Nos Obus pour l’Ukraine sont-ils souverains ?

Bien avant que Vladimir Poutine ne jette son dévolu sur l’Ukraine, l’Union européenne s’était dotée, dès mars 2021, d’un instrument budgétaire à vocation guerrière, dénommé en accord avec l’esprit du temps Facilité européenne de paix (FEP) ! Cette nouvelle Facilité intégrait et se substituait à une Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique avec pour objectif « de déployer des opérations militaires dans des Etats tiers ou de leur apporter une aide qui peut inclure la fourniture d’équipements militaires et de défense, d’infrastructures ou d’assistance technique. ». Créé avec un tropisme africain, la Facilité européenne de paix profite en premier lieu à l’Ukraine, en participant d’abord à la course aux Obus face à l’adversaire russe.

Etant donné les objectifs de paix du projet européen, il n’est pas surprenant que les traités européens interdisent l’utilisation du budget communautaire pour financer des activités militaires. La « facilité de paix» est donc un budget à part, dans les mains des 27 chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil européen. Cela fonctionne comme une caisse de bienfaisance associative : tout est possible tant que l’on trouve des contributeurs volontaires. Le trésorier du club est le commissaire européen Josep Borell, qui est aussi le représentant du Conseil pour la politique étrangère et de défense.

Chacun contribue à la cagnotte du FEP : l’Allemagne finance 25% des dépenses, la France 18%, l’Italie 13%, l’Espagne 9%, les Pays-Bas 7,5%, la Belgique 4,5%, la Suède 4%, la Pologne 3,7%… C’est pourtant l’Estonie, contributrice à hauteur de 0,2%, qui a mis sur la table la possibilité d’un achat groupé portant sur un million d’obus. Un engagement financier de 80 millions d’euros pour Riga, mais d’un milliard pour Berlin…

Selon les Américains (et pas seulement eux…), dans les guerres il y a deux constantes : tout le monde ment et rien ne se passe comme prévu. Ainsi, le Conseil européen va consacrer à l’achat d’obus pour l’Ukraine l’intégralité des deux milliards disponibles du si bien nommé Fond européen de paix. Un milliard pour cofinancer a posteriori les obus déjà offerts à l’Ukraine. Un second milliard financera à 60% le futur achat groupé d’obus par les Européens, sur le modèle des vaccins Covid. Par ailleurs, les Européens portent toujours leur histoire en bandouilière : à l’Ouest, nous ne produisons pas de munitions avec des calibres soviétiques, mais selon des normes OTAN. Une aubaine notamment pour les pays d’Europe qui sont des « ex du pacte de Varsovie ». Ils se débarrassent d’obus et de matériels obsolètes mais compatibles avec l’Ukraine, pour en acheter des nouveaux avec l’argent des plus importants contributeurs, l’Allemagne et la France.

Au fur et à mesure que la cagnotte du FEP se remplira pour l’Ukraine, elle contribuera à financer aux Etats Membres du matériel de remplacement à la place de ceux livrés à l’Ukraine. C’est donc le paysage de la Défense européenne pour une génération qui se dessine de facto. Or, à l’heure actuelle, les Etats Membres sont libres d’acheter urbi…mais surtout Orbi (Etats-Unis, Corée du Sud, Israël…). Il va sans dire que sans une condition d’achat « made in EU » attachée au FEP, il deviendra alors illusoire de parler de souveraineté européenne. D’ailleurs, les Etats-Unis n’ont jamais autant vendus de matériel militaire en Europe que depuis l’invasion russe…

Cet article a été coécrit avec Henri Lastenouse

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8 Commentaires

  1. Très pertinente analyse de ce billard à 2 bandes ou plus, qui pourra structurer notre industrie de defense pour faire face aux defis

  2. Au-delà du „yaka“, il y a quand même d’autres paramètres comme le facteur temps, la capacité de production, la compatibilité. Et à ma connaissance l’industrie de l’armement de l’UE se porte comme un charme actuellement. Enfin, ce n’est pas cette modeste „Facilité“ qui va faire la différence mais bien l’augmentation généralisée de la part des PIB consacrés aux dépenses militaires

  3. UE les braves toutous des américains. Allons y gaiement pour une 3eme guerre mondiale et probablement nucléaire pour rendre le Donbas et la Crimée deux régions qui ont voté à 95 % pour être russe aux ukro-nazis qui commettent TOUS LES JOURS des crimes de guerre là bas bombardant hôpitaux écoles place du marché station de bus convois de réfugiés centre culturel parcs centre ville monastère et même les enterrements et les ambulances !!! dans le silence odieux et hypocrite de nos médias qui n’hésitent pas par contre a bien nous laver le cerveau sur des soi disant crimes de guerre russes qui ne sont que de grossières provocations ukrainiennes . J’ai honte de nos soi-disant démocraties. Et pas un mot sur Nord Stream. En Europe même pas le courage de protester contre un acte de guerre américain fatal pour notre économie. Nous sommes devenus des moins que rien. Notre « narratif «  pue de la gueule .

