L’erreur dangereuse des Verts autrichiens

On la pressentait depuis quelques années déjà : la formation du premier gouvernement de coalition entre la droite et les Verts dans un pays membre de l’Union Européenne ne constitue donc pas une surprise majeure. La seule vraie question était en fait de savoir quel pays serait le premier à tenter l’expérience. On a longtemps cru qu’il s’agirait de l’Allemagne, essentiellement parce que les Verts allemands ont fait figure de précurseurs en matière de recentrage sur les sujets économiques et que la configuration a déjà été testée sur le plan local au niveau des Länder. Toutefois, les négociations entamées fin 2017 sur le plan fédéral avec la CDU et le FDP avaient échoué, il est vrai en grande partie du fait des libéraux. L’autre tentative récente avait eu lieu aux Pays Bas lorsque les Verts néerlandais avaient accepté de discuter avec les libéraux et les conservateurs en vue de la formation d’un gouvernement de coalition. Là encore, les discussions avaient capotées mais du fait des Verts cette fois, qui estimaient insurmontables les divergences en matière d’immigration. C’est donc finalement l’Autriche qui connaîtra la première ce type de gouvernement. De ce point de vue, il faut bien avouer que ce n’était pas le scénario le plus attendu compte tenu du caractère un peu particulier de l’ÖVP : un parti qui sort d’une alliance avec l’extrême droite et que son leader actuel, le Chancelier Kurz, a considérablement radicalisé, en faisant ainsi l’un des partis conservateurs les plus à droite du continent.

Il convient néanmoins de préciser que cette alliance n’était initialement pas désirée par les Verts. Au cours de la campagne, leur leader Werner Kogler l’avait d’ailleurs totalement exclu du champ des possibilités. Ce n’est pas sans rappeler la promesse de Martin Schulz qui avait lui aussi rejeté l’hypothèse d’une reconduction de la GroKo avant que le SPD ne change finalement d’avis, justement après l’échec des négociations tripartites entre la CDU-CSU, le FDP et les Verts. Mais à la différence du SPD, le changement de cap des Verts autrichiens est intervenu beaucoup plus tôt, avec une ouverture très rapide des discussions avec les Conservateurs quasiment dès les résultats connus. L’argument principal, qui peut d’ailleurs s’entendre, était de dire qu’il fallait éviter à tout prix une nouvelle coalition entre la droite et l’extrême droite particulièrement délétère pour l’avenir du pays. D’un point de vue général, la politique est souvent affaire de compromis dans le but d’éviter le pire et il serait hypocrite, surtout pour le social démocrate que je suis, de condamner par principe un partenariat de coalition que ma famille politique a pratiqué dans un certain nombre de pays (et c’est encore plus vrai concernant le cas autrichien en particulier). Le véritable problème n’est donc pas tant l’existence en elle même de cette coalition mais le fait de savoir ce que les Verts ont obtenu ainsi que leur influence véritable sur le programme du futur gouvernement.

Or, force est de constater que le bilan semble très maigre. En ce qui concerne la politique économique et sociale, on peut même parler de capitulation en rase campagne puisque aucune des mesures néo libérales prises par le gouvernement précédent ne sont remises en question et que la plateforme commune prévoit des réductions d’impôts en faveur des grandes entreprises ainsi qu’un soutien marqué aux traités de libre échange. On peut alors clairement se demander si les Verts n’ont pas décidé d’assumer franchement un positionnement de droite sur ces sujets, espérant d’ailleurs sans doute répondre aux vœux d’une partie non négligeable de leur électorat qui se recrute parmi les classes moyennes supérieures, ce qui constitue un point commun avec celui de l’ÖVP. D’une façon plus étonnante, les Verts ont également acquiescé à un programme plutôt dur sur les questions d’immigration. Considérant que c’est sur cette thématique que l’ÖVP est parvenu à réaliser une OPA sur l’électorat d’extrême droite, il était prévisible que le Chancelier Kurz ne veuille rien lâcher sur ce terrain mais cette stratégie de renoncement n’est pas sans risque pour les Verts dont l’électorat, urbain, jeune et de classe moyenne, est souvent particulièrement libéral sur ces sujets.

