Paul Magnette : « Pour relancer la social-démocratie en Europe, l’écosocialisme doit articuler la transition écologique à la justice sociale »

Sauvons l’Europe fête ses 20 ans. Depuis 2005, le paysage politique européen a radicalement changé. La social-démocratie — valeur fondamentale de notre ADN centré sur « l’europrogressisme » — poursuit son chemin sous un nouvelle forme : « l’écosocialisme ». Rencontre avec son initiateur, le député fédéral belge et président du Parti socialiste, Paul Magnette.

100 jours après l’entrée en fonction de la Commission d’Ursula von der Leyen II, quel regard portez-vous sur ses priorités et son narratif ? L’empreinte social-démocrate dans cette Commission est-elle visible ?

Les cent premiers jours de cette seconde Commission von der Leyen marquent un virage assumé vers la droite, centré sur la compétitivité, la dérégulation et une vision techno-libérale de l’avenir européen. La relance économique prônée met l’accent sur le réarmement et le détricotage des normes sociales et environnementales votées sous la législature précédente. Sous couvert de compétitivité, de diversification des partenariats commerciaux et de simplification administrative, la Commission européenne amorce une nouvelle phase de dérégulation. Cette dynamique soulève des questions majeures sur l’avenir des standards sociaux, environnementaux et de protection des consommateurs au sein du marché européen.

Dans ce paysage, l’empreinte social-démocrate est plus essentielle que jamais. Les commissaires sociaux-démocrates jouent un rôle de garde-fou et proposent une boussole différente : cohésion, droits des travailleurs, soutien à la transition juste. Cette voix, minoritaire dans l’exécutif, est portée avec force au Parlement et dans plusieurs capitales européennes. L’Europe ne pourra affronter les crises à venir qu’en renouant avec les piliers de la social-démocratie : justice sociale, régulation au service de l’intérêt général, et renforcement du lien entre citoyens et institutions.

Avec l’arrivée au pouvoir de Friedrich Merz, le Conseil européen ne compte désormais plus que trois représentants sociaux-démocrates (du Danemark, de l’Espagne et de Malte). La social-démocratie est-elle à bout de souffle au niveau européen ? Quelles pourraient être les éléments d’une relance ?

Non, la social-démocratie n’est pas à bout de souffle. Elle reste la seule force politique capable de proposer une alternative crédible au chaos néolibéral et aux dérives autoritaires. Là où elle gouverne, comme en Espagne avec Pedro Sánchez, elle transforme concrètement la vie des citoyens : hausse du salaire minimum de 61 %, revenu minimum vital pour trois millions de personnes, baisse de la précarité grâce à une réforme ambitieuse du travail. Ces résultats montrent qu’une Europe sociale et efficace est possible. La crise actuelle n’est pas une fatalité : elle appelle un sursaut politique fondé sur nos valeurs.

Relancer la social-démocratie, c’est assumer une vision forte d’une Europe protectrice, qui défend les citoyens sur tous les plans : contre la vie chère, contre la concurrence déloyale, pour la santé, l’environnement et l’emploi. C’est viser une autonomie stratégique européenne non pas au service de la seule défense, mais au service d’une réindustrialisation cohérente et intégrée — y compris en matière numérique, climatique ou énergétique. Cette puissance européenne ne peut être fondée sur une réduction des dépenses sociales ou de la politique de cohésion : elle doit s’appuyer sur une contribution équitable des grandes fortunes, des multinationales et sur la confiscation des avoirs russes gelés.

Enfin, il faut proposer une autre définition de « l’Europe puissante » : une Europe qui défend le droit international, fixe des standards sociaux et écologiques face aux ravages du libre-échange, soutient la liberté d’expression et choisit la paix plutôt que l’engrenage des blocs. C’est cette bataille sur la nature même du projet européen que la social-démocratie doit mener aujourd’hui.

Alors qu’au niveau européen, l’ambition du « Green Deal » est menacée quel regard portez-vous sur « l’écosocialisme » que vous aviez contribué à conceptualiser ?

L’écosocialisme reste pour le PS une boussole face aux reculs du Green Deal. Il s’agit d’une alternative aux logiques libérales : il articule la transition écologique à la justice sociale. Il s’éloigne de l’écologie punitive et mise sur des politiques publiques solidaires, planifiées et redistributives.

Du local à l’européen, cette approche permet de répondre concrètement aux besoins des citoyens, tout en respectant les biens environnementaux communs. L’écosocialisme, c’est l’idée que la bifurcation écologique doit être aussi une avancée sociale. Même si l’Europe recule, nous continuerons à porter cette vision à chaque niveau de pouvoir. C’est une nécessité politique, sociale, économique et climatique.

Publié aux éditions La Découverte

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3 Commentaires

  1. Paul Magnette est un intellectuel de haut vol et je partage largement son point de vue sur la Commission. Petit bémol, je ne considère plus les sociaux démocrates danois comme une formation de gauche à cause notamment de leur virage populiste anti-immigration. Je pourrais dire la même chose aujourd’hui des « socialistes » (sic) flamands du Vooruit (qui participent d’ailleurs au gouvernement fédéral belge orienté droite-extrême droite).
    Ceci dit, Paul Magnette est à la tête d’un parti socialiste (belge francophone) largement gangréné par l’arrivisme et les affaires de corruption depuis une quarantaine d’années. Des baronnies sous-régionales en définissent grandement les orientations politiques. J’ai moi-même quitté ce parti au début des années 80 lorsqu’il a pris un tournant ordolibéral pour me tourner résolument vers le syndicalisme.
    Je le rejoindrai lorsque ce parti oeuvrera à une union de la gauche avec le PTB-PVDA et Ecolo-Groen. Ce n’est hélas pas le cas actuellement.

  2. Comment ne pas être d’accord avec Paul Magnette ? son propos soulève 2 questions : 1) comment se fait- il que ce projet ne recueille pas l’agrément des électeurs ? C’est donc qu’il manque quelque chose, mais quoi ? Sans doute – et c’est le 2) Comment peut-il ne pas évoquer la question de la sécurité, tant intérieure que exterieure ?
    Oui, un eco- socialisme mais qui intègre toutes les dimensions de la vie quotidienne des gens.

    • La sécurité (et le réarmempent qui l’accompagne) est une dimension nouvelle née , à la fois, de l’agression russe en Ukraine et du désengagement trumpien en Europe occidentale concommitant à son engagement aux côtés de Poutine, et des régime autoritaires et dictatoriaux en général. Cet effort militaire ne doit pas être dissocié de la nécessaire transformation, par la voie démocratique, du capitalisme, en une économie solidaire, redistributive des richesses produites et écologique. Cette nécessaire transformation est l’ADN de la social-démocratie historique, hélas bien oubliée par les socialistes européens depuis la fin des Trente Glorieuses….
      Quant à la sécurité intérieure est largement la conséquence des politiques néolibérales suivies en Europe (et par l’Europe) destructrices de sécurité sociale, de services publics et génératrices d’inégalités sociales. A moins que vous l’attribuiez aux méchants immigrés qui mangent chiens et chats…

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