Le Coup de périscope : volume 11

Tour d’horizon de l’actualité européenne du 1er au 7 janvier 2023

NB : il convient de préciser qu’outre la lecture de la presse écrite et le suivi des médias audiovisuels les informations présentées – certes de manière sélective – dans cette rubrique puisent principalement leurs sources dans les communiqués de presse des institutions de l’UE ainsi que dans les publications quotidiennes des deux précieuses agences de presse qu’incarnent l’Agence Europe et Euractiv. Des articles publiés par le think-tank EuropaNova fournissent aussi des éclairages intéressants occasionnellement pris en compte.

S’agissant d’un travail de « mémoire » et de synthèse et non d’un « reportage » en temps réel, c’est de manière délibérée que les développements qui suivent ont entendu privilégier un certain recul par rapport à la date des actes juridiques, prises de position et faits pris en considération.

Institutions

Le 1er janvier, succédant à la République tchèque, la Suède a inauguré sa présidence, au niveau ministériel, du Conseil de l’UE pour le premier semestre 2023.

Comme chaque présidence « tournante », elle a défini un ensemble de priorités, qui se décline en quatre volets :

  • sécurité : dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la poursuite de l’aide économique et militaire à Kyiv occupe une place prépondérante parmi les objectifs du gouvernement de Stockholm, qui entend par ailleurs affirmer son soutien au statut de « pays candidat à l’adhésion » de l’Ukraine.

Plus largement, la nouvelle présidence affiche l’ambition de dégager un consensus entre les Etats membres en faveur d’une politique de défense et de sécurité européenne solide, notamment via la concrétisation de la « boussole stratégique » approuvée en mars 2022 sous présidence française dans le but de consolider l’action de l’Union dans ce domaine hautement sensible. Sur le terrain de la sécurité proprement dite, la poursuite de la lutte contre la criminalité organisée transfrontière complète ce volet du programme suédois

  • compétitivité : selon ce programme, une attention particulière devrait être portée aux efforts visant à stimuler la croissance économique pour relever les défis à long terme – et ce dans une optique d’ « approche concertée de la compétitivité européenne », fondée en particulier sur la libre concurrence, les investissements privés et les progrès de la numérisation.
  • transition écologique et transition énergétique : Stockholm affirme sa volonté de poursuivre les efforts destinés à lutter contre les prix élevés et volatils de l’énergie tout en souhaitant, dans une optique de long terme, contribuer à mettre en place une réforme du marché de l’énergie favorisant une plus grande indépendance vis-à-vis des combustibles fossiles. C’est dans cette perspective que la nouvelle présidence compte notamment promouvoir l’initiative d’ajustement à l’objectif climatique de l’UE visant à réduire d’au moins 55% d’ici à 2030 les émissions nettes de gaz à effet de serre (« Fit for 55 « ); cette initiative avait fait l’objet de propositions de la Commission européenne le 14 juillet 2021 [COM(2021) 550] dans le cadre d’un « paquet législatif », sur lequel le Conseil a adopté, le 29 juin 2022, des orientations générales destinées à ouvrir la voie à des négociations avec le Parlement européen en vue d’aboutir à une réglementation en bonne et due forme.
  • valeurs démocratiques : insistant sur le caractère primordial de telles valeurs, la présidence suédoise souligne que la défense du principe de l’Etat de droit et des droits fondamentaux constitue un élément essentiel de son programme, à l’instar de ce qui, selon elle, incombe à toute présidence du Conseil.