Alors bien sûr, les Verts argueront du fait que le programme est très axé sur les questions écologiques. En effet, l’objectif d’une économie neutre sur le plan du carbone dès 2040 est inédit et ambitieux. Mais il est permis de se demander si il ne s’agit pas simplement de poudre aux yeux compte tenu du degré douteux de sincérité des Conservateurs sur le sujet au vu de leur politique très « pro business ». Le fait que cet objectif seul soit évoqué sans qu’il ne se traduise par de réelles mesures concrètes et détaillées n’est pas de nature très rassurante. Les Verts obtiennent certes un ministère de l’environnement aux contours profondément remaniés et avec des pouvoirs à priori étendus mais les cordons de la bourse demeurent aux mains de l’ÖVP qui, en gardant la mainmise sur les Finances, reste maître des dépenses et de la fiscalité.

Tout laisse donc à penser que le compte n’y est pas et que les Verts vont servir de faire valoir à des Conservateurs toujours aussi « droitisés ». Cette coalition tiendra elle longtemps ? Tout dépendra sans doute du nombre de couleuvres que les Verts seront prêts à avaler. Il est vrai qu’ils sont au pouvoir pour la première fois sur le plan fédéral. Mais au prix de compromissions qui pourraient leur coûter très cher ainsi que d’un changement de cap très net, surtout sur le plan économique, qui les fait sortir du champ de la gauche.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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11 Commentaires

  1. Si l’entré des Verts dans le gouvernement Kurz a été un erreur, se montrera plus tard seulement. Je suis sur qu’un gouvernement ÖVP avec l’extrême droite aurait été beaucoup plus problématique en vue du résultat pour l’Autriche! Je trouve que cette coalition montre déjà un résultat remarquable en vue du programme de 164 pages qu’ils ont formulé pendant les négociations de coalition https://www2.krone.at/pdf/Regierungsprogramm_2020.pdf . L’exemple de la coalition Chrétien démocrate et Verts en 6ème année en État de la Hesse montre bien que cela peut très bien marché avec des résultat bien et acceptable, même pour les Social démocrates.

    • bonjour Christoph,
      J’aimerais en savoir davantage sur l’accord de coalition.
      quelles sont les 3 mesures programmatiques précises qui confirment une inflexion vers l’environnement ou le social de la part de Kurz ?
      En effet, pour l’instant, sur ce que j’ai lu, je suis tout à fait d’accord avec l’analyse de Sauvons l’Europe.

  2. BonDi!
    C’est le mot ‘recentrage’ qui m’a fait tiquer car chaque fois que l’on parle du ‘centre’ en politique, le bon mot attribue a Francois Mitterand me revient: « le centre n’est ni a gauche – ni a gauche’. Les Verts qui sont sociologiquement, donc ‘ontologiquement’ au centre en politique, ne font pas exception, en fait ils sont la continuation de l’abandon de la gauche par la social-democratie, chose que l’on voit tres bien aux Pays-Bas, ou les Verts ont lamine l’aile middle class progressiste du Parti du Travail, maintenant reduit au statut de quasi-groupuscule (ses electeurs ‘proletaires’, eux, ayant vire a droite). Tant que l’environnement sera considere par les Verts comme etant independant de, et donc primant sur, le social, les Verts, bien que portes en principe vers la gauche, se lieront avec la droite, y compris la droite radicale, a condition d’obtenir satisfaction, meme seulement verbale, sur l’ecologie.

  3. Les verts sont en coalition avec la droite au Luxembourg depuis plus de 6 ans. Et ils ont su tirer leur épingle du jeu. En augmentant nettement leur nombre de députés après 5 ans au pouvoir.

    • Correction: au Luxembourg, les Verts font partie d‘une coalition inédite à 3 depuis 2013: avec les socialistes et les libéraux. La droite (social-chrétienne) menée à l’époque par le Premier ministre sortant Jean-Claude Juncker, a justement été écarté du pouvoir – pour la premiere fois depuis 1979. Et cette coalition à trois – contre la droite – à été reconduite en 2018.

  4. D’accord avec vous, une véritable écologie structurelle ne peut être que contre l’ultralibéralisme, le pouvoir des lobbies, des multinationales qui détruisent la planète, la santé de ses habitants, l’éco-système et qui paraît par là proche d’une gauche qui n’existe plus, encore marquée par le syndrome Hollande qui a tué le PS par son ouverture à cet ennemi masqué, la finance. Voir le duel Trump/Greta Thunberg, la réticence de certains écolos français à la soutenir, voir la démission de Duflot sous Hollande, celle de Hulot sous Macron, voir le passage de Cohn Bandit de l’écologie au macronisme, voir les concessions des verts allemands, voir le rapprochement de EELV avec Villani au jeu volontairement flou, qui est toujours encarté chez Macron. Tout montre que la politique du petit pas et des alliances douteuses est un échec, est impossible. Ce qui fait la durabilité d’un parti c’est sa solidité, la force de ses convictions, sa détermination, les mésalliances poussent à sa crédibilité, à sa disparition. Une partie du PS, du LR, du Modem, s’est fait ingérer par Macron et a perdu son identité. On ne peut contracter une alliance que lorsque l’on est plus fort que celui avec qui on s’allie or les verts ne cessent de montrer leur ambiguïté, leur manque d’unité interne, de clarté du programme, de détermination à prendre le pouvoir. L’ultralibéralisme pourra ainsi sans revoir ses structures fondamentales et comme elle le fait déjà (manger vert, habillez-vous vert, detox verte…) imposer sa contrefaçon de l’écologie, la vente de ses symboles, l’emballage à travers ses pubs et le grand public s’en satisfera.

  5. Article intéressant, à voir à l’usage. Pour maintenir son identité il faut une forte structuration dans le domaine économique et social, caractéristique que les verts n’ont peut être pas. Cela peut donner une bonne vieille social-démocratie rajeunie au goût du jour.
    Maurice Guyader

  6. Félicitations de votre article. Ayant milité longtemps au sein du mouvement écologiste en Grèce, cette décision des Vers autrichiens m’a été très difficile à avaler. La seule chose dont je doute est si nous devons parler d’ « erreur » ou de « dérive à droite ». Mais ceci n’est qu’un petit point de détail.

  7. En fait, la situation en Autriche vaut pour les autres pays démocratiques où existe un parti écologiste. Elle n’est pas nouvelle en soi: le score des verts étant toujours insuffisant pour rafler une majorité, le dilemme qui se pose à eux c’est, soit la compromission, soit rester dans l’opposition. Quand on axe sa politique sur le respect de l’environnement, et accessoirement des valeurs sociales de gauche, faire des compromis avec « l’ennemi » – celui qui continue sur la lancée industrielle vorace née au XIXe s. pour arriver à la société de consommation effrénée actuelle – revient toujours à vendre son âme. Sans avoir regardé de près l’historique de la question, il me semble que généralement, les écolos n’ont donc pas l’habitude de « se vendre » pour obtenir quelques miettes du pouvoir. L’expérience récente de Nicolas Hulot vaut à cet égard morale à la fable.
    Cependant, ce qui est (un peu) nouveau, c’est le sentiment d’urgence à présent largement partagé, concernant l’état de la planète. Dans ce contexte, plutôt que rester encore et toujours les mains dans les poches, les écolos sont plus enclin qu’avant à mettre de l’eau dans leur vin, quitte à boire la tasse. C’est du moins le cas en Allemagne… Et en Autriche…

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