La Commission européenne est une bien curieuse chose. Ce n’est pas tout à fait un gouvernement, mais pas non plus une simple administration. Elle ne pèse guère sur la scène politique, mais est composée d’anciens ministres ou chefs de gouvernement, et issue des élections européennes. Une sorte de chenille coincée au milieu de sa mue. Les pro-européens les plus fervents appellent avec impatience à l’émergence d’un véritable gouvernement démocratique de l’Europe, les souverainistes regardent avec méfiance tout ce qui peut exister face aux Etats.
Pour autant, les choses évoluent. Ursula von der Leyen était la candidate du rassemblement des conservateurs européens, le PPE (sauf les Républicains français), elle s’est présentée comme tête de liste aux élections européennes, son groupe est le mieux élu du nouveau Parlement, elle a constitué sur un programme de mandat une coalition parlementaire avec les centristes, les sociaux-démocrates et une forme de soutien des écologistes (mais pas des Républicains français). En somme, elle dispose d’une légitimité démocratique et n’est pas une simple technocrate sans saveur ni aura. Mais elle est une politique sans saveur ni aura.
Ursula von der Leyen est arrivée sur la scène européenne après un échec relatif dans la vie politique allemande et à la faveur du crash démocratique qu’a constitué le veto de Viktor Orban à la candidature de Frans Timmermans, qui avait remporté les élections européennes. Elle n’a pas réussi depuis à percer médiatiquement, ni à devenir une figure politique de référence. Ajoutons à cela que le processus de candidature à la Commission européenne a été ignoré du débat public, et particulièrement en France où le service public a ignoré les débats entre candidats.
Quid de la diversité des courants politiques européens ?
On pourrait donc s’attendre à une Commission pleinement représentative des différents courants politiques européens. L’équipe qui nous a été présentée est au contraire sans doute la plus forte de concentration de l’histoire de la Commission entre les mains de sa présidente. Deux mécanismes y pourvoient :
Le premier est de faire le vide. Tout gouvernement national contient quatre à six ministres forts, que les citoyens identifient et qu’ils peuvent citer. La Commission précédente disposait de telles personnalités, pour les citoyens qui connaissent l’existence de la Commission : Frans Timmermans, en charge du Pacte vert, Josep Borell pour les affaires étrangères, Margrethe Vestager à la Concurrence et au numérique, Nicolas Schmit aux droits sociaux, Thierry Breton au marché intérieur… Dans l’équipe désormais proposée par von der Leyen, ne ressortent pour l’heure que Teresa Ribera qui s’occupe de la concurrence et de la transition, et Kaja Kallas aux affaires étrangères, signe très fort adressé à la Russie.
Si théoriquement, les Etats proposent les noms des commissaires, on a vu que la pratique constitutionnelle permettait désormais à la présidente de peser sur la composition de la Commission. Et de fait, on est un peu étonné de l’absence de Nicolas Schmit, candidat social démocrate à la Présidence de la Commission et qui en était le numéro 2 naturel dans une construction de coalition. Thierry Breton a été écarté avec fracas. Et d’autres personnalités ont peu été recherchées pour remplacer les partants. La sensation générale est que la Présidente ne souhaitait pas de tête à sa hauteur, ce qui conduit à tailler plutôt bas. Ceci n’est pas sain, et diminuera le pouvoir et la capacité d’incarnation de la Commission auprès des citoyens.
Le second mécanisme est de jouer sur les attributions et les lignes de dépendance. Imaginons un instant, en France, qu’après le refus du portefeuille des finances par Laurent Wauquiez, Michel Barnier se trouve contraint de nommer un jeune macroniste ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Comment l’encadrer ? Michel Barnier peut par exemple choisir comme directeur de cabinet le directeur de cabinet sortant de Bruno Le Maire, et ainsi annexer les voies de conversation administratives existantes. Il peut aussi rattacher à Matignon le ministère du budget et des comptes publics. Il peut encore raccrocher le commerce et l’artisanat à une alliée politique, ministre des territoires, ou bien le commerce extérieur aux affaires étrangères, l’IA et le numérique à l’enseignement supérieur et la recherche. Le nouveau ministre de l’Economie, des finances et et l’industrie conserve ainsi en réalité l’industrie, la consommation, l’économie sociale et solidaire et le tourisme. C’est précisément le jeu auquel va se livrer Ursula von der Leyen.