    • Un toutou ? Pourquoi pas ? Mais selon quel modèle ? De Milou à Rantanplan, la BD offre une palette de sympathiques canidés et permet ainsi un choix plutôt large, de nature à satisfaire différentes sensibilités.

      Pour ma part, Européen réfractaire à tout envahisseur engoncé dans des prétentions « impérialistes », j’ai un faible pour le résistant Idéfix. Intuitivement, en effet, j’aurais tendance à penser que c’est le type-même de toutou qui ne supporte pas une laisse trop courte et encore moins une muselière… De surcroît, défenseur convaincu de la préservation des arbres, il a un côté sympathiquement écolo.

      Bref, tout le symbole d’une Europe jalouse de son autonomie. En effet, contrairement à une propagande digne de ritournelles soviétiques ampoulées, l’Union européenne s’est résolument engagée – surtout après la chute du « Mur » – sur la voie étroite (et longue, sinon, comme l’Enfer, pavée de bonnes intentions) du progrès démocratique. Aussi, compte tenu de l’aveuglement constaté de façon récurrente chez les dirigeants d’Outre-Atlantique, aurait-elle peut-être vocation à leur servir de chien-guide sur ce chemin escarpé.

  4. La guerre, une autre manière d’augmenter artificiellement le PIB quand l’économie est en panne malgré les « crises financières » puis le Covid et les supers profits de certains secteurs, engrangés comme toujours sur le dos des contribuables…Quand il n’y aura plus rien à tondre, ne doutez pas que ces derniers seront mis à mort sans l’ombre d’une hésitation !

  5. Bonjour.

    Cet article est éloquent, il démontre la stupidité de certaines règles de fonctionnement de l’UE, l’inintelligence et la cupidité de nos gouvernants, tout ceci parce qu’on ne veut pas construire une véritable armée européenne ainsi qu’une une vrai nation européenne ?

    Que de gaspillage, que de bêtises dans l’armement actuel fournit à l’UKRAINE, dans l’armement des diverses nations européenne.
    Avant d’avoir déchiffré les multiples notices d’emploi de ces divers équipements, l’ennemi sera déjà entré dans nos casernes !!!!!!!!

    De plus, c’est semble t’il avec notre argent (que nous n’avons pas ) que certains pays vont changer leur armement pour l’acheter aux américains, je crois rêvé ?

    Monsieur VERNIER, le ciel ne nous est-il pas tombé sur la tête ?

    • Cher Mylord,

      On peut présumer que nous partageons un attrait commun pour les personnages d’Asterix: de votre côté, vous faites allusion à un sentiment cher aux irréductibles Gaulois – à savoir la crainte que le ciel ne leur tombe sur la tête; pour ma part, j’ai évoqué Idéfix, le chien d’Obélix.

      Cette convergence de références étant actée, permettez-moi de répondre à votre double préoccupation en réitérant quelques considérations que j’ai déjà développées dans des commentaires antérieurs et que nombre de nos lecteurs connaissent bien… mais sans doute pas tous.

      Ainsi, quant à vos interrogations concernant l’Europe de la Défense, on doit effectivement convenir que, sur le temps long, le label proprement « européen » s’est discrètement révélé comme « au bois dormant ». Après l’échec de la Communauté européenne de défense au milieu des années 50 – et chat échaudé craignant l’eau froide, voire tiède – l’ambition s’est inscrite aux abonnés absents jusqu’au traité de Lisbonne signé en 2007. Après quelques avancées esquissées au cours des années qui ont précédé ce traité – notamment dans le cadre de réunions successives des chefs d’Etat et de gouvernement et le lancement d’actions sur des théâtres d’opérations extérieurs à l’UE – ce dernier consacre expressément une politique de sécurité et de défense commune, matérialisée, par exemple, par la création d’une Agence européenne de défense. Dans ce contexte, il n’est pas interdit de considérer que le conflit russo-ukrainien a contribué à précipiter et amplifier le mouvement ainsi amorcé.

      Quant à l’édification d’une « vraie nation européenne », permettez à un vieux militant européen qui a passé plusieurs décennies au sein des institutions de l’Union de faire montre d’une vision que j’ose qualifier de « réaliste »… quitte à tempérer mes propres attentes.