Dans le domaine de la vie institutionnelle, les premiers jours de l’année ont été marqués par les suites données à l’affaire de corruption révélée en décembre 2022 et touchant la vice-présidente grecque du Parlement européen, Eva Kaili, en lien avec des manœuvres imputées au Qatar pour faire évoluer dans un sens plus positif son image de pays tiers. Ainsi, le 2 janvier, répondant à une requête des autorités judiciaires belges, la présidente du Parlement, Roberta Metsola, a lancé une procédure d’urgence destinée à lever l’immunité de deux membres de son institution, l’Italien Andrea Cozzolino et le Belge Marc Tarabella, tous deux membres du groupe socialiste S&D et visés dans le cadre d’une enquête ayant conduit non seulement à l’arrestation de Mme Kaili , surprise en possession d’une importante somme en argent liquide, mais aussi à la déchéance de son titre de vice-présidente. La procédure de levée d’immunité devrait être menée à son terme d’ici le 13 février prochain.

On soulignera que le retentissement donné à cette affaire avait conduit, dès sa révélation, la présidente du Parlement européen à envisager une réforme destinée notamment à renforcer la protection des lanceurs d’alerte et à réglementer les groupes d’amitié non officiels entretenus par des eurodéputés avec des pays tiers. C’est aussi  dans ce contexte que s’est inscrite la publication, en ce début d’année, d’un rapport élaboré par une commission spéciale du Parlement européen au sujet des « interférences étrangères ». Parmi les recommandations formulées dans ce cadre, on notera en particulier: un appel à intensifier les efforts visant à lutter contre la corruption et les campagnes d’influence ;  une invitation à adopter des règles de nature à améliorer la transparence au niveau des institutions européennes pour prendre spécifiquement en compte l’influence étrangère ; une préconisation en vue de créer un « Centre pour l’intégrité de l’information » ; un encouragement à intensifier la communication stratégique au sujet des manipulations de l’information ; une exhortation à l’ intensification de la lutte contre les cyberattaques.

Espace Schengen, zone euro et marché unique

Si l’on peut parler d’« élargissement interne », un double pas a été accompli en ce sens le 1er janvier à la faveur d’une intégration plus poussée de la Croatie dans les développements marquants de l’UE, dix ans après son adhésion à celle-ci :

  • d’une part, ce pays a rejoint l’espace Schengen mis en place en 1985 et progressivement étendu pour faciliter la libre circulation des personnes. Il en est devenu le 27e Etat participant – étant entendu que ce cercle spécifique regroupe aujourd’hui 23 Etats membres de l’UE (mais pas la Bulgarie, Chypre, l’Irlande et la Roumanie) ainsi que 4 Etats associés membres de l’Association européenne de libre échange (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse) et diverses micro-entités telles que Monaco, Saint-Marin et le Vatican
  • d’autre part, la Croatie est devenue le 20e pays de la zone euro, pays où la monnaie commune est appelée à remplacer graduellement l’ex-monnaie nationale (le kuna). Restent actuellement en dehors de la zone la Bulgarie, le Danemark, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la République tchèque et la Suède – tandis que, là encore, quatre micro-Etats (Andorre, Monaco, Saint-Marin, Vatican)  utilisent officiellement l’euro  et que certains pays comme le Monténégro ou le Kosovo en font usage de facto.

On ajoutera que le 1er janvier marque par ailleurs le 30e anniversaire de la mise en place du marché unique européen conçu dans le cadre du traité de Maastricht (1992) pour permettre aux personnes, aux biens, aux services et aux capitaux de circuler librement dans l’UE, territoire auxquels s’ajoutent l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège ; la Suisse dispose également d’un accès partiel à ce vaste ensemble.

Santé

Dans le contexte d’une recrudescence des cas de coronavirus en Chine à la suite de l’abandon de la politique dite « zéro covid », le Centre européen de contrôle et de prévention des maladies (ECDC) a tenu à indiquer, le 3 janvier, qu’en raison du niveau d’immunité de la population européenne ce phénomène ne devrait pas avoir d’incidence majeure sur la situation diagnostiquée au sein de l’UE. Cela dit, le même jour, au cours d’une réunion du Comité de sécurité sanitaire (HSC), les experts des Etats membres ont envisagé diverses mesures de précaution concernant les voyageurs en provenance de Chine et, plus largement, la sécurité sanitaire à bord des transports aériens. Pour sa part, la Commission européenne a par ailleurs proposé à la Chine un soutien dans la lutte contre la pandémie par le biais de la mise au point de nouveaux vaccins ou la fourniture d’expertise.

