Hongrie: sanglots longs et silences amers

Photo : © Présidence de la République - L. Blevennec

Le gouvernement conservateur de Hongrie – qui l’ignore encore ? – se livre ces derniers temps à un toilettage constitutionnel en y nettoyant les éléments passés d’usage, tels que des morceaux d’état de droit ou le fonctionnement démocratique. N’ayant pas souhaité réagir à chaud, nous revenons aujourd’hui sur la question hongroise, et le problème que pose le départ de ce pays du cercle des démocraties et des Etats régis par la règle de droit.

La Hongrie n’est plus une démocratie

Reprenons par le menu les principales modification apportées aux institutions publiques par la Fidesz, et commençons par la procédure choisie pour récrire la Constitution:

Cette réforme intervient immédiatement après une élection gagnée par Viktor Orban, pendant laquelle il s’était engagé à ne pas modifier la Constitution. Elle a fait l’objet d’un questionnaire auprès des citoyens, dont les résultats sont arrivés après le dépôt du projet et n’ont pas été rendus publics. Le projet de réforme a été introduit au Parlement hongrois par un parlementaire de la majorité et non par le Gouvernement, ce qui lui a permis d’éviter les débats en commission, avec l’opposition et avec les organes de représentation de la société civile; c’est d’ailleurs désormais le cas de la plupart des lois en Hongrie. La version du projet de Constitution transmise en anglais à l’Union Européenne pour information était falsifiée, la traduction des passages les plus sensibles ne correspondant pas nécessairement avec le texte en langue hongroise. Bien entendu, aucun référendum ne vient clôturer ce processus dans lequel le peuple n’a eu aucun mot à dire.

Les règles relatives aux circonscriptions électorales ont été modifiées de sorte que le Fidesz est, sauf raz-de-marée contre lui, assuré de remporter la majorité au Parlement même en perdant nettement les élections. Au passage, les membres de l’Autorité de contrôle électoral appartiennent à présent tous au Fidesz. En tout état de cause, la plupart des lois d’importance quelconque ne peuvent plus être changées qu’avec une majorité des deux tiers inaccessible à tout autre parti que le Fidesz dans le nouveau système. Relevons ainsi l’interdiction du mariage entre homosexuels… mais aussi le découpage électoral, et toute loi de finance ou ayant un impact sur le budget ! De plus, si compte tenu de ce verrou un budget n’est pas adopté avant le 31 mars de l’année, le Président peut dissoudre le Parlement et permettre au Fidesz de revenir au pouvoir, ne serait-ce que pour sortir du blocage institutionnel. Les modalités d’inscriptions sur les listes électorales ont été rendues plus strictes. La durée des mandats de toutes les personnes nommées à des postes importants a été étendue autour de la dizaine d’année, ce qui signifie que si une nouvelle majorité émergeait avec un soutien populaire massif, elle aurait également peu de chances de rééquilibrer les postes et devrait faire face aux hommes nommés par le Fidesz.

Par ailleurs, des garants essentiels du fonctionnement démocratique tels que la liberté de la presse sont limités. Un conseil de l’audiovisuel nommé par le Gouvernement a désormais le pouvoir de sanctionner les médias qui ne présentent pas une vision « équilibrée » de l’actualité. Outre que le Gouvernement définit ainsi la ligne de la presse de manière classique, c’est l’existence même d’une presse d’opinion qui est interdite. Les interprétations amicales selon lesquelles ces pouvoirs ne seront pas utilisés sauf cas exceptionnels sont grotesques, au regard de l’ensemble des autres changements introduits au régime politique de la Hongrie; du reste une première radio indépendante s’est déjà vu retirer son autorisation d’émettre et la télévision publique diffuse maintenant des images truquées d’où les opposants politiques à Orban ont été effacés.