      Comme j’aime le rappeler, le visionnaire Robert Schuman, tout pétri d’idéalisme qu’il ait pu être, pressentait lui-même que la patience serait de mise lorsqu’il déclarait que l’Europe ne se ferait pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble: selon lui, le processus préconisé consisterait essentiellement en l’avènement de réalisations concrètes créant D’ABORD (c’est moi qui souligne) des solidarités DE FAIT (idem). Aussi, pour prouver le mouvement en marchant, a-t-il eu, avec Jean Monnet, l’intuition de commencer par l’exemple du charbon et de l’acier – des ingrédients redoutables dans les conflits, mais surtout emblématiques de la « locomotive » que les deux pères fondateurs entendaient mettre sur les rails.

      Cette méthode de progressivité a pu porter des fruits – même si, de temps à autres, des crises ont conduit à substituer de grands sauts au cheminement à petits pas: l’aide à l’Ukraine semble s’inscrire dans cette configuration plus déterminée, tout comme la réaction face la crise monétaire d’il y a quelques années, voire, plus récemment, face à la crise sanitaire révélant les inconvénients de l’absence d’une Europe de la santé en bonne et due forme.

      Plusieurs observateurs ont pu déceler dans la construction européenne un embryon de fédéralisme. Si certains aspects du chantier peuvent l’attester, la démarche qui la sous-tend ne saurait cependant être assimilée à ce qui pourrait entièrement accréditer cette forme « constitutionnelle »: il ne s’agit pas de fédérer des colonies, comme aux Etats-Unis à leur point de départ, ou d’unir des cantons, comme en Suisse, pas plus que, dans une approche que l’on peut qualifier de décentralisation, de transférer des compétences à des entités telles que les länder en Allemagne ou les structures régionales (je simplifie !) en Belgique. De surcroît, on ne doit jamais perdre de vue que, dans l’UE, les parties prenantes sont des Etats, avec leur attachement à leur souveraineté et à leurs pouvoirs régaliens. C’est ce qu’avait bien compris Jacques Delors lorsqu’il évoquait la perspective d’une « Fédération d’Etats-nations » (sans nier la complexité que suppose une telle ambition).

      Quant à l’édification d’une « nation européenne » digne de ce nom, c’est incontestablement un bel idéal. Mais la création d’une « nation » se décrète-t-elle ? Là encore, le poids des « circonstances » peut être déterminant. On dit par exemple que la nation française, après les soubresauts du XIXème siècle, s’est véritablement consolidée grâce à la fraternité des tranchées de la Grande Guerre. Loin de faire de cette observation une apologie de la guerre – bien au contraire – on peut, d’une certaine façon, retrouver l’inspiration des « solidarités de fait » chères à Robert Schuman.

      Bref, l’impatience, même légitime et compréhensible pour certaines générations, ne serait pas la plus avisée des conseillères. A bien des égards, la devise dont s’est dotée l’UE – « Unis dans la diversité  » – peut être considérée comme une boussole pour ne pas perdre le cap… tout en sachant que ce sont les Etats membres, plus que la Commission européenne – singulière vigie aux côtés du Parlement européen – qui tiennent la barre. Cela dit, ne négligeons pas une autre donnée qui peut contribuer à paver la route vers vos louables espérances: l’édification progressive d’une citoyenneté européenne, palpable, entre autres, à la possibilité pour un citoyen de participer à des votes dans un Etat membre différent de celui de sa nationalité à l’occasion de scrutins ancrés dans la vie locale, voire continentale… même si, d’une manière qui ne se limite pas aux plus récentes élections européennes (à vérifier l’an prochain !), la participation auxdits scrutins a tendance, depuis quelques années, à épouser le tracé d’une courbe descendante.

      Pour les optimistes à vocation lunaire (je m’en revendique) – y-compris ceux qui, selon la célèbre formule, ignorant que la chose est impossible, finissent par la réaliser – l’exercice de la citoyenneté peut en définitive s’avérer un petit pas pour chaque Européen, mais un grand pas pour l’Europe.

      • Monsieur VERNIER.

        Votre optimisme est une source d’espoir mais en pratique, comment peut-on admettre un tel gâchis dans une période aussi difficile ?

        Pourquoi n’uniformisons nous pas, ne rationalisent t’on pas nos divers armements pour une plus grande efficacité en terme qualitatif et quantitatif ?

        Ne pensez-vous pas que nous ferions des économies à grande échelle si nous avions une défense commune ?

        Seul, ne sommes nous pas ridicule, inexistant, avec des pitres qui se donnent en spectacle ?

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