Le 5 janvier, s’inscrivant dans la ligne d’une pratique de flexibilité accrue en matière d’aides d’Etat, telle qu’inaugurée avec les premières mesures d’adaptation aux contraintes de la crise sanitaire, la Commission a autorisé la France à prêter une assistance financière à la compagnie aérienne Air Austral, basée sur l’île de la Réunion. Cette assistance porte sur une aide à la restructuration d’un montant de 119,3 millions d’euros pour permettre le retour à la viabilité de l’entreprise et sur un dispositif de compensation à hauteur de 17,5 millions d’euros pour indemniser cette dernière en raison des dommages subis suite à la pandémie de coronavirus entre le 17 mars et le 30 juin 2020.

Le 6 janvier, la Commission européenne a adopté une proposition [COM (2023) 10] visant à accorder davantage de temps pour certifier les dispositifs médicaux : ces derniers recouvrent des solutions innovantes pour le diagnostic, la prévention, le suivi ainsi que le traitement ou l’atténuation des maladies ; ils vont des lentilles de contact ou des pansements adhésifs à des productions plus sophistiquées comme les stimulateurs cardiaques ou les prothèses de hanche. La proposition a pour but de limiter le risque de pénurie des dispositifs mis sur le marché de l’UE,  en prolongeant la durée des périodes de transition initialement prévues afin de donner aux fabricants concernés un délai supplémentaire pour s’adapter aux nouvelles exigences réglementaires : celles-ci ont été édictées par le règlement (UE) 2017/745 (JOUE L 117 du 5 mai 2017) adopté par le Parlement européen et le Conseil en avril 2017 en tant que base législative en la matière.

Plus largement, il convient de souligner que, parmi les objectifs prioritaires mis en avant par la nouvelle présidence suédoise pour le premier semestre 2023, figure sa volonté de  « contribuer à développer et à renforcer le rôle de l’UE en ce qui concerne la santé dans le monde ». D’où sa référence à la mise en œuvre de la stratégie en matière de santé mondiale présentée le 30 novembre 2022 et conçue désormais comme un pilier essentiel de la politique extérieure de l’Union, cette dernière souhaitant consolider à l’échelle de la planète son rôle de chef de file dans le domaine sanitaire.

Climat, environnement et développement durable

Se référant à un document de travail de ses services [SWD (2023) 4] en date du 4 janvier, la Commission européenne s’est inquiétée de la disponibilité et de l’accessibilité financière dans le domaine des denrées alimentaires. Si elle considère que la situation n’est pas alarmante à l’heure actuelle, elle observe néanmoins qu’en raison de la conjonction de plusieurs facteurs tels que le changement climatique, la dégradation de l’environnement, ainsi que les conséquences économiques de la crise sanitaire et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie cette situation pourrait évoluer de manière plus préoccupante à terme, y compris à relativement brève échéance. D’où un appel à tenir compte de telles perspectives dans les initiatives à mettre dorénavant en œuvre.

Le 5 janvier, la Commission a décidé de recenser le Cameroun comme « pays non coopérant » dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée en regard des dispositions du règlement (UE) n°1005/2008 du Conseil [JOUE L 286 du 29 septembre 2008], qui garantit que seuls les produits de la pêche capturés de manière licite accèdent au marché de l’UE.  Le règlement prévoit l’activation d’un mécanisme de dialogue spécifique avec les pays concernés avant l’imposition de restrictions d’importation – pratique que la Commission a suivie avec 26 pays tiers depuis novembre 2012. Au-delà du « carton rouge » ainsi adressé au Cameroun, un nouveau dialogue devrait reprendre afin d’aider ce pays à remédier aux insuffisances constatées.