D’un point de vue symbolique, le nom du pays est modifié: la République de Hongrie devient simplement la Hongrie. Le terme de République devait être gênant. Le préambule de la Constitution introduit des termes qui dans le contexte hongrois ont des résonances particulières: la souveraineté appartient à la « nation », ce qui localement s’entendrait plutôt comme une restriction aux seuls hongrois ethniques, vivant en Hongrie ou non. De même la référence à la « constitution historique » est en général comprise des voisins de la Hongrie comme une revendication territoriale. Pour faire bonne mesure, le principal parti d’opposition, le MSzp social-démocrate, est officiellement et constitutionnellement un « parti criminel ». Mais bon, Viktor Orban a répété à plusieurs reprises son admiration pour le Régent Horty et sa volonté de rester 25 ans au pouvoir.

Les élections, qui sont de moins en moins libres, perdent donc effectivement leur capacité à influer sur la composition du gouvernement et plus encore sur les politiques mises en oeuvre en Hongrie. Dire que la Hongrie n’est aujourd’hui plus une démocratie n’est donc pas une outrance de jugement mais un constat de la réalité.

 

La Hongrie n’est plus un état de droit

Un état de droit se définit l’existence de contre-pouvoirs à l’action du Gouvernement, les plus importants étant étant des contre-pouvoirs judiciaires ayant la capacité de juger en toute indépendance des actes édictés sur le fondement du droit.

En matière institutionnelle, le contre-pouvoir parlementaire est réduit à peu de choses: la loi électorale assure quasiment la majorité au Fidesz, la pratique de faire introduire les lois sous forme de proposition par des parlementaires individuels réduit de beaucoup le poids de la procédure de contrôle parlementaire. Plus encore, désormais, un vote des deux-tiers des députés (que le Fidesz est seul à pouvoir imaginer rassembler) permet de passer directement au vote de la loi sans aucun débat. Le juge constitutionnel a été muselé. Bourré jusqu’à la gueule de juges amis, son Président a été destitué faute… d’une ancienneté suffisante (ses années de juge à la Cour de Justice Européenne ne sont plus prises en compte). Les possibilités de sa saisine par les parlementaires ont été réduites, et quasiment éliminées pour les citoyens ordinaires. Le juge constitutionnel n’a presque plus le droit d’examiner les lois ayant un impact budgétaire (autant dire un bon nombre).

En ce qui concerne les juges ordinaires, c’est pire encore. D’une part, l’âge de la retraire a été abaissé pour les juges à 62 ans contre 70 auparavant, avec effet immédiat. Comme, coïncidence, les juges âgés tendent à former la hiérarchie judiciaire, c’est l’ensemble des juges gradés ou presque qui ont été éliminés et renommés d’un seul coup par le Gouvernement. Nommés, car c’est désormais le chef du bureau judiciaire national, sous la responsabilité du Gouvernement qui nomme les juges et les déplace. Et qui décide de l’affectation des affaires individuelles à tel ou tel juge. Bien entendu, seuls des commentateurs hostiles peuvent imaginer que le Gouvernement se permette à l’occasion d’interférer dans des affaires individuelles par ce biais exotique.

Précisons, mais compte tenu de ce qui précède cela va de soi, que toutes les institutions du type défenseur des libertés, médiateur, équivalent local de la CNIL, ont vu leurs pouvoirs substantiellement réduits et que la Cour des comptes est désormais sous la responsabilité du Gouvernement. Notons que la Banque centrale est reprise en main de manière intéressante: c’est à présent le Gouvernement qui nomme ses vices-présidents, son conseil monétaire a été agrandi de manière à ce que les membres nommés par le Fidesz y soient majoritaires. De plus, la Banque centrale est fondue avec l’Autorité de supervision financière dans une nouvelle autorité, au sein de laquelle le président de la Banque centrale sera sous la dépendance hiérarchique du Président nommé par le Gouvernement.

 

Comment concrètement, un citoyen pourra-t-il être protégé des actes du Gouvernement si celui-ci abuse de ses pouvoirs? Question pressante, d’autant que le Fidesz a de fortes ambitions.