Prenons Teresa Ribera, qui techniquement n’a en charge directe « que » la direction générale de la concurrence. Socialiste et pro-climat, elle devra pour le reste chaperonner des commissaires conservateurs proche d’Ursula von der Leyen sur le Climat et l’Environnement, l’administration gérant les taxations vertes aux frontières relevant en parallèle d’un autre conservateur, Marcos Sefcovic (et de Stéphane Séjourné, et d’Ursula von der Leyen). Elle devra en outre se partager la tutelle d’Oliver Varhelyi sur le bien-être animal (l’élevage) avec sa collègue sociale démocrate Roxana Minzatu en charge du social et de la santé. Quant à l’agriculture, elle est directement rattachée au conservateur Christophe Hansen, sous la tutelle du vice-président à la cohésion des territoires. On voit que pour tout ce qui relève du climat, elle doit s’en remettre (hors l’énergie et le logement) à un groupe solidement conservateur et proche de la présidente de la Commission.
Notre commissaire français, Stéphane Séjourné, subit le même traitement. Vice-président en charge de la prospérité et de la stratégie industrielle, il ne dispose en propre que de la direction générale du marché intérieur. Il peut s’appuyer en particulier sur Maria Luis Albuquerque pour les services financiers, mais doit partager la tutelle des commissaires en charge du commerce, des impôts, de la douane et de la productivité et de la simplification avec Ursula von der Leyen (entre autres). Il perd également l’industrie de la défense et l’Internet qui sont sous la tutelle d’Henna Virkkunen, avec qui il partage en outre la tutelle des start-up et de l’innovation. Il sera pleinement compétent pour créer un passeport européen des PME.
Inversement se créent des monstres sans aucune lisibilité. Henna Virkkunen, autre vice-présidente et conservatrice bon teint, est censée gérer l’Internet, les start-up, l’innovation, mais aussi la défense (en lien avec Kaja Kallas, mais sans co-tutelle), l’immigration, les droits fondamentaux et la démocratie. Et la consommation aussi me semble-t-il, mais la lecture devient difficile.
Une illisibilité des champs d’action parfaitement intentionnelle
Chacun s’accorde à dire ici que cette illisibilité des champs d’action est parfaitement volontaire. Les commissaires ne disposent pas d’une autonomie et d’une cohérence d’action forte, en particulier s’ils ne sont pas conservateurs. C’est ainsi que dans la commission précédente, Oliver Varhelyi avait pris « seul » la décision d’annoncer la fin des aides européennes à la Palestine, en tout cas sans consulter Josep Borrel. Les croisement de responsabilités et de tutelle entre deux, trois, voire quatre commissaires sont fréquents et ne peuvent aboutir qu’à des demandes d’arbitrage à la présidente de la Commission.
Il s’agit donc pour Ursula von der Leyen de construire une Commission soumise à son pouvoir personnel. Or celui-ci est faible, ce qui est dangereux pour l’équilibre institutionnel. Il s’agit également d’une Commission très marquée à droite, et qui ne reflète pas le résultat des élections ni la coalition parlementaire soutenant la présidente. Une vice-présidence va même à l’Italien Rafaele Fitto, et donc à la droite extrême. Les marges d’action du Parlement européen sont limitées pour réagir. Il ne peut guère recaler l’ensemble de la Commission sans ouvrir une crise politique majeure, après avoir adoubé Ursula von der Leyen. Il peut censurer, et le fera sans doute, certains commissaires individuels, mais cela ne modifiera pas cette architecture. Peut-être le Parlement pourra-t-il tenter de recaler certaines des tutelles et attributions en menaçant de censurer le commissaire concerné, mais la chose s’arrêtera probablement là.
