Parlement européen : grandes manœuvres à droite !

À cinq mois des élections européennes du 6-9 juin, et au milieu d’un affrontement électoral commencé bien en avance, de tous nouveaux équilibres sont attendus entre les groupes politiques du Parlement européen, tandis que les stratégies des alliances changent.

Tous les sondages montrent une forte progression des deux groupes à droite du PPE, celui souverainiste (Conservateurs et Réformistes Européens, ECR) dont fait partie la FDI, et celui d’extrême droite nationaliste ID (Identité et Démocratie), parmi lesquels figurent les élus de la Ligue, mais aussi les Français du Rassemblement national de Marine Le Pen et les Allemands de l’AfD (Alternative pour la démocratie).

L’extrême-droite en forte progression selon les sondages

Les dernières enquêtes — d’Europe Elects et Euractiv — prévoient entre 80 et 81 sièges pour l’ECR contre 68 actuellement (provenant de 17 pays), et entre 92 et 93 pour l’ID contre 59 actuellement (provenant de huit pays).

L’ECR, actuellement cinquième groupe, deviendrait le quatrième tandis que l’ID passerait de la sixième à la troisième place, au détriment du groupe Renew (libéraux-démocrates) qui est attendu en fort recul (une vingtaine de sièges en moins) et passerait de la troisième à la cinquième place, avec un peu plus de 80 sièges.

Cependant, une série de manœuvres en cours, ou attendues immédiatement après les élections, pourraient augmenter considérablement le nombre de partis participants et le poids du groupe ECR, qui n’est pas exclu, pourrait ainsi dépasser l’ID, lui ravissant la troisième place. En témoignent l’entrée récente au sein du groupe ECR d’un des deux députés européens du parti d’extrême droite français Reconquête, et l’ouverture à un accord avec le parti du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, le Fidesz, qui rejoindra probablement le groupe après les élections.

Le PPE, bien qu’en baisse par rapport aux 182 sièges actuels, resterait le premier groupe politique avec 178 députés. Les Socialistes et Démocrates (S&D) conserveraient également la deuxième position, avec 143 députés, mais avec une dizaine de sièges de moins qu’aujourd’hui.

Les sondages prédisent une sévère défaite pour les Verts, qui passeraient de la cinquième place actuelle (74 sièges) à la sixième place (50 députés). Il reste possible qu’après les élections la patrouille du M5S, actuellement parmi les non-membres, rejoigne enfin le groupe écologiste, à condition que l’opposition des Verts allemands tombe, ou que le Mouvement Cinq Étoiles — impatient de la longue période dans le salle d’attente — ne demande pas à rejoindre d’autres familles politiques (S&D ou Renew). Dans les derniers sondages italiens, le M5S se situe autour de 17%, soit le même pourcentage qu’en 2019, où il avait remporté 14 sièges.

Finalement, peu de changements devraient se produire pour le groupe de Gauche, le plus petit des sept groupes de députés européens, avec un léger recul (de 41 à 37 sièges actuellement).

La scrutin proportionnel : une source d’incertitudes

Il convient toutefois de souligner que lors des prochaines élections, le nombre total de députés européens augmentera, passant de 705 actuellement à 720, et la majorité absolue passera de 353 à 361 voix. Ceci, ajouté au fait que les élections européennes se déroulent au scrutin proportionnel, contrairement aux élections nationales dans de nombreux pays, pourrait entraîner des surprises par rapport aux prévisions actuelles des sondages.

Dans ce contexte, il est important de noter les différentes stratégies d’alliance pour la période post-électorale qui se dessinent surtout au centre et à droite, alors qu’à gauche il ne semble pas y avoir de changement de paradigme quant à la volonté de reconstituer l’alliance pro-européenne avec le PPE qui a caractérisé la soi-disant « majorité Ursula » dans cette législature. Avec la volonté de collaborer, quand cela est possible, avec l’ECR, mais en maintenant le « cordon sanitaire » envers l’ultra-droite d’ID.

Un changement de stratégie en cours lancé par le PPE

Le changement de stratégie le plus important est celui déjà en cours par le PPE, qui a commencé après les élections locales aux Pays-Bas au printemps dernier qui ont donné, de manière surprenante, la victoire au Parti Paysan et ont marqué le début de la vague contre la mise en œuvre du dernier volet du grand projet législatif du Green Deal. Une vague que le PPE dirigé par Manfred Weber — avec la contribution notable d’une autre figure phare du groupe, la Néerlandaise Esther De Lange — a surfé en se plaçant résolument à droite et en votant de nombreuses mesures, en commissions parlementaires et en plénière. Non seulement avec l’ECR et une partie minoritaire de Renew, mais aussi avec ID, contre l’alliance écologiste de centre-gauche.`

La stratégie de Weber, déjà vue en action, n’est pas du tout celle de créer une nouvelle alliance stable de centre-droit, incluant l’extrême-droite et sans les socialistes, comme le voudraient l’ID et une partie du ECR. Cette stratégie vise plutôt à restaurer une centralité absolue au PPE pour établir de temps à autre des majorités différentes, en fonction des sujets débattus et des mesures soumises au vote de la plénière.