 

Mainmise de l’Etat sur l’économie

Le Fidesz est arrivé au pouvoir sur la base du programme suivant: baisse massive des impôts, fin de l’austérité budgétaire et hausse des salaires. Très rapidement, l’équation s’est révélée délicate à mettre en oeuvre, la Commission européenne considérant que même la projection officielle de déficit à 7% du PIB était irréaliste. Outre les discours classiques contre « Bruxelles », il a donc fallu trouver de l’argent, les marchés financiers ne semblant bizarrement pas très enclins à financer un tel niveau de déficit à fonds perdu.

Où trouver de l’argent? Les banques naturellement, vont être suffisamment ponctionnées pour ne plus être en mesure de prêter. Mais également les collectivités locales, qui pourraient être politiquement indépendantes. Et surtout les fonds de pensions, qui ont été nationalisés et utilisés en bonne partie pour combler le trou budgétaire. Avec quoi les hongrois vont-ils payer leurs retraites? On verra plus tard.

Et naturellement le grand capital apatride, c’est à dire les groupes européens, de deux manières. D’abord, notez la finesse, en taxant des secteurs sur les quels les entreprises étrangères sont très présentes, comme l’énergie ou la grande distribution. Tant qu’à faire, la taxe porte sur le chiffre d’affaire et pas sur les bénéfices, ce qui permet éventuellement de pomper des groupes mondiaux qui sont en partie prisonniers de leur investissement local. Ensuite en « nationalisant » des industries rentables comme l’eau ou les chèques déjeuners, bien entendu sans indemnisation aucune.

L’effet conjugué de ces mesures ne s’est pas fait attendre: blocage financier de l’économie, hausse du chômage, tarissement violent des investissement venus de l’étranger, qui au-delà des lois déjà en place ne savent même plus ce qui peut leur tomber sur la tête le surlendemain.

 

A quoi sert l’Europe?

Il y’a donc un léger problème de démocratie dans un pays européen. Or les institutions européennes réagissent avec mesure. On les a connues plus fortes et plus virulentes dans la crise des Roms en France, par exemple. Pourtant, la Hongrie n’est pas un  » petit pays »: elle vient de présider l’Union Européenne, pardon du peu, et Viktor Orban est vice-président du PPE. A ce titre, il était d’ailleurs bien en vue à la réunion préparatoire du sommet de Cannes. Notons par ailleurs que si les leaders socialistes, écologistes et libéraux au Parlement ont fortement attaqué la situation hongroise, le groupe PPE, qui n’est jamais que le premier groupe du Parlement et rassemble la quasi-totalité du Conseil Européen, se montre très silencieux vis-à-vis de son vice-président. Le français Joseph Daul, président du groupe PPE, après avoir salué la victoire d’Orban qui devait « poser un jalon dans l’histoire de la Hongrie » (bien vu!) s’est limité le 18 janvier à une intervention lénifiante limitant le sujet aux remarques de la Commission. Notons également un silence profond de Nicolas Sarkozy sur ce sujet, pourtant plusieurs fois sauveur de l’Europe.

La Commission Européenne pour sa part a une réaction extrêmement limitée, et étroitement juridique. Ainsi, et cela peut tenir à ce niveau du sketch, la mise en danger de l’indépendance des magistrats est abordée par l’angle de la discrimination dans la fixation de l’âge de la retraite, ce qui constitue une dérogation non justifiée à un système de retraite général pour une seule profession. est également visée la mise en danger de l’indépendance de l’autorité de contrôle des données, car une directive existe sur le sujet. Le gros morceau étant l’indépendance de la Banque centrale hongroise. Or c’est ce dernier point qui va conduire à la seule véritable menace.

