La dette et la botte

Que nous apprend la crise actuelle autour du budget italien ? Côté bruxellois, la Commission européenne valide les projets de budgets des exécutifs nationaux. Côté Italien, la loi de finance assume la rupture voulue par le nouvel attelage au pouvoir à Rome. Notamment l’instauration d’un revenu citoyen de 780 euros qui concernera 6,5 millions de personnes, un geste vers plus d’un million d’auto-entrepreneurs et d’artisans dont le taux d’imposition est ramené à 15 % ou encore une mesure qui permet à 400 000 personnes de partir plus tôt à la retraite. « Nous faisons du bien à l’Italie et aux Italiens », a assuré le Président du Conseil, Giuseppe Conte…

Le déficit italien va lui bondir à 2,4% du PIB au lieu des 0,8% prévu. Du coup, et c’est une première en Europe, Bruxelles a rejeté le projet de budget et qualifié de « dérapage sans précédent » un déficit pourtant inférieur à celui prévu en France pour 2019. « Macron porte bien le déficit de la France à 2,8%. Nous en ferons autant. Nous sommes un pays souverain », a asséné Luigi Di Maio, le n°2 bis du gouvernement italien.

En réalité, l’Italie est endettée à hauteur de 132 % de son PIB, en queue de peloton européen, juste devant la Grèce, très loin de la France, pourtant mauvaise élève avec ses 98,6%. Mais le taux de l’emprunt français avoisine les 0,7% contre environ 3,6% pour l’Italie, dont le réseau bancaire reste très fragile. Pour Rome, les marges de manœuvre sont donc bien limitées, d’autant que, la Commission Européenne, au final, peut toujours recommander des sanctions financières allant jusqu’à 0,2% du PIB italien.

Mais l’important est ailleurs. De fait, Bruxelles et Rome vivent « un ménage à trois » avec des marchés financiers qui risquent d’être les premiers à sanctionner le budget italien. L’agence de notation financière Moodies a déjà dégradé la note de l’Italie et Standard & Poor’s menace d’en faire autant…  Du coup, Matteo Salvini, déclare « ne pas vouloir irriter ceux qui nous regardent de haut », comprendre les marchés financiers.  Dans le même temps, il accuse Jean-Claude Juncker d’avoir fait grimper le taux italien et se dit prêt à réclamer une indemnisation.  Du pain béni pour l’exécutif italien qui a beau jeu de conclure « Ils ne sont pas en train de s’attaquer à un gouvernement mais à un peuple. Ce sont des choses qui mettent les Italiens encore plus en colère et après on se plaint que la popularité de l’Union européenne soit au plus bas ».

Le triste spectacle est pourtant ailleurs. C’est l’incapacité du projet européen à incarner une vraie alternative aux « lois des plus forts ». Qu’il s’agisse de la loi des marchés financiers ou celle de populistes bottés, issus des urnes en colères, à la geste fort fascisante. En témoigne le geste d’un député italien piétinant de sa chaussure le discours papier du Commissaire Moscovici au sein même du Parlement européen…

Henri Lastenouse
Henri Lastenouse
Vice-Président de Sauvons l'Europe

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5 Commentaires

  1. Plutôt d’accord avec cet article, pour une fois.
    « C’est l’incapacité du projet européen à incarner une vraie alternative aux  »lois des plus forts » ».
    Ça paraît difficile d’incarner une alternative à la loi du plus fort, quand ce projet européen est taillé pour la satisfaire !
    Relisez le projet de « Traité de constitution européenne » ou son équivalent, la paire « Traité de l’UE » et « Traité de fonctionnement de l’UE » (disponibles en téléchargement sur le site de l’UE) !

    • Merci de ne pas laisser vos compères commentateurs sur leur faim, voire de négliger leur soif de connaissance quant à la lecture, sinon à l’interprétation, des traités régissant les principes et le fonctionnement de l’UE. Quelques exemples précis susceptibles d’étayer votre appréciation par trop générale seraient les bienvenus.

      Certes, la construction européenne n’a pas toujours été parée du prestige de la philanthropie. Mais:

      – d’une part, il serait un peu hâtif de passer sous silence la lutte persévérante que la Commission, appuyée par la Cour de justice de l’UE, a menée contre les « monopoles » dans le cadre de la politique de concurrence

      – d’autre part, si l’on se reporte aux dispositions des deux traités que vous mentionnez, il semblerait que la mise en évidence d’un certain nombre de « valeurs » n’en soit pas totalement absente, à commencer par une Charte des droits fondamentaux enfin incorporée aux traités européens

      – de même, faire de l’éradication de la pauvreté le coeur de la coopération au développement en faveur de partenaires de pays tiers souffrant de ce fléau – politique elle-même orientée par ailleurs sur la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit, « sanctions »éventuelles à l’appui – n’est peut-être pas l’illustration la plus emblématique de la loi du plus fort.

      • Lutte contre les monopoles qui s’est surtout concentrée sur les monopoles d’État, à savoir tout ce qui touche au bien commun et aux services publics, notamment eau, gaz, électricité, santé, communications (autoroutes, poste, mobiles, Internet) dans le but de s’en débarrasser, bien plus que de s’attaquer aux vrais monopoles privés des grands trusts et autres multinationales.
        Sans surprise, la population souffre surtout des deuxièmes et regrette la dégradation et craint la disparition des premiers.

        Quant aux « valeurs », il s’agit surtout de déclarations d’intentions, bien vite oubliées et bafouées, lorsque les intérêts privés puissants se manifestent par l’intermédiaire des nombreux lobbies. Je n’irai pas les chercher dans les textes, mais c’est du même acabit que l’oubli définitif de la petite phrase de notre constitution qui proclame que le principe de la République est « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
        Inutile de dire que nous sommes à l’antipode de cette déclaration…
        D’ailleurs, la plupart des articles les plus importants comportent une modification récente permettant d’introduire des changements auparavant anticonstitutionnels.
        Nos politiciens sont passés maîtres dans l’utilisation de la langue de bois.

        Enfin, avant de se préoccuper de l’éradication de la pauvreté (de quoi je me mêle) dans des pays, souvent mis à feu et à sang après les interventions illégitimes et illégales de l’OTAN (bras armé officiel de « l’union »), on ferait beaucoup mieux :
        – de s’occuper de près de 6 millions de chômeurs dans notre pays
        – de cesser ces interventions et laisser les gouvernements de ces pays élus démocratiquement conduire la politique qu’ils veulent.
        – ces pays n’ont pas besoin qu’on les « aide », mais avant tout qu’on leur « fiche la paix » et surtout qu’on cesse d’intervenir dans leurs affaires.

        Je n’irai pas chercher les articles des traités, je manque sérieusement de temps pour ça. Mais une simple lecture suffit à le constater et je pense qu’on doit pouvoir trouver sur Internet de nombreux textes qui traitent de cette question.

  2. Quel est l’intérêt pour les Etats d’emprunter sur les marchés plutôt qu’auprès d’une banque centrale ? Pour le marché financier, c’est la garantie d’une production de ressources financées par les peuples, à travers les emprunts. Et un fond de commerce politique pour réguler les dépenses publiques à la baisse, obtenir des taux d’imposition plus faibles, désocialiser autant que possible la valeur produite ajoutée par le système productif.

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