Non, l’Union européenne n’empêche pas de mener une (vraie) politique audacieuse

Depuis deux semaines, le rejet par la Commission du projet de budget italien fait la Une des rubriques consacrées à l’Europe dans tous les médias. Il s’agit pourtant d’une farce grotesque puisque le gouvernement populiste transalpin a fait exprès d’envoyer à Bruxelles le budget le plus opposable possible précisément pour qu’il soit refusé par la Commission et cela afin d’en tirer les bénéfices politiques : puisque taper sur l’Union Européenne leur a si bien réussi jusque là, pourquoi changer maintenant de stratégie ?

Mais le vrai souci, c’est qu’un certain nombre de personnes pourtant issues de la gauche se sont émues de la situation et en ont tiré un contresens terrible : le cas italien démontrerait l’impossibilité de mener une politique audacieuse sans s’attirer les foudres de Bruxelles. Pas un mot ou presque, en revanche, sur l’absurdité de la copie rendue par le duo infernal Lega/Mouvement 5 Etoiles, les baisses massives d’impôts en faveur des plus aisés y côtoyant une version déformée du revenu citoyen. Sur le plan de la cohérence, c’est du Reagan à la sauce Chavez. Avec évidemment aucune perspective réelle de croissance. Rien de bien sérieux en fait. Or pendant ce temps, dans la péninsule ibérique, nous avons des gouvernements qui, eux, bossent réellement. Et dont les budgets, bien à gauche, franchissent sans trop d’encombre les points de contrôles bruxellois. Pourtant, personne n’en parle vraiment … et c’est bien là le problème.

Augmentation importante du salaire minimal, du niveau des pensions, des minimas sociaux, des moyens dans la santé, taxation accrue sur les plus aisés, mécanisme de contrôle des loyers, le budget espagnol est sans aucun doute l’un des plus à gauche en Europe depuis le début de ce siècle. Mais contrairement à ce qui se passe en Italie, ce budget est cohérent, offre de vraies perspectives de croissance et respecte le sérieux budgétaire en matière de déficit, raison pour laquelle il n’a que fort peu posé de problèmes à la Commission qui s’est contenté, comme elle l’a fait pour d’autres pays dont la France, d’évoquer mollement la nécessité de davantage d’économies structurelles sans pour autant agiter le drapeau noir.

Plutôt que de jouer le jeu de l’extrême droite italienne en se demandant ouvertement si il est possible, aujourd’hui en Europe dans le cadre des traités, d’appliquer une vraie politique de gauche – ce qui est pourtant démontré par Pedro Sanchez– Jean Luc Mélenchon et les siens seraient mieux inspirés de se renseigner auprès de leurs camarades de Podemos qui soutiennent ce budget. D’ailleurs là encore, on constate un vrai changement d’attitude de la part de la gauche radicale en Espagne. En 2016, encore intoxiquée par l’illusion du « sorpasso » et espérant opportunément profiter des déboires socialistes dans le but de devenir la première force de gauche du pays, Podemos avait refusé l’investiture de Sanchez, préférant la politique du pire en continuant avec Rajoy. Deux ans plus tard et avec des sondages en berne, Podemos joue enfin le jeu de la gauche : vote sans conditions de la motion permettant d’investir Sanchez en juin puis pacte à propos du budget. Certes, le chemin est encore long : l’appui de Podemos ne suffit pas à obtenir une majorité et, face à l’intransigeance du PP et de Ciudadanos, il faudra négocier l’appui des partis régionalistes. Il est vraisemblable que le PNV ne posera pas de difficultés majeures mais les indépendantistes catalans se livrent depuis quelques temps à un chantage inacceptable. Au moins le PSOE aura-t-il un programme cohérent à présenter directement aux électeurs en cas d’obstruction durable sur le budget… les sondages le positionnant en tête si Sanchez devait décider des élections anticipées.

La situation au Portugal est encore plus limpide. Le budget est assez proche de celui des camarades espagnols : augmentation du salaire minimal, investissements dans la santé, baisses d’impôts uniquement pour les classes populaires et moyennes – mais maintien d’un niveau de taxation élevée pour les plus aisés – à la différence près – et essentielle – qu’ils ont les voix pour le faire adopter ce qui a d’ailleurs été confirmé il y a une semaine lors du vote à l’Assemblée. Là encore, aucun feu rouge de la part de Bruxelles, le gouvernement Costa continuant à mener une politique authentiquement sociale démocrate depuis sa prise de fonction et les progrès en matière de réduction du déficit étant manifestes.

