La social démocratie européenne perd sa rock star Sanna Marin

Depuis une dizaine d’années, les gouvernements sortants font figure de mal-aimés en Finlande. En 2011, la droite conservatrice l’avait emporté pour ne faire ensuite qu’un seul mandat. En 2015, ce fut au tour du centriste Juha Sipila de devenir Premier ministre puis d’essuyer une défaite sans appel après quatre années à la tête du gouvernement. Pour le Premier ministre social démocrate Antti Rinne, le destin allait se montrer encore plus cruel puisqu’il se trouvait contraint à la démission suite à un scandale éclatant seulement quelques mois à peine après la victoire des Sociaux Démocrates en 2019. C’est alors qu’entrait en piste Sanna Marin. Charismatique et populaire, on était en droit d’espérer qu’elle saurait mettre fin à cette malédiction finlandaise des gouvernements non réélus. Pour la première fois depuis longtemps, un Premier ministre finlandais était ainsi largement reconnu sur la scène politique internationale mais cela n’aura pas suffi à ce qu’elle l’emporte dans son propre pays. Certains de ses détracteurs lui reprocheront sans doute d’avoir privilégié le style à la substance mais ce serait lui faire un faux procès. En effet, la plupart de ses adversaires eux-mêmes reconnaissent son sérieux et sa puissance de travail et ce n’est pas cette polémique ridicule sur les soirées privées auxquelles elle a participé qui aura fait bouger d’un iota – ou alors seulement de manière marginale – sa crédibilité. En réalité, ce qui a coûté son poste à Sanna Marin est bien plus banal : les Finlandais ont tout simplement désapprouvé le programme économique des Sociaux Démocrates et lui ont préféré celui des Conservateurs du Kok.

La dette au cœur du débat électoral

Les choses avaient pourtant bien débuté pour la Première ministre avec une gestion de la crise Covid jugée remarquable. Seulement voilà, à l’instar de beaucoup de gouvernements, le cabinet Marin a augmenté de manière importante la dépense publique durant la pandémie. Or, la culture politique finlandaise – et nordique en général – se montre particulièrement allergique à l’endettement et même si le niveau de la dette finlandaise reste encore relativement soutenable en comparaison de l’état des finances de bien d’autres pays européens, le sujet est rapidement devenu l’un des thèmes principaux de la campagne. Si elle ne reprochait pas particulièrement à Marin d’avoir ouvert les cordons de la bourse durant la crise, la droite exigeait en revanche des réponses quand à l’avenir. Il fut un temps où les différences idéologiques étant relativement faibles entre la gauche et la droite en Finlande, Sociaux Démocrates comme Conservateurs auraient proposé – à des degrés divers mais de manière générale – des coupes modérées dans les dépenses tout en maintenant un haut niveau d’imposition afin de réduire la dette. Mais cette élection fut sans doute l’une des plus idéologiques depuis longtemps dans ce pays. La droite a ainsi réclamé des coupes budgétaires sans précédent tout en défendant l’idée d’une baisse d’impôts bénéficiant davantage aux classes aisées, en clair un programme néolibéral longtemps anathème en Finlande. De son coté, Sanna Marin, qui appartient plutôt à l’aile gauche du parti, n’a pas hésité à affirmer qu’elle préférait encore une dette restant soutenable à des coupes budgétaires. Les Finlandais avaient donc un choix clair à effectuer et ils ont, de très peu, placé le Kok en tête.

Les Sociaux Démocrates obtiennent pourtant un score tout à fait respectable. Mieux, ils progressent légèrement, en suffrages comme en sièges. Mais ce constat doit être nuancé par le fait qu’un certain nombre d’électeurs de la gauche radicale et des écologistes ont effectué un vote utile en faveur du SDP, espérant ainsi voir ce parti arriver en tête en lieu et place du Kok ou de l’extrême droite. L’ensemble de la gauche perd ainsi 12 sièges, ce qui démontre bien une perte sèche pour la gauche au profit de la droite et de l’extrême droite. Les changements dans la sociologie de l’électorat des Sociaux Démocrates confirment cette tendance : le SDP a assez nettement progressé dans les métropoles et la moyenne d’âge de ses électeurs s’est sensiblement abaissée, là où elle se situait au-delà des 60 ans en 2019. On y retrouve ainsi une partie de l’électorat écologiste puisque les Verts se sont totalement effondrés en passant de 20 à 13 sièges, tout comme celui de la gauche radicale qui perd pour sa part cinq sièges.

Toutefois, il faut également noter un important transfert de voix écologistes vers les conservateurs du Kok. Ce qui est somme toute logique au regard de la composition sociologique du vote Vert : une majorité d’urbains issus des classes moyennes, voire moyennes supérieures. Or si cet électorat est progressiste sur les questions écologistes, ce sont également des gens qui sont potentiellement sensibles à des promesses de baisses d’impôts telles que portées par le Kok. Il n’est donc pas si étonnant d’avoir assisté à un partage assez équilibré des voix vertes entre les Sociaux Démocrates d’une part, et les Conservateurs d’autre part.

Quel gouvernement émergera de cette élection ?

Autre transfert de voix non négligeable : celui d’une partie des électeurs du Centre vers l’extrême droite. Sans atteindre les mêmes proportions que l’effondrement des Verts, les Centristes ont perdu une partie de leurs bastions ruraux du nord du pays, permettant ainsi des gains substantiels de l’extrême droite en suffrages comme en sièges. Au final, le parti des Finlandais (nouveau nom des « Vrais Finlandais », on reste dans la même sémantique) réussit à se glisser à la deuxième place entre les Conservateurs et les Sociaux Démocrates. Bien évidemment, le thème principal de campagne de l’extrême droite aura porté sur l’immigration, sans oublier, cela va de soi, une tonalité particulièrement europhobe. Il convient malgré tout de noter un changement de posture sur le thème de l’OTAN, le parti apportant également son soutien à l’Ukraine, à l’instar des Fratelli de Giorgia Meloni.

