Un grand triomphe et quelques nuages pour le Labour

Sur le papier, il s’agit d’une victoire magnifique et écrasante pour les Travaillistes. En obtenant 412 sièges à la Chambre des Communes, le Labour égale son succès de 2001 et se situe à sept sièges seulement du raz de marée mémorable de 1997. En pourcentage des sièges obtenus, on parle donc de la deuxième performance depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mieux encore, si l’on considère que cette victoire vient succéder à la défaite catastrophique en 2019, le gain de 209 sièges surpasse largement celui de 1997. La performance est d’autant plus remarquable que personne n’aurait imaginé en 2019 que le Labour pourrait obtenir une majorité – à fortiori un tel raz de marée – en une seule élection en partant d’un nombre de sièges aussi faible. Dans un pays où l’on a tendance à considérer le Parti Conservateur comme « le parti naturel de gouvernement », Keir Starmer n’est que le cinquième leader Travailliste à remporter une élection. Ce qui n’est pas rien.

Une performance à relativiser

Toutefois, si la performance en sièges est admirable, le score brut obtenu par le Labour est tout à fait décevant.  Avec 33,7% des suffrages, les Travaillistes ne gagnent même pas deux points par rapport à 2019 et finissent très loin de la barre des 40% que leur prêtaient les sondages. Il s’agit de facto de la plus grande distorsion entre l’ampleur de la majorité et le relatif faible score obtenu. Deux éléments expliquent ce phénomène : l’importance du vote tactique entre le Labour et les Libéraux Démocrates qui a maximisé le score des deux partis ainsi que l’émergence du Reform Party qui a sans doute offert au moins cent circonscriptions de plus au Labour, au grand désavantage des Tories.

Bien sûr, tout cela ne doit pas éclipser l’importance de l’œuvre accomplie par Keir Starmer pour rendre son parti à nouveau présentable et le replacer sur la voie du succès. Si les Travaillistes ne génèrent pas forcément l’enthousiasme comme c’était le cas en 1997, du moins n’effraient-ils plus l’électorat, ce qui leur a permis – dans un pays où l’addition de Reform et des Tories montre qu’il reste encore très droitisé – d’accéder enfin au 10 Downing Street. Il est à noter que des enquêtes d’opinion ont montré que même dans ce contexte très défavorable aux Tories, un Labour mené par Jeremy Corbyn aurait fini encore six points derrière. Il s’agit donc bien de la victoire de la méthode Starmer consistant à revenir à une idéologie sociale-démocrate, en chassant la gauche radicale sans pour autant retomber dans un New Labour suranné et en prônant une gauche régalienne n’hésitant pas à aborder les questions sécuritaires.

Le pire revers des Tories depuis un siècle

De leur coté, les Tories enregistrent leur pire revers depuis 1906 en obtenant une quarantaine de sièges de moins qu’en 1997. Force est de constater que le désastre est amplement mérité après une dernière décennie au pouvoir tout simplement catastrophique, alliant le Brexit à une mauvaise gestion du Covid, en passant par une instabilité au niveau des leaders, des scandales de corruption ainsi que de mauvais résultats économiques.

Et si la tâche de Rishi Sunak apparaissait déjà d’emblée comme étant insurmontable en succédant au corrompu Boris Johnson et à l’incompétente Liz Truss, le Premier ministre sortant n’a jamais semblé en capacité de proposer une voie cohérente qui lui aurait permis de limiter les dégâts. Prisonnier de son aile droite qui n’a jamais véritablement digéré la façon dont il a accédé au poste de leader, il est apparu comme tiraillé entre le centre et la radicalité, perdant finalement sur les deux tableaux. En effet, les Tories ont subi l’effet de la tenaille avec une perte substantielle de voix sur l’extrême-droite tout en abandonnant des sièges au Labour dans le Nord ainsi qu’aux Libéraux Démocrates dans le Sud, avec des déperditions certaines au sein de l’électorat le plus centriste. L’équation pourrait être délicate à résoudre pour les Tories même si leur choix semble déjà acté du fait de la défaite de plusieurs éléments modérés, dont Penny Mordaunt qui a perdu son siège. L’annonce de Jeremy Hunt comme quoi il refusait de concourir pour le leadership rend maintenant hautement probable le fait que le parti devrait opter pour une ligne de droite radicale, dans l’objectif avoué de rallier une partie de Reform.