Il faut donc cesser les mensonges selon lesquels l’austérité et le néo-libéralisme seraient, de facto, devenus inévitables au sein de l’Union Européenne : Madrid et Lisbonne démontrent au contraire qu’une politique de gauche est parfaitement possible pour tout gouvernement cherchant à travailler sereinement sans échappatoire ni désir de se défausser sur autrui de ses propres turpitudes. Se servir du rejet du budget italien pour taper sur l’Union Européenne est logique de la part des nationalistes europhobes, ça l’est beaucoup moins pour des personnes qui se disent de gauche. Il est pire encore de laisser entendre que l’élection d’une majorité de gauche – et donc d’un Président de Commission issu du PSE – ne changerait rien à la situation. Quand on constate que même la Commission actuelle ne sanctionne pas les budgets de Sanchez et de Costa, qui, pourtant, ne reflètent pas sa vision austéritaire, on peut aisément imaginer ce qui pourrait se passer avec une Commission qui érigerait les expériences ibériques en modèles à suivre pour toute l’Union Européenne.

Il faut également noter quelque chose de très important : l’alliance à gauche ne devient source de réussite que lorsque la force sociale démocrate en constitue la puissance majeure. Il était impossible de faire bouger les lignes de Podemos lorsque ces derniers se situaient au dessus de 20%. C’est sans doute une leçon pour les Socialistes français : avant de discuter des alliances, il faut retrouver sa position centrale et incontournable à gauche. Travail de longue haleine mais les Socialistes espagnols ont mis moins longtemps à se refaire une santé que l’on aurait pu le penser de prime abord.

[author title= »Sébastien Poupon » image= »http:// »][/author]

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15 Commentaires

  1. Merci pour cette excellente analyse (je fais suivre le lien aux amis). On peut aussi rêver d’une Commission moins imprégnée de néolibéralisme, oeuvrant en faveur d’une harmonisation fiscale propre à éradiquer l’évasion fiscale réalisée sur le dos des Etats européens, avec la complicité de certains d’entre eux…

  2. Pour ce qui est de l’augmentation du salaire minimal au Portugal, il a été favorisé de quelques euros pour arriver péniblement à 580€ (ou approchant). Pour un pays d’Europe c’est encore loin de la solution miracle! Essayez de vivre avec cette somme…! heureusement les femmes travaillent aussi en grande majorité. Bien sûr on contrôle la dette et le vent souffle dans le bon sens en ce moment. Par exemple le « Web Summit » est ouvert à Lisbonne en ce moment pour faire progresser le monde de la technologie et des enteprises nouvelles « les start-up ». Les étudiants portugais qui dominent désormais l’anglais dès le secondaire sont dans ce monde des innovations de plein pied, ils sont d’ailleurs invités à ce sommet au prix symbolique de 5€ alors que le billet d’accès à ce sommet pour les autres est de 1000€.
    Le Portugal va dans le bon sens et des efforts sont faits au gouvernement pour ne pas détruire l’excellent système de santé mis en place il y a maintenant plus de 30 ans et qui continue à donner de bons résultats à condition qu’un gouvernement de droite ne vienne pas le démanteler comme l’aurait voulu le précédent gouvernement s’il était resté aux affaires ! Heureusement les Portugais ne sont pas fous, il s ont voté à gauche, et l’extrême gauche n’a pas voulu mettre des bâtons dans les roues du ps et de António Costa qui a un véritable sens de la démocratie et de la conciliation.
    Donc une autre politique est possible mais ce serait si bien si toute l’Europe suivait l’exemple de nos deux pays ibériques. (Même si beaucoup reste encore à faire sur le plan social)
    D.Foucaut Dinis

  3. Puis-je vous demander deux choses
    1. Mettez-vous d’accord à « Sauvons l’Europe », certains papiers aveuglés d’idées pré-mâchées sans passage par les neurones.
    2. arrêtez d’utiliser deux mots formatés, ou confinez-vous dans l’arbitrage des élégances!
    gauche, droite, néolibéralisme, il-libéralisme, ultra-libéralisme, etc…
    tout ces mots n’ont d’autres sens que ceux de codes obsolètes, éventuellement rassurants pour ceux qui les emploient.

    L’Europe doit avancer, et les boulets qui vous contribuez à fixer à ses chevilles n’y contribuent pas.
    Cette guerre est finie, le pragmatisme doit régner sur nos politiques communes, chaque pays restant libre sans déroger aux contraintes signées, de développer des politiques intérieures propres.
    Le SMIC portugais est de 580€ se scandalise Danielle Foucaut Dinis? mais d’où part-il? les infrastructures portugaises
    sont développées, il y a 40 ans c’était l’Afrique!