Quel gouvernement émergera de cette élection ? Il faut préciser au préalable que le Parti du Centre s’est exclu lui même de toute participation à un gouvernement, préférant penser ses plaies dans l’opposition. Sans se montrer aussi catégorique, les Verts affichent également une nette préférence pour cette option. A partir de là, on peut considérer qu’il existe deux possibilités : un gouvernement avec pour ossature les Conservateurs et l’extrême droite qui seraient accompagnés par le petit parti chrétien démocrate ainsi que par le parti représentant les intérêts de la minorité suédoise ou une grande coalition entre le Kok et les Sociaux démocrates avec les Verts, voire avec le parti suédois. Durant les premiers jours, la première option semblait largement tenir la corde. Les divergences entre le Kok et l’extrême droite ne semblent pas insurmontables si l’on considère que les premiers ont durci leurs positions concernant l’immigration. D’autre part et malgré un positionnement plus centriste sur le plan économique, cette dernière n’est pas opposée aux baisses d’impôts souhaitées par les Conservateurs. Globalement, on a ressenti un vrai désir de gouverner de la part de l’extrême droite. L’autre difficulté pouvait venir du parti suédois qui se situe plutôt au centre gauche mais le premier positionnement émis par ce parti montrait une certaine ouverture en n’excluant pas ce scénario à condition que le statut de la langue suédoise soit respecté. A contrario, l’idée de gouverner avec le Kok ne paraissait pas franchement enchanter les Sociaux Démocrates, surtout dans un contexte de profonds désaccords quand à la politique économique. Cependant, les cartes ont été rebattues par l’annonce de Sanna Marin présentant sa démission en tant que leader du SDP. Difficile de dire qui lui succèdera mais il faut noter que l’un des favoris potentiels, Antti Lindtman – issu de l’aile droite du parti – penche en faveur d’une grande coalition.

Les Sociaux Démocrates se trouvent ainsi confrontés à un pénible dilemme. Evidemment, choisir la voie de l’opposition signifierait laisser le champ à l’extrême droite. D’un autre coté, une grande coalition, surtout en de telles circonstances, impliquerait forcément de douloureux compromis. Et rien ne dit que l’extrême droite n’en sortirait pas au final grande gagnante avec la possibilité de gouverner par eux même dans quatre ans. Quand, a contrario, l’exemple suédois tendrait à démontrer qu’un gouvernement de la droite et de l’extrême droite atteint vite ses limites puisque l’attelage souffre déjà dans les sondages tandis que les Sociaux Démocrates ont à nouveau le vent en poupe. Le Kok se trouve, quand à lui, dans une situation confortable puisqu’en mesure de faire pression sur ses deux principaux partenaires potentiels en maintenant les négociations ouvertes de chaque côté, faisant ainsi descendre les enchères respectives. Cela même si la tradition politique finlandaise de recherche permanente de consensus implique généralement que les choses ne sont pas censées trop trainer. Le processus de  reconstruction du Parti Social Démocrate, en revanche, devrait durer quant à lui quelques années.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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4 Commentaires

  1. Il faudrait surtout envisager de servir les intérêts de sa nation plutôt que ceux des États Unis et ne surtout pas s’embarquer dans l’Otan. La neutralité est un excellent choix pour la paix et la prospérité. L’Otan c’est l’assurance de guerres sans fin avec désormais l’industrie européenne quasiment forcée vu les prix de l’énergie d’émigrer aux USA et l’Europe destiné à devenir une vaste usine à munitions pour continuer la guerre ad vitam æternam. On ne peut rêver d’un meilleur avenir pour l’Europe n’est ce pas ? N’oublions pas qu’il faudra bien, vassalité oblige, aider les USA à faire une noble, juste et indispensable guerre contre la Chine également afin de faire triompher nos démocraties exemplaires, dont nos dirigeants ne sont plus que des pantins de l’oligarchie mondiale néo-libérale et de ses banquiers. NOUS NE VOULONS PAS DE CES GUERRES !! CES GUERRES NE NOUS CONCERNENT PAS !! REVEILLEZ VOUS PEUPLES D’EUROPE !!

    • Je vous suis infiniment reconnaissant après lecture de vos propos. En y rendant attentifs mes étudiant(e)s, je leur épargnerai en tout cas de fastidieuses recherches sur la rhétorique stalinienne des années 50: votre façon de l’actualiser est suffisamment riche pour qu’ils/elles y trouvent un exemple éloquent quant à la survivance de cette triste logorrhée.

      Quant à une réponse sur le fond, je suis tout aussi soucieux d’épargner à nos lecteurs la redite d’un commentaire publié le 8 avril (à 14 h) sur le présent site à la suite de l’article de Nicolas Ravailhe intitulé « Nos obus pour l’Ukraine sont-ils souverains ? » En filigrane, ce bref commentaire – émanant d’une plume peu encline aux coups d’encensoir à la gloire des Etats-Unis et auquel je me permets de renvoyer – était aussi une façon de se prononcer sur l’entreprise guerrière du regrettable « pâle Poutine » (les amateurs de « Star wars » comprendront l’allusion), dont les qualités de stratège appellent pour le moins quelques réserves…

      • post-scriptum: les qualités de « stratège » auxquelles il est fait allusion se rapportent, entre autres, aux efforts – présumés involontaires – déployés par l’intéressé pour encourager de manière décisive l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN.

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