L’extrême-droite dans un rôle de spoiler

Pour Reform, la performance en voix aux alentours de 15% tranche évidemment avec le faible nombre de sièges obtenus. Comme prévu du fait du mode de scrutin, le parti d’extrême-droite aura eu davantage le rôle du « spoiler » que celui du grand bénéficiaire de l’opération. Une comparaison me vient toutefois à l’esprit : la genèse de la montée en puissance du Rassemblement National en France s’était déroulée exactement dans les mêmes conditions. Or, si le Reform Party ne se situe pas encore dans la peau d’un parti jouant la gagne, il est très préoccupant de le voir réaliser une percée dans le Red Wall, cette région du Nord dans laquelle se concentrent les circonscriptions les plus pauvres du pays, celles qui votaient Labour jusqu’en 2015 avant de devenir les bastions du Brexit puis de plébisciter Boris Johnson. Evidemment, le Labour reprend beaucoup de ces circonscriptions de façon mécanique, du fait de la division du vote entre les Tories et le Reform Party mais il n’en demeure pas moins que les germes de la catastrophe se profilent si le Labour devait se montrer incapable de régler les multiples problèmes sociaux et d’améliorer la vie des électeurs du Red Wall. Les Tories, quand à eux, espèrent sans doute que les électeurs de Reform seraient susceptibles de venir à eux : toutefois, les choses ne sont pas aussi simples puisque seuls 36% des personnes ayant voté Reform ont déclaré qu’ils auraient pu voter pour les Tories. Le fait est que, à l’instar d’autres partis d’extrême-droite en Europe, beaucoup de ses électeurs ne se reconnaissent tout simplement pas dans la droite traditionnelle.

Concernant les autres partis, les Libéraux Démocrates remportent 72 sièges, ce qui constitue la meilleure performance depuis un siècle pour une troisième force. Ils doivent ce résultat à un vote tactique des Travaillistes en leur faveur dans les circonscriptions qu’ils disputaient aux Tories, ce qui leur a permis de maximiser l’efficacité de cette stratégie. Ironie du sort pour ce parti qui prône la proportionnelle depuis toujours, ils auront pour la première fois obtenu davantage de sièges grâce au scrutin uninominal qu’ils n’en auraient emporté à la proportionnelle. Assumant un positionnement ouvertement centriste, les Libéraux Démocrates auraient bien sûr tout à gagner d’un raidissement idéologique des Tories vers la droite radicale. De son coté, le SNP est sans doute le grand perdant des élections aux cotés des Tories puisque l’Ecosse est la seule région dans laquelle le Labour progresse de manière importante en nombre de suffrages. Il faut dire qu’après un Brexit ayant traumatisé les Ecossais, le retour du Labour à une idéologie sociale-démocrate historiquement dominante en Ecosse ne pouvait que faire mouche.

Starmer dispose d’une marge de manœuvre considérable

Malgré sa majorité écrasante, Keir Starmer devra donc prendre garde à ne pas trop prendre ses comparaisons avec 1997. A cette époque, le Labour l’avait emporté avec dix points de plus quand aujourd’hui, il s’agit davantage d’une victoire sans enthousiasme. Il existe néanmoins de véritables raisons d’espérer. Contrairement à ce qui se passe dans certains pays et notamment en France, le nouveau Premier ministre aura mené une campagne sobre, tenant compte de la situation économique et ne promettant pas des lendemains qui chantent, du moins pas immédiatement. Si cette réserve a sans doute douché l’enthousiasme, elle aura l’avantage de préserver le gouvernement d’attentes trop déraisonnables.

D’autre part, sa marge de manœuvre est considérable avec une telle majorité et, même en cas de divisions ponctuelles dans son parti, le Premier ministre n’aura aucune difficulté à faire passer ses projets de lois. Le climat parlementaire sera assurément plus apaisé après des années de déchirements internes sous les Tories. S’il réussit son défi de renouer rapidement avec la croissance, le gouvernement Starmer pourrait ensuite se montrer bien plus volontariste dans les actes qu’il ne l’a été en paroles. Sur la crise du logement comme sur la nécessaire reconstruction de Services publics en état de délabrement, il en aura besoin. Car c’est précisément sur ces sujets qu’il sera attendu et qu’une partie de son crédit se jouera. L’accent mis sur le NHS, souvent qualifié de « religion d’Etat » au Royaume-Uni, tend d’ailleurs à montrer qu’ils ont pris la mesure du défi.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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1 COMMENTAIRE

  1. La gauche française a accueilli l’élection des Travaillistes de Keir Starmer avec l’indifférence qu’elle mérite. Même s’il s’est soigneusement abstenu de faire intervenir Tony Blair et d’y faire référence durant sa campagne, conscient de son impopularité, Keir Starmer représente bien une nouvelle mouture du New Labour. Tres peu de choses sur le fond distinguent sa politique de celle de Rishi Sunak. Cela n’en rend que plus ridicule le triomphalisme de l’article.

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