    Il n’y a pas de gestion de gauche ou de gestion de droite,
    il n’y a que la bonne et la mauvaise gestion,
    rappelait Tony Blair (travailliste pro-européen) à la tribune de notre Assemblée Nationale.
    Il avait raison, bien avant que Sauvons l’Europe passe les gestions au tamis de l’idéologie.

    .

    • Je ne comprends pas le sens de ces critiques largement polémiques et donc il serait plus utiles de construire des réponses positives, ce dont vous êtes certainement capable Monsieur Catalan. Bien à vous
      Jacques Remond

    • Je suis désolée, la différence gauche droite existe bien. Et dans l’esprit de beaucoup de gens. Voter Hollande ou sarko, c’est pas pareil, même si je suis furieuse contre Hollande qui n’a pas su imposer ses valeurs… et … je suis obligée de le constater, dans l’ensemble du monde et de l’Europe, ces valeurs-là sont en recul, et la majorité des gilets jaunes n’en veulent pas non plus, ce qui me décourage complètement !

  4. Le 09 11 2018

    Cela fait vraiment du bien de lire l’éditorial et les commentaires de « Sauvons l’Europe », écrit avec des arguments soigneusement posés, pesés et exprimés. Et nous sommes nombreux à partager de longue date cette approche, et , avec les exemples des pays de l’Europe du Nord, du Canada, du Costa-Rica,, etc…etc..renforcés actuellement par l’Espagne et le Portugal, au sein d’une Europe encore -rappelons le- largement redistributive, nos responsables devraient avoir tous les atouts pour donner aux prochaines élections européennes le grand souffle qui manque cruellement. Bien sûr, il faut avoir le courage de dénoncer les démagogies de monsieur Mélanchon et de madame Le Pen, les coups de menton de monsieur Wauquier, et de rappeler avec fierté nos idéaux, tout en restant modeste et en reconnaissant nos dérives , nos erreurs, notre paresse idéologique et programmatique…..en nous appuyant sur nos réussites social-démocrates, renforcées par la prise de conscience de la redoutable dégradation de l’environnement, du terrible pouvoir du « tout argent », et de la nécessité de faire revivre -tout simplement- l’application de notre devise : Liberté-Egalité-Fraternité, à laquelle j’ajoute « Laïcité ».
    Sur le terrain, en Normandie, je vois de nombreux élus , socialistes en particulier, mais pas seulement-, effectuer un magnifique travail de proximité….. , qui permet de « boucler la boucle » : des Idéaux et des réalisations au niveau de l’Union Européenne, et la mise en oeuvre sur le terrain de ces mêmes idéaux….A nous tous de reprendre courage et de nous réengager pour que la Gauche de responsabilité reprenne pied dans notre Pays et en Europe .
    Merci à « Sauvons l’Europe » de continuer à nous envoyer des informations aussi constructives. Cordialement et bon courage à toutes et tous.. Marc Domec, membre du PS , Section de Darnétal/Amfreville la Mivoie,( à l’Est de Rouen). m.domec@orange.fr

    • Quels « idéaux «  ?
      1 ère question à poser
      Ce sont ceux du peuple ?
      UE, liberté d’expression bafouée et même d’opinion sous le coup de dénonciation. Même sur des sujets apparemment mineurs.
      Malgré Poutine qui souhaite 1 UE forte pr un seul interlocuteur, cf Valdaï 2016/17, l’UE disparaîtra.
      Ce guy pragmatique, se bat pas contre l’ordre des choses.
      Enfin, ce qu’il subodore de l’ordre des choses dont il est partie.
      Votre souci devrait plutôt être pourquoi il ne veut pas de l’UE ds sa sphère d’influence?
      Pourquoi il veut une UE unie pr un seul interlocuteur ?
      Je doute fort que mon commentaire passe la barrière des modérateurs
      Ou vous me surprendrez

      • Il semblerait que votre commentaire ait franchi la barrière des modérateurs. En revanche, il se heurte à la capacité de compréhension très modeste de mon petit cerveau. Merci de vous mettre à la portée des lecteurs moyens.

  5. La baisse des impôts pour les plus riches ne concerne pas seulement l’Italie, voyez ce que fait Micron en France ; Et les attaques tous azimuths sur les avancées sociales c’est aussi la France de Micron.