Le Gouvernement Hongrois n’est plus capable de se financer sur les marchés, et dépend donc crucialement de l’aide européenne et du financement par le FMI. Ce sont les conditions mises à ces aides qui sont le véritable levier politique vis-à-vis de la Hongrie, et elles se concentrent sur la critique de la gouvernance économique. Les points d’achoppements sont le niveau du déficit public et surtout l’indépendance de la Banque centrale. Orban s’étant dit ouvert à évoluer sur le second point et à faire des promesses sur le premier, un déblocage de la situation est à nouveau envisagé. D’autres sujets en revanche, comme la démocratie, ne semblent pas être sur la table y compris de manière informelle. ils ne relèveront que d’un dialogue entre l’Europe et la Hongrie (fort peu virulent) et de procédure d’infractions limitées sur quelques points identifiés comme contraires au droit européen en vigueur.

Nous posons clairement la question, dans ce cadre, de l’utilité de l’Europe. Construite comme garante de la paix et de la démocratie, elle regarde avec une mollesse qui confine à l’indifférence sa raison d’exister se dissoudre en Hongrie. Sa seule préoccupation se limite, sous la houlette de Merkel et de Sarkozy, à vérifier que le projet de contrôle des écarts économiques des Etats qu’elle porte en ce moment ne soit pas mis en péril par l’aventure hongroise. La sauvegarde de la démocratie n’est pas une question accessoire, et nous estimons nécessaire un rassemblement des européens et des défenseurs de la démocratie pour mettre un coup d’arrêt à cette nécrose.

Commençons par la société civile?

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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10 Commentaires

  1. Et que disent les candidats à ce sujet ? Il faut les interpeller ! On espère que F. Hollande F. Bayrou et Eva Joly se prononceront pour des pressions fortes sur ce gouvernement hongrois liberticide. Les autres importent peu !
    Merci pour cet article

  2. En tant que membre du Forum de la société civile européenne (http://forum-civil-society.org ), je pose la question : Qu’est-ce que les citoyens européens sont prêts à faire pour combattre les « dérives » (je reste pudique) du Gouvernement hongrois ? Je suis frappé par le fait que chacun se contente de se plaindre de ce que ne font pas les institutions européennes et les gouvernements nationaux à propos de la Hongrie. Mais que sommes-nous prêts à faire, nous les citoyens européens, pour soutenir nos concitoyens de Hongrie ?
    Amicalement à tous

  3. Merci pour cet article bien documenté. Je voudrais signaler les réactions du PES (parti des socialistes européens) qui suggère notamment une action auprès des députés européens PPE et de l’ambassade de Hongrie et l’action du goupe local du PSE qui organise des actions concrètes un cercle du silence etc… http://www.clermontcitygroup.eu

  4. La situation en Hongrie est gravissime et urgente. Nous assistons à des événements d’une autre époque, notamment 1867-1944, où les « élites » (politiques, sociales, économiques etc.) hongroises ont à plusieurs reprises troublé la paix de l’Europe. Cette Europe qui les a reçues (en 896, de l’Asie Centrale) et aidées (en territoires et populations, en 1918) pour y fonder un état hongrois. C’est gravissime, ingrat et inadmissible! Et ce genre de comportement hongrois vis-à-vis des Européens, notamment leurs vosins, n’est pas d’hier ou d’aujourd’hui, ça vient de loin dans la longue durée de l’histoire.
    Il est temps que l’Europe intervienne avec promptitude, stopper les mauvais plis hongrois et les rappeler à l’ordre!

  5. La situation en Hongrie est au moins inquietante. Le problème est que le PPE est de moins en moins attaché aux valeurs démocratiques – l’homologue de Orban Samaras en Grèce flirte lui aussi avec le totalitarisme et le nationalisme à ultrance – est en même temps contrôle l’executif européen. Et ceci est inédit en Union Européenne.
    C’est dans ce même cadre que s’inscrit l’appui, sans le moindre scrupule et sans la moindre précaution diplômatique, de Mme Merkel à la campagne électorale de Sarkozy.

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