Ukraine

Comme souligné plus haut dans la rubrique consacrée aux priorités de la présidence suédoise au cours du premier semestre 2023, le soutien à l’Ukraine face à l’invasion russe occupe une place de premier plan parmi les objectifs ainsi énoncés. En fait, l’approche sous-jacente à cette détermination ne manque pas d’originalité dans la mesure où la nouvelle présidence du Conseil de l’UE établit un lien entre cet appui et la politique de coopération au développement, alors que l’Ukraine ne relève pas de la catégorie des pays habituellement éligibles à ce type de coopération.  En soulignant que « le rôle de l’UE en tant que premier pourvoyeur d’aide au développement sera encore renforcé » par cette implication, Stockholm paraît sous-entendre qu’au-delà de la fourniture de moyens militaires la longue expérience de l’Union en matière de coopération au développement peut être mise à profit dans des domaines tels que l’aide humanitaire ou la reconstruction consécutive aux ravages de la guerre.

A l’instar des marges de flexibilité admises dans les principes de concurrence en raison des retombées de la crise sanitaire (voir supra, rubrique « Santé »), la guerre en Ukraine n’est pas sans influence sur la tolérance  – au moins temporaire – à l’égard des aides d’Etat. C’est ainsi que, le 6 janvier, la Commission européenne a approuvé un régime de soutien renforcé apporté par la Slovénie à ses entreprises, en complément d’un précédent agrément déjà accordé en juin 2022.

Brexit

Le 6 janvier, toujours dans le domaine des aides d’Etat, la Commission s’est prononcée favorablement à l’égard d’un régime irlandais d’un montant de 2,8 millions d’euros destiné à soutenir le secteur de la pêche dans ce pays à la suite de la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

Actions et relations extérieures

Si l’attention de la présidence suédoise se porte en particulier sur un aspect hautement sensible de l’actualité internationale comme le conflit russo-ukrainien (voir ci-dessus), elle affiche de manière plus générale sa détermination à « œuvrer au renforcement de l’UE en tant qu’acteur mondial ». Dans ce contexte, un intérêt spécifique est mis en évidence sur le terrain des relations avec le continent africain, qu’elle entend privilégier à titre de « valeur ajoutée de l’UE en tant que partenaire stratégique des pays africains, y compris sur les questions de développement, de commerce et de sécurité ».  Elle considère par ailleurs que la coopération ainsi confortée démontrera son importance en regard d’objectifs tels que : promouvoir le processus démocratique, défendre un ordre mondial fondé sur des règles et relever les défis internationaux que représentent le climat, la question migratoire ainsi que la lutte contre le terrorisme et le crime transfrontière organisé.

Sur le plan bilatéral, ce début d’année a été notamment marqué par une rencontre à Rabat, le 5 janvier, entre le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, et le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita. Ce dernier a tenu à souligner trois dimensions caractéristiques du partenariat entre l’Union et le Maroc (à savoir le voisinage, les valeurs et les intérêts communs) qui appellent à être nourries et enrichies. De son côté, M. Borrell a annoncé le lancement de deux nouvelles initiatives : un dialogue à haut niveau en matière de sécurité et une coopération renforcée dans les instances  internationales entre les deux parties.  Le soutien à la jeunesse marocaine et les progrès à accomplir dans le domaine du partenariat numérique ont également été évoqués, de même que la lutte contre le changement climatique et celle en faveur de la transition énergétique. Le haut représentant de l’UE a par ailleurs insisté sur l’engagement de l’Union à accompagner son partenaire dans ses réformes, y compris en ce qui concerne le domaine social, la santé et l’éducation. On ajoutera que la rencontre s’est avérée d’autant plus délicate que le Maroc n’a pas été épargné par des allégations liées à l’affaire du Qatargate et aux soupçons de corruption qui l’entourent (voir supra, rubrique « Institutions »).

Gérard Vernier
Gérard Vernier
Ancien fonctionnaire de la Commission européenne & enseignant à l'Université Libre de Bruxelles

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