  6. La question n’est pas pour ou contre l’Europe mais plus d’Europe ou le statu quo, ou l’Europe se réforme ou elle meurt, c’est les structures même de l’Europe qui permettent la montée des nationalismes et son parti pris ultra libéral, uniquement économique qui permet la montée des nationalismes, si l’on veut plus d’Europe il faut accepter moins de nationalisme. Il faut une Europe sociale, diplomatique, une vraie stratégie économique à long terme, un vrai gouvernement européen. Les deux freins qui empêchent l’Europe d’avancer sont la puissance d’une commission européenne non élue, il faut renforcer le pouvoir des députés et surtout en finir avec la majorité absolue qui bloque comme à l’ONU toute action et une majorité à plus de 50%, une majorité qualifiée.

    • Tout à fait d’accord avec votre sentiment au sujet du nécessaire renforcement du pouvoir des députés et du frein que peut constituer la place encore trop importante accordée à la règle de l’unanimité au sein du Conseil.

      Pas d’accord, en revanche, avec le faux procès d’une « Commission non élue »:

      – d’une part, les commissaires doivent avoir l’aval du Parlement européen avant leur nomination définitive. Or, dans les faits, les péripéties de ce processus montrent que certains candidats n’ont pas toujours franchi ce cap de « légitimation »

      – d’autre part, les ministres sont les interlocuteurs de première ligne des membres de la Commission. Or, sont-ils eux-mêmes à proprement parler « élus » pour exercer leurs responsabilités gouvernementales ? Il semblerait que la procédure suivie à cet égard relève elle aussi de la « nomination » et non de l’ « élection ».

      De surcroît, si l’on se réfère à l’exemple des gouvernements français successifs, on constate que certains de ses membres ont été confrontés au « feu du scrutin » au cours de leur carrière en tant que députés, sénateurs, conseillers régionaux ou généraux, maires ou conseillers municipaux. Mais d’autres ont été directement « pêchés » dans la société civile en général, notamment en raison de leurs compétences techniques reconnues.

      Et si vous vous donnez la peine d’examiner la biographie de chacun des membres de la Commission européenne (l’exercice pouvant, lui aussi, être pratiqué sur des « collèges » successifs) – cette biographie étant consultable sur le site « Europa » – vous ferez la même constatation que pour les ministres: souvent une expérience antérieure d’élu, parfois une brillante carrière dans l’administration ou le monde des entreprises.

      Restons donc prudents et nuancés avec le critère de l’ « élection ».

      Quant à la « puissance » supposée de la Commission, ne négligeons pas le fait qu’elle doit largement composer avec la « surpuissance » que, de plus en plus dans les faits, se sont arrogée le Conseil (des ministres) et le Conseil européen (des chefs d’Etat et de gouvernement).

  7. En plus d’apprendre à maîtriser la partie dépenses de leurs budgets, ce que les élus de gauche ou de droite doivent apprendre à faire car ils ne savent pas le faire ni n’en ont le courage, c’est de taxer de manière cohérente et organisée et si possible au niveau de l’UE même, les profits très importants tirés du capital financier non productif.
    Et celles et ceux, individus ou entreprises qu’il faut taxer, ce sont celles et ceux qui dissimulent leurs bénéfices pour qu’ils ne profitent ni au pays qui leur a permis de les réaliser ni à ses habitants.
    Sinon les masses populaires, ne voyant pas une amélioration sur ces situations d’injustices flagrantes, se tourneront invariablement vers les plus démagogues des populistes et contre le/les boucs émissaire (s) qui leur seront désignés.

  8. Merci beaucoup pour cette analyse que je vais aussi envoyer à quelques amis intéressés.

    Je vis à San Sebastian depuis de nombreuses années mais continue à suivre ce qui se passe des deux côtés de la frontière basque-espagnole, et il est vrai que ce que nous vivons actuellement tant au Pays Basque espagnol qu’au niveau de l’Etat espagnol avec Sanchez et Podemos est très intéressant. Dommage que la Catalogne et surtout ses dirigeants politiques aussi bien à Barcelone qu’en exil, refusent un dialogue constructif et réaliste.

    Et puis voir Macron s’allier à Ciudadanos est désolant… est-il seulement au courant des discours d’Albert Rivera?

    Merci à nouveau pour vos articles qu nous aident à réfléchir…

  9. Une politique « de gauche », avec un smic de misère et des cadeaux fiscaux attribués aux étrangers riches, comme Madonna et les « réfugiés fiscaux » européens, dont beaucoup de français, qui ne veulent pas payer d’impôts dans leur pays, sans parler des Visas dorés payés par de l’argent dont on ne sait pas d’où il vient? Laissez-moi rire!

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