être notre première règle de discipline commune. C’est à la condition de cette compréhension mutuelle, voire de cette intimité « politique », que la dissonance entre nos pays cessera.

Entre la France et l’Allemagne, entre Mitterrand et Kohl, entre leurs ministres des affaires étrangères, il existait cet atout impalpable et sans prix : la confiance.

En économie, on sait combien elle est fondamentale.

Publié dans le Monde du 10 juin 2010

Roland Dumas est avocat, ancien ministre des affaires étrangères, ancien président du Conseil constitutionnel ;

Antoine Boulay est directeur associé de Vae Solis Corporate ;Mathieu Collet est président d’Euros du Village.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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