L’objectif est de faire en sorte que la prochaine présidence de la Commission européenne demande le soutien et le vote pour ses propositions directement au PPE, et non plus à une réédition de la « majorité Ursula », dans laquelle les priorités du Parti Populaire pourraient être mis en minorité et marginalisés.

Ce projet semble avoir été bien compris par la Première ministre italienne et leader du ECR Giorgia Meloni, qui a déjà indiqué qu’elle ne partageait pas du tout la revendication de ses alliés gouvernementaux de la Ligue de recréer également en Europe la coalition majoritaire italienne. Aussi parce qu’il est peu probable que le PPE, l’ECR et l’ID obtiennent la majorité absolue à Strasbourg. Si et quand cela est nécessaire, à partir du vote de confiance envers la nouvelle Commission, le ECR votera, avec le PPE, également avec les socialistes — et bien sûr avec les libéraux de Renew — et non avec l’extrême-droite. Surtout si, comme cela semble de plus en plus probable, Ursula von der Leyen est reconduite à la tête de la nouvelle Commission, qui, après une première phase difficile dans ses relations avec Weber, semble désormais s’être alignée sur la nouvelle stratégie du PPE.

Un jeu d’alliances pour devenir le courant dominant européen

C’est également dans ce contexte qu’il faut considérer les excellentes relations du Premier ministre italien avec l’actuel, et probablement aussi le futur président de la Commission. Il sera cependant important que l’ECR ait la force et la crédibilité nécessaires pour être associé de la manière la plus stable possible à la stratégie de Weber, afin que le groupe de Meloni puisse également assumer, au moins en partie, la nouvelle centralité que suggère le PPE. En retour, il joue un rôle stabilisateur, modérateur et d’intégration complète du mouvement souverainiste dans le courant dominant européen des négociations et des alliances politiques.

Pour avoir plus de force politique, l’ECR devra non seulement obtenir les brillants résultats électoraux que tout le monde attend lors des élections, mais aussi augmenter le nombre de partis nationaux adhérant au groupe. L’ECR gagnerait ainsi la crédibilité nécessaire en vue de l’alliance avec le PPE. Les conservateurs devront garantir la continuité de la ligne atlantiste, anti-russe et pro-ukrainienne de Giorgia Meloni, et une attitude qui ne soit pas anti-européenne, mais plutôt favorable au renforcement de projets pour une politique étrangère, de sécurité et de Défense commune et, pour ce que l’on appelle, « l’autonomie géostratégique » de l’Europe. Le souverainisme des conservateurs restera anti-fédéraliste mais s’exprimera plutôt en appelant à plus de « subsidiarité » dans certains secteurs de la politique intérieure de l’UE, comme les politiques environnementales.

Pour affirmer cette ligne et convaincre les composantes les plus radicalement souverainistes de son groupe, Giorgia Meloni sera appelée à exercer les capacités de médiation dont elle a déjà fait preuve au niveau européen. Son rôle pour convaincre Orbán de lever son veto sur l’aide de 50 milliards d’euros à l’Ukraine lors du dernier Conseil européen a été reconnu par tous. La théorie semble très fondée selon laquelle, en échange, la Première ministre s’est engagée à faire le nécessaire pour assurer l’entrée d’Orbán dans l’ECR du Fidesz (qui en Hongrie dispose de 40% des voix) après les élections européennes. Depuis sa sortie du PPE il y a trois ans (décidée par Orbán pour éviter son expulsion, après deux ans de suspension), le parti hongrois est resté parmi les non-membres, perdant une grande partie de son pouvoir au Parlement européen. Il reste à voir si Orbán et ses députés accepteront de continuer à modérer leurs positions pro-russes et fortement anti-européennes.