Les défis qui attendent les Européens sont énormes, et nous aurons pour y faire face une Commission faible.
C’est la commission européenne qu’il faut supprimer pour redonner le pouvoir au parlement et ainsi retrouver une Europe forte et DÉMOCRATIQUE.
Vous ne semblez pas vous intéresser de près à l’actualité européenne – quelle que puisse être votre perception, sinon votre connaissance, du fonctionnement réel des institutions de l’UE.
Un suivi attentif vous sensibiliserait aisément à la prédominance qu’exercent les États membres de l’Union dans le pilotage du système, sous deux formes: l’impulsion donnée par les chefs d’État ou de gouvernement (ce qu’en langage courant on désigne par « Sommet européen ») et le rôle du Conseil réunissant les ministres nationaux dans les décisions importantes. Du reste, ce dernier partage le pouvoir législatif avec le Parlement européen pour adopter ces « lois » européennes (en « codécision »)… étant entendu que la Commission, outre ses attributions en matière de gestion (par exemple, des fonds européens) en liaison étroite avec les autorités nationales, dispose d’une compétence de proposition pour mettre les procédures législatives sur les rails. Mais -je me permets d’insister sur ce point – le Parlement est loin d’être hors-jeu: c’est même un travail quotidien qu’il accomplit au sein de ses commissions parlementaires avant de laisser la place à des effets de manche dans l’hémicycle en session plénière.
Merci de ne pas négliger, non plus, la culture de dialogue quotidien de la Commission avec les citoyens – une pratique que les europhobes s’empressent de mettre sous le tapis dans la mesure où celle-ci contrarie leurs préjugés. On peut donner de nombreux exemples de cette culture.
Enfin, s’agissant des aspects liés à la démocratie, je viens de me livrer à un petit exercice que j’affectionne au moment du renouvellement périodique de la Commission, à savoir un coup d’œil (ça prend quand même un peu de temps) à la biographie de chaque commissaire désigné par son gouvernement. Or, il en ressort très clairement que, sur les 26 candidats actuellement pressentis sous l’autorité de la présidente », 20 (c’est-à-dire 75 %) ont été, à un moment ou un autre de leur carrière politique, élus à l’échelle locale, régionale, nationale ou au Parlement européen. Reconnaissons qu’au-delà de la compétence technique reconnue à telle ou tel, ce genre d’antécédent est loin d’être négligeable.
Reste aussi à attendre prochainement l’audition individuelle de ces candidats devant le Parlement européen – un exercice qui ne se réduit pas une simple formalité: des précédents ont montré qu’on pouvait échouer à cet examen.
Il n’empêche que cette organisation, telle que décrite, est un plat de spaghetti!
Pourriez-vous être plus précis en développant ce que l’on appelle un argumentaire ?
Même pour des spaghetti, on reste sur sa faim en vous lisant.
Je m’en réfère à l’article : « Chacun s’accorde à dire ici que cette illisibilité des champs d’action est parfaitement volontaire. Les commissaires ne disposent pas d’une autonomie et d’une cohérence d’action forte ».
Si ce n’est précis que vous faut-il de plus!
Merci pour la précision… mais, bien que bonne pâte, je ne vois toujours pas le rapport avec les spaghetti.
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Programmation_spaghetti
J’espère que vous comprendrez enfin l’allusion!
(réponse complémentaire à Boostaldo)
Serais-je bien isolé dans l’ignorance des sous-entendus de cette allusion ?
Je pense que les débats sur le site de Sauvons l’Europe méritent un peu moins de second degré.
« Ce qui se conçoit bien… etc. »
précision: une mauvaise manipulation du clavier a conduit à ne retenir que la lettre initiale de mon prénom: « G ». Mais la signature reste bien « Gérard Vernier »