Non, l’extrême droite brésilienne n’est pas dans la continuité du populisme européen

Dans les jours qui ont suivi l’élection du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro à la Présidence du Brésil, les principaux observateurs et analystes de la vie politique internationale ont voulu y voir un énième avatar du même phénomène de poussée populiste déjà présent en Europe ou aux États Unis. Il est évidemment toujours intéressant d’avoir un regard comparatif surtout lorsqu’il s’agit de pays qui, si ils se situent sur d’autres continents, sont culturellement proches et appartiennent au monde occidental. Néanmoins, dans le cas brésilien, ce sont davantage les différences et les spécificités qui frappent plutôt que les points communs avec la situation que nous connaissons chez nous.

D’abord sur l’échelle de radicalité, Jair Bolsonaro est objectivement encore plus extrémiste. Ses propos abjects contre les homosexuels ou son apologie de la dictature allant jusqu’à regretter qu’elle ait « torturé plutôt que tué » sont, même sur un barème spécifique à un homme politique d’extrême droite, particulièrement ignobles et ne seraient pas acceptés dans un contexte européen : c’est d’ailleurs pour cette raison que les populistes en Europe se situent dans une stratégie dite de « dédiabolisation », sinon en actes du moins en paroles car aucun ne pourrait espérer l’emporter avec un tel discours. Même si Donald Trump est célèbre pour ses outrances, le surnom de « Trump tropical » attribué à Bolsonaro apparaît lui aussi très en dessous de la réalité. Le Vice-Président qu’il s’est choisi semble avoir autant de mépris pour la démocratie que pouvait en avoir un général franquiste, on se situe quasiment à la lisière du fascisme. Il faut espérer que les institutions brésiliennes et les contre pouvoirs seront suffisamment à la hauteur pour préserver une démocratie aujourd’hui en danger.

Clairement d’extrême droite, Jair Bolsonaro est il populiste ? Si l’on retient comme définition du mot « jouer le peuple contre les élites », le cas brésilien ne résiste pas à l’épreuve des faits et cela aussi bien sur le plan politique qu’au niveau sociologique. La droite populiste et l’extrême droite en Europe ont réalisé une percée au sein des classes populaires, ils ont conquis un électorat ouvrier faiblement diplômé et exploitent pleinement la césure entre des métropoles intégrées à la mondialisation et une périphérie qui se sent délaissée. On retrouve ce schéma aussi bien dans le vote FN en France que FPÖ en Autriche ou, dans un autre contexte, la victoire du Brexit au Royaume-Uni. Si l’on observe la carte du vote en Hongrie, la teinte rouge marquant un succès du MSZP ne se retrouve que dans une partie de Budapest, le reste du pays étant acquis au Fidesz. L’Italie est un peu différente compte tenu du régionalisme de la Lega lui permettant de performer dans les régions les plus riches du pays mais c’est un autre parti, le Mouvement 5 Étoiles, lui aussi populiste, qui a effectué une razzia au sein de l’électorat périphérique du Sud du pays. Aux Etats Unis, Trump a certes remporté l’électorat aisé traditionnellement républicain mais son succès est évidemment du à la conquête des états ouvriers de la Rust Belt et l’opposition métropoles/périphéries y est encore plus marquée qu’en Europe (il est d’ailleurs fréquent que même dans des états nettement gagnés par Trump, la principale ville de l’état ait voté Hillary).

Au Brésil, les choses sont totalement différentes et, d’une certaine façon, inversées. Les états les plus prospères ont nettement voté Bolsonaro avec des majorités confortables jusque dans les grandes métropoles : il fait 60% à Sao Paulo, 66% à Rio de Janeiro, plus de 70% dans la capitale, Brasilia, et 75% à Curitiba, grande ville du Sud du pays. Le vote Bolsonaro est clairement corrélé à la classe sociale et au niveau d’éducation élevés avec des différences spectaculaires. On constate donc que l’insécurité culturelle ou les craintes face à la mondialisation ont joué un rôle très faible, contrairement à ce qui se passe en Europe, dans la victoire du candidat d’extrême droite. Même le niveau de criminalité, extrêmement élevé, n’a sans doute influé qu’à la marge : les villes les plus « bolsonaristes » étant aussi les moins touchées dans le Sud du pays tandis que Recife, la « capitale du crime », a voté Haddad (de peu, il est vrai). Le vote Bolsonaro est donc plutôt urbain, diplomé et issu des classes moyennes/aisées (le seul électorat populaire ayant voté pour lui étant l’électorat plutôt pentecôtiste, notamment dans les faubourgs de Rio, et cela pour des raisons avant tout de conservatisme sociétal).

Sur un plan purement idéologique, là encore les différences ne manquent pas. Nationaliste étatiste au début de sa carrière, Bolsonaro a progressivement évolué vers le néo-libéralisme. Son ministre de l’économie pressenti, Paulo Guedes, un pur Chicago boy, ressemble à s’y méprendre aux universitaires envoyés au Chili après le coup d’état de 1973. Le ton anti-communiste de la campagne paraissait lui aussi très « old school », on pouvait presque croire que le bloc soviétique existait encore et qu’une guérilla était installée dans le pays. Le vote s’est d’ailleurs teinté d’un discours anti-pauvre tendant vers le mépris de classe, les plus aisés n’ayant jamais accepté les avancées sociales sous Lula. Une vraie interrogation cependant : Bolsonaro étant assez inconstant sur l’économie (il avoue lui-même ne pas vraiment s’y intéresser), reste à savoir si les idées de Guedes resteront à la mode durant tout son mandat.

L’extrême droite élitiste et pro dictature de Bolsonaro sonne donc comme un retour vers le passé tant elle parait parfois tout droit sortie des livres d’histoire et semble beaucoup plus proche d’un Pinochet des années 70s que du phénomène populiste européen. Aussi les réponses à apporter pour lutter contre ces différents fléaux ne peuvent être les mêmes.

[author title= »Sébastien Poupon » image= »http:// »][/author]

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3 Commentaires

  1. En gros les privilégies ont votés pour garder « leurs privilèges » et en acquérir d’autres au dépend des plus pauvres , un serviteur des propriétaires terriens blancs prêt à saccager encore plus l’Amazonie , il est peut-être légèrement différent de nos saloperies extrémistes Européens mais n’en reste pas moins dangereux .

  2. N’oublions pas qu’environ la moitié des 200 millions de brésiliens sont des afro-brésiliens sur le sort desquels on est assez mal informé en France. SI le sort des afro-américains aux USA est certes préoccupant, mais mieux connu, celui des afro-brésiliens ne l’est pas moins!

  3. En Amérique latine, la mentalité des classes les plus riches, très souvent d’origine blanche colonisatrice, est plus proche
    de celle des européens du 19 ème siècle que des européens d’aujourd’hui, et je ne parle même pas de toutes les canailles nazies et mafieuses qui ont « irriguées » ces pays.
    Sans du tout être un admirateur de Lénine, je citerais une phrase de lui : on reconnait un pays malade à l’encouragement à la paresse intellectuelle et au nivellement par le bas qui y existe.
    Je n’ai pas l’impression qu’au Brésil, la jeunesse ait une profonde réflexion sur la vie politique : aujourd’hui, au Brésil comme ailleurs, on préfère mettre le nez sur son dernier i-phone plutôt que d’ouvrir un livre.

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