Reconquête renforce la présence de l’ECR

L’adhésion de Nicolas Bay au groupe conservateur, du parti Reconquête dirigé par Eric Zemmour, s’inscrit dans la stratégie de renforcement de l’ECR, qui sera ainsi enfin également représentée en France. L’autre député européen de Reconquête, Gilbert Collard, est resté pour l’instant parmi les non-membres, mais après les élections, on s’attend à ce que le parti français dispose de six sièges. Il semble que l’opération ait été menée directement par les députés européens FDI, le vice-président du groupe ECR, Nicola Procaccini, et Vincenzo Sofo, époux de la vice-présidente de Reconquête, Marion Maréchal, qui est la nièce de Marine Le Pen et qui dirigera le liste électorale européenne.

Un autre parti de droite qui pourrait rejoindre le groupe ECR, probablement après les élections, est celui de l’Alliance pour l’unité de la Roumanie (AUR). Fondé récemment (en 2019), l’AUR s’est imposé avec 9 % aux élections politiques roumaines de 2020 et les sondages le donnent désormais à 20 %. En juin, il pourrait faire élire une dizaine d’eurodéputés. Plus que l’attitude envers la Russie et l’Ukraine, le problème qui pourrait survenir avec l’AUR est son nationalisme radical, qui inclut les revendications roumaines sur la Moldavie, pays candidat à l’adhésion à l’UE.

En intégrant ces nouveaux partis nationaux, l’ECR risque encore de perdre quelques morceaux. Le Parti démocrate tchèque (ODS), l’un des membres fondateurs du ECR, s’oppose à l’adhésion du Fidesz, affirme que les positions d’Orbán n’ont rien de commun avec les valeurs du groupe et menace de le quitter si les Hongrois entrent. Le malaise quant au virage à droite annoncé avec l’entrée du Fidesz et de Reconquête a également été signalé par les députés européens du parti nationaliste flamand N-VA, qui pourrait quitter le groupe ECR et demander à rejoindre le PPE.

L’ECR, fondé en 2009 par les conservateurs britanniques, par l’ODS tchèque lui-même et par le PIS polonais (« Droit et Justice »), s’est progressivement orienté vers la droite, après le Brexit, avec la radicalisation du PIS et avec l’adhésion du parti Vox espagnol et du « Parti finlandais ».

Un autre problème est l’hostilité envers le PIS au sein du PPE (notamment de la part de l’actuel Premier ministre polonais, Donald Tusk), tandis que les représentants de Renew ont annoncé qu’ils ne voulaient pas négocier avec le ECR si Reconquête en faisait partie.

Le groupe ID se prépare également à accueillir de nouvelles forces politiques nationales d’extrême-droite. Les élus du Parti de la Liberté (PVV) de Geert Wilders — qui ne comptait jusqu’à présent aucun député européen mais est devenu le parti leader aux Pays-Bas lors des élections législatives de 2023 — ainsi que ceux du parti populiste portugais Chega ! (Assez !) qui, trois ans après sa fondation, a obtenu 12 sièges (7,2 %), aux élections nationales de 2022.

Cependant, des problèmes internes commencent à surgir même au sein de l’extrême-droite : après que l’AfD a dévoilé son projet de « remigration » (l’expulsion des migrants et des citoyens allemands d’origine étrangère), qui a déclenché des dizaines de manifestations dans toute l’Allemagne, le leader du Rassemblement national, Marine Le Pen a évoqué une possible scission du groupe, dans lequel le RN français serait le premier parti après les élections (et le parti le plus voté en France).

Première parution en Italie sur Askanews.it

Lorenzo Consoli
Lorenzo Consoli
Ancien président de l’Association de la presse internationale à Bruxelles, correspondant de l’agence de presse italienne ASKA News à Bruxelles.

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1 COMMENTAIRE

  1. Bonne analyse factuelle de la situation politique globale dans l’U.E. Quelles conclusions en tirer ? La droite s’extrêmise de plus en plus en normalisant ses relations avec la droite extrême et l’extrême droite. En face, une gauche désunie, avec un certain nombre de sociaux-démocrates (pas tous) ayant déjà opéré leur conversion vers la droite et une gauche (socialistes, anciens communistes et écologistes) qui n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un programme commun.
    En Belgique, Paul Magnette essaie (avec la FGTB, le puissant syndicat socialiste) d’opérer un tel rassemblement avec Ecolo et le PTB (Parti du Travail de Belgique) La droite et l’extrême droite hurlent au collectivisme tandis que les nationalistes flamands (droite extrême et extrême droite), quasi majoritaires en Flandre, y voient une belle opportunité d’indépendance de leur région. De plus, Paul Magnette doit faire face aux baronnies régionales de son propre parti, affairistes et corrompues.
    L’union n’est donc pas simple, elle est pourtant la seule solution pour faire barrage à l’extrême droite en voie de triompher.

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