Menace brune au Portugal

On s’en souvient, les élections législatives de 2024 avaient déjà livré un premier avertissement. En obtenant 18% des voix et 50 sièges, le parti d’extrême droite Chega poursuivait alors son ascension météorique après le premier siège acquis en 2019 et les 7% de 2022. Le doute n’était plus permis : Chega était devenu un acteur clé de la vie politique portugaise ainsi qu’un réel prétendant à la victoire dans les années futures. Cette situation aurait du pousser les deux partis principaux, le PSD (centre droit) au pouvoir comme l’opposition socialiste à coopérer afin de mener la législature à son terme, évitant ainsi une instabilité qui ne pouvait que profiter à l’extrême droite. Hélas, les choses n’allaient pas se dérouler ainsi…

Des élections anticipées liées à des affaires politiques

Le premier affrontement allait porter sur le vote du budget 2025, pour lequel le gouvernement minoritaire de Luis Montenegro tentait en vain d’obtenir l’assentiment des Socialistes. En réalité, les positions sur la fiscalité demeuraient irréconciliables, malgré une proposition de dernière minute du camp Montenegro reculant en partie sur les baisses d’impôts initialement proposées, se rapprochant ainsi des positions socialistes. Mais le PS, dominé par l’aile gauche sous le leadership de Pedro Nuno Santos, n’était clairement pas décidé à lui offrir un vote positif et ce furent déjà les menaces d’une élection anticipée qui l’ont convaincu au dernier moment d’opter pour l’abstention, permettant ainsi in extrémis le vote du budget. Pour Montenegro, il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus et il semblait clair que le pronostic de survie à long terme du gouvernement était devenu sombre.
Moins de trois mois plus tard, c’est à nouveau une sombre affaire de conflits d’intérêts impliquant le Premier ministre qui allait porter le coup fatal. Il est évidemment difficile de porter un jugement clair et définitif quant à l’éventuelle culpabilité de Luis Montenegro. Force est de constater que sa défense laissait rapidement apparaitre des zones d’ombre sur lesquelles le Premier ministre refusait de s’expliquer, préférant poser la question de confiance que, évidemment, il perdait. Ainsi la législature avait elle duré une petite année, obligeant tout ce petit monde à retourner aux urnes dès le 18 mai 2025.

Crise du logement et immigration au cœur de la campagne législative

La campagne allait rapidement mettre en évidence une certaine lassitude de l’électorat face aux nombreuses affaires ayant touché diverses personnalités politiques depuis déjà quelques décennies. Après le Premier ministre, c’est le leader de l’opposition Pedro Nuno Santos qui allait voir son nom être cité dans une transaction immobilière potentiellement douteuse. Là encore, il est impossible de véritablement se prononcer mais le mal était fait. Au-delà des questions de transparence et d’éthique, la crise du logement allait toutefois demeurer le sujet politique dominant de la campagne, avec bien sûr les questions d’immigration mises en avant par Chega.
Au final, la coalition gouvernementale sortante de l’Alliance Démocratique (dominée par le PSD) s’en sort honorablement. Si elle n’obtient pas la majorité, elle progresse malgré tout de 11 sièges et réussit à retrouver une totale hégémonie dans le Nord du pays. Mieux encore, le parti du Premier ministre Luis Monténégro arrive en tête dans la capitale, aux dépens des Socialistes qui s’étaient pourtant habitués à de gros scores à Lisbonne. Malgré tout, Monténégro ne résout pas son problème de gouvernance puisque son futur gouvernement, même dans le cas d’une alliance avec les Libéraux, restera minoritaire.

L’extrême droite devient le principal parti d’opposition (Chega)

Le grand vainqueur de cette élection est hélas Chega. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un parti autre que le PS ou le PSD finit en deuxième position ce qui offre à André Ventura le poste de chef de l’opposition, qui n’a certes rien d’officiel au Portugal mais accorde tout de même davantage de visibilité médiatique à son titulaire. Chega confirme sa percée dans le Sud du pays, pourtant traditionnellement dominé par la gauche, et qu’il doit à sa progression dans le monde ouvrier et chez les jeunes actifs. Il convient également de noter que dans cette région très touristique, la crise du logement atteint son paroxysme. Chega realise d’ailleurs son meilleur score dans la province de Faro mais remporte en fait la quasi totalité des provinces les plus au Sud. A l’instar de ce qui s’est passé en Roumanie, l’extrême droite devient également le premier parti de la diaspora.

Lourde défaite pour la gauche dans sa globalité

Côté socialiste, c’est la catastrophe absolue. Le PS perd 20 sièges et ne conserve que la province de Evora. Il est probable que le Parti n’a pas suffisamment mis en avant les questions de logement ou a proposé des solutions qui n’ont pas convaincu. La ligne très à gauche de Pedro Nuno Santos a également découragé l’électorat plus centriste, sans parler d’une campagne relativement médiocre de la part du leader du PS. Santos a immédiatement démissionné et il semble que le parti pourrait à nouveau choisir un Secrétaire général issu de l’aile centriste puisque José Luis Carneiro est à ce jour le seul candidat. Mais la décision de l’aile gauche de ne présenter aucun candidat face à lui ne fait pas l’unanimité. A noter que les deux partis de gauche radicale sombrent également, les seuls en mesure de tirer leur épingle du jeu étant les écologistes du Livre, qui progressent légèrement, notamment chez les jeunes.

L’incertitude perdure en terme de gouvernance

Côté gouvernance, la situation reste la même. Certes, le gouvernement de Monténégro dispose de davantage de sièges mais reste à la merci d’une motion de censure en