Sur le papier, le week-end catalan du 11-12 mai a été excellent pour Pedro Sanchez. En obtenant près de 28% des voix et 42 sièges au Parlement Catalan, le PSC a réalisé sa meilleure performance depuis 2003. Cette victoire est d’autant plus significative qu’elle intervient dans un paysage politique beaucoup plus morcelé qu’il y a deux décennies. D’autre part, et indépendamment des qualités réelles du leader du PSC Salvador Illa, il est juste de dire que le principal mérite de la victoire revient bel et bien au Président Sanchez dans le sens où jamais un chef de gouvernement ne s’était autant impliqué dans une campagne catalane de facto extrêmement nationalisée.
Pedro Sanchez estimait jouer une partie de sa crédibilité en tentant de récolter à Barcelone les dividendes électoraux d’une politique catalane très contestée dans le reste du pays, et jusqu’à l’intérieur même de son propre parti. De ce point de vue, le message parait assez clair : une partie importante de l’électorat catalan a voulu remercier le leader socialiste pour sa politique de conciliation avec les indépendantistes. Il l’a fait en accordant une chance à Salvador Illa ainsi qu’au PSC de gouverner la Generalitat. Cependant, les choses sont loin d’être faites et il est même possible que la donne nationale ne se trouve être sensiblement compliquée suite aux résultats de cette élection.
La faible majorité bâtie par Pedro Sanchez source de chantage
En effet, s’ils perdent leur majorité, les indépendantistes ne sont pas en déroute complète. Et surtout, le rapport de force en leur sein bascule à nouveau en direction du parti de Puigdemont, de loin le moins conciliant à l’égard de Sanchez. Junts progresse en effet de trois sièges, principalement aux dépens de leurs partenaires de ERC. Junts bénéficie sans aucun doute d’un report de l’électorat sécessionniste le plus radical, quand dans le même temps, à contrario, ERC aura perdu les nationalistes plus soft dont certains se sont dirigés vers le PSC. Il est donc probable que Junts maintiendra une ligne finalement assez dure, ce qui est déjà démontré par les velléités de Puigdemont d’obtenir la Présidence de la Generalitat bien que son parti ait obtenu sept sièges de moins que le PSC, et qu’il ne possède aucune possibilité réelle de bâtir une majorité.
Il est à craindre que l’objectif ne soit de faire du chantage à Pedro Sanchez : ou bien la Generalitat ou alors ce sera la fin du soutien tiède apporté au gouvernement. Le Premier ministre ne semble évidemment guère disposé à céder au chantage mais il n’en est pas moins clair que Junts dispose d’une capacité de nuisance étendue, compte tenu de la faiblesse de la majorité sur laquelle Pedro Sanchez a bâti son investiture. D’un autre coté, et tant que la loi d’amnistie n’a pas été définitivement votée, on voit tout de même assez mal quel intérêt pourrait avoir Puigdemont à forcer une rupture totale.
La survie du gouvernement Sanchez dépendra-t-elle de l’attitude d’ERC ?
L’autre préoccupation pour Sanchez est la situation dans laquelle se trouve ERC. La formation républicaine est en effet la grande perdante de cette élection avec une chute de sept points et de treize sièges. En conséquence, elle se trouve maintenant dans une crise interne de premier plan avec le retrait d’Aragones et la démission de Junqueras, double défection qui la prive d’un coup de tout leadership. Le vrai problème pour le PSOE/PSC est qu’une nouvelle direction pourrait fort bien considérer que l’alliance avec le PSOE est la cause principale de la défaite, ce qui entrainerait certainement en retour un durcissement du ton aux Cortes comme à la Generalitat.
Or, Pedro Sanchez a besoin de ERC non seulement pour investir un éventuel gouvernement Illa à Barcelone mais également – et surtout – dans l’optique du vote du budget qui n’a toujours pas été approuvé par les Cortes. C’est donc la survie à moyen terme du gouvernement Sanchez qui peut, d’une certaine façon, dépendre de l’attitude future de ERC.
Le sursaut du Parti Populaire accentue la victoire piégeuse du PSOE/PSC
Il faut ajouter à cette situation piégeuse la bonne performance du Parti Populaire lors de ces élections catalanes. Après une série de résultats désastreux dans cette communauté autonome, les troupes de Feijoo enregistrent leur meilleur résultat en Catalogne depuis 2012. D’une part grâce à la mort clinique de Ciudadanos ; d’autre part du fait de la mobilisation à leur profit des unionistes les plus opposés à toute concession envers les indépendantistes. Le PP se trouve dans une situation très favorable dans tous les cas de figure. Si Illa est investi grâce aux voix de ERC, alors ils pourront surjouer leur hostilité vis–à-vis d’un Sanchez « s’associant une fois de plus avec les sécessionnistes » et si, au contraire, le PSC recherche le soutien du PP dans l’optique d’un bloc unioniste, alors ERC a déjà annoncé qu’ils retireraient immédiatement leur soutien au gouvernement Sanchez. Dans ce cas de figure, une éventuelle élection législative anticipée ferait alors le bonheur du PP. D’autre part, les Populares n’ont pas subi une percée de Vox qui aurait pu les contrarier, le parti d’extrême droite conservant peu ou prou son niveau de 2021.
Il s’agit donc au final d’une victoire piégeuse obtenue par le PSOE/PSC. L’investiture de Illa est d’ailleurs tout sauf garantie, car tous les cas de figure comportent des risques non négligeables. La voie la plus sûre reste celle de ERC mais, comme on l’a vu, elle n’est pas forcément dans l’intérêt des Républicains catalans. ERC a annoncé qu’ils seraient dans l’opposition quoi qu’il arrive mais n’a guère laissé transparaitre une opinion définitive concernant un soutien éventuel à l’investiture. Ils semblent en revanche exclure catégoriquement un vote en faveur de Puigdemont, affaiblissant ainsi le chantage que l’ancien Président et ex-fugitif essaie de faire à Pedro Sanchez.
Enfin, la victoire du PSC en Catalogne n’a pas fait cesser les divisions internes au PSOE concernant la question catalane. Certes, Pedro Sanchez peut se prévaloir de ce résultat mais il n’en est pas moins vrai qu’il ne règle finalement rien et que, de surcroit, les mauvais sondages s’accumulent. Même si la tragicomédie de sa vraie fausse démission avait permis une certaine vague de sympathie en sa faveur, l’embellie n’a guère duré et une majorité PP-Vox resterait l’issue la plus probable si des élections générales avaient lieu. On peut imaginer que chacun des acteurs en tiendra compte dans les décisions à prendre. D’une certaine façon et si une répétition électorale n’est pas à exclure en Catalogne, elle pourrait paradoxalement acheter un peu de répit aux Cortes. Ainsi va la vie politique espagnole, qui reste très compliquée.
Merci Sébastien pour cette lecture attentive de la vie politique espagnole, qui m’intéresse dans la durée