La ruée européenne vers l’austérité

On a vu dans un billet précédent que la crise autour de l’Euro, puis de l’Espagne et du Portugal a tranché en pratique la question de l’existence d’un gouvernement économique. L’interdépendance dans l’indifférence ne s’est pas révélée viable et l’âne de Buridan européen a pris une solide claque sur les fesses qui l’a poussé à avancer un peu vers la mise au pot commune des problèmes budgétaires.

Le saut vers un fonds de garantie européen qui met en commun les dettes des Etats, la nouvelle politique de la BCE d’intervention sur les marchés, tout cela balaie l’idée que chacun peut faire son chemin séparé à l’ombre de l’Euro. Les Etats membres doivent coordonner leurs politiques économiques pour ne plus tirer à hue et à dia. Et justement, le fait que l’Europe soit prise dans une crise économique historique, d’une ampleur que l’on croyait disparue depuis 1929, milite fortement en faveur d’une politique concertée de relance face à la crise.

Ah ? On me dit que non. Apparemment, tout ceci milite plutôt comme aux beaux jours de 1929 pour un resserrement généralisé du contrôle budgétaire. Mais le passage à une gestion en commun de la politique économique, ou au moins à une concertation devrait être acquis.

Ou pas.En réalité, depuis que, poussés par les marchés lors du week-end du 9 mai, fête de l’Europe, les chefs d’Etat et de gouvernement ont du consentir à la mise ne place d’un super-fonds européen de sauvegarde aux modalités obscures, ils n’ont cessé de se déchirer sur la suite des évènements.

Ayant été amenés clairement contre leur gré à européaniser le traitement de la crise grecque, puis espagnole, ils n’ont pas d’idée nette sur l’architecture à mettre en place car ils n’assument pas qu’une telle architecture doive exister. A la place, c’est un consensus immédiat sur la politique économique à suivre qu’ils recherchent : l’austérité budgétaire.

Il y’a quelques mois, l’ensemble de l’Europe s’appliquait à des plans de relance à la hauteur de la crise économique la plus grave qu’on ait connue depuis les années 30, laissant en particulier filer les stabilisateurs automatiques. La crise grecque est venue jeter un doute sur la soutenabilité de cette politique en termes de capacité à rembourser un jour le déficit ainsi accumulé. L

‘accroissement de la dette japonaise est précisément ce qui a empêché ce pays de mener une politique de relance jusqu’au bout dans les années 90 et nombre de pays européens se trouvent aujourd’hui dans cette situation.

La réponse à cette situation est précisément de globaliser la solidité financière des Etats européens, afin de permettre une action à la mesure des difficultés rencontrées. Mais dès lors que l’Allemagne, entre autres, s’oppose farouchement à cette solution, le fonds européen a pour vocation de ne pas être utilisé.

Ceci appelle donc à la mise en place d’une maîtrise absolue des finances publiques pour stériliser toute potentialité pratique de l’instrument que les marchés financiers ont contraint les gouvernements à créer.Et ainsi l’austérité budgétaire s’abat sur le continent. L’Allemagne, qui a adopté au tournant des années 2000 une stratégie de compétitivité par réduction des coûts a complété celle-ci sous la houlette d’Angela Merkel par la lutte contre les déficits. E

n 2008, le budget fédéral allemand était à l’équilibre, mais celui des Länder se creusait fortement. La crise ayant contrecarré cet effort, le gouvernement a choisi de conjurer le spectre en s’obligeant constitutionnellement en juin 2009 à l’équilibre budgétaire pour les Etats fédéral et fédéraux, puis le met en oeuvre en prévoyant près de 100 milliards d’euros de coupes budgétaires sur quatre ans ce mois-ci,La crise grecque conduit l’Allemagne à imposer l’austérité à l’ensemble des pays en danger potentiel, c’est à dire potentiellement tout le monde afin d’obtenir la garantie de ne pas être appelée en garantie par des cigales.

Jean Quatremer rapporte même que Thomas de Maizière, ministre de l’Intérieur allemand, lui a déclaré le 19 mai que « Le principe de base de l’économie de marché est que chacun doit assumer ses responsabilités »,et que« une aide précoce et inconditionnelle à la Grèce aurait suscité des paris des marchés et des demandes supplémentaires et cela nous aurait au final coûté plus cher ».

En d’autres termes, le gouvernement allemand déclare que la lenteur de l’acquiescement de Merkel au plan de sauvegarde ne relève pas d’une indécision, mais d’une volonté délibérée de faire monter la pression des marchés financiers sur les pays budgétairement fragiles afin de leur signifier qu’ils doivent rentrer dans le rang et que l’Allemagne ne les sauvera pas.

Dans la mesure où le délai imposé par l’Allemagne dans le traitement de la crise grecque aboutit à la situation précisément inverse, avec la mise en place d’un fonds colossal, il faut mettre ces propos sur le compte d’une grave erreur de prévision ou, plus vraisemblablement, de la forfanterie. Ils ne sont pas moins révélateurs d’un certain état d’esprit.

Toujours est-il que l’impulsion est lancée et que l’Espagne, le Royaume-Uni et d’autres encore se mettent à rivaliser de plans de rigueur, la BCE en fait sa doctrine en indiquant que si la rigueur est néfaste à court terme pour la croissance, plusieurs exemples historiques établissent qu’elle est bénéfique à moyen terme.

Après examen des exemples historiques proposés, Paul Krugman démontre cependant que l’ensemble des stratégies de rigueur budgétaire couronnées de succès sont en réalité un policy mix : dans chaque cas le moteur de croissance a été déplacé de la dépense publique à une relance en cours extrêmement forte des exportations ou à une baisse d’un ordre de dix points des taux d’intérêts. Pour l’Europe d’aujourd’hui, aucune de ces deux stratégies n’est disponible, le commerce mondial s’étant contracté de 20 points depuis la crise et les taux d’intérêt étant proches de zéro.

Patrick Artus propose pour sa part de revenir de manière massive sur la déformation du rapport salaires / profit intervenu depuis les années 70. Plus intéressant – ou inquiétant, c’est selon – Krugman raconte que lors de ses rencontres récentes avec des officiels allemands, ces derniers ont été dans l’incapacité d’avancer une justification à la nécessité de mettre en place l’austérité budgétaire en Europe.

Le FMI s’inquiète de cette passion soudaine et s’y oppose de manière répétée. Dominique Strauss-Kahn explique le 26 mai que « la création par l’Europe d’un fonds de stabilisation pour les pays en difficulté est utile, mais ces ressources devraient être utilisées pour stimuler la croissance.

Sans croissance, il leur sera très difficile de sortir de la crise ». Dans un entretien à la Tribune, Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI déclare pour sa part le 24 : « le risque est en effet la que, sous la pression des marchés, certains pays fassent du zèle dans l’austérité.

Ce serait une erreur. ». Le bulletin de mai du FMI enfin, préconise la stabilisation des dépenses publiques à moyen terme mais avertit que « la stabilisation à court terme de la dette publique n’est ni faisable ni souhaitable, compte tenu de l’ampleur du resserrement budgétaire nécessaire et du risque de ralentissement de la reprise. »

Pourquoi alors cette ruée générale vers l’austérité ? Notons d’abord qu’il n’y a aucun consensus sur la question, mais au contraire un affrontement droite – gauche assez net. La quasi-totalité des pays de l’Union est à l’heure actuelle dirigée par des conservateurs, et la Grèce et l’Espagne ont été contraintes à la rigueur par les marchés financiers entre inquiétudes et spéculation. Un incident révèle assez clairement l’état réel du rapport d’opinions : il s’agit du rapport Liêm Hoang-Ngoc sur la viabilité à long terme des finances publiques dans le contexte de la relance économique.

Entièrement récrit en commission par la droite et le centre, le rapport final est un appel à l’austérité budgétaire, au point que l’eurodéputé socialistes français a tenu à en retirer son nom, ce qui est rarissime.

Au Parlement, ce texte de principe a démontré une fracture entre droite et gauche, le centre et la droite le votant massivement alors que la gauche et les écologistes s’y opposaient.Une première clé est donc le poids économique de l’Allemagne et le tropisme conservateur vers l’équilibre budgétaire, quoique la situation puisse commander. Elle n’est pas la seule.

L’austérité généralisée permet en effet surtout aux gouvernements conservateurs de mettre en place une politique économique commune par accord idéologique sans avoir besoin de trancher une question fort épineuse : quel gouvernement pour l’Eurozone ?Nous en reparlerons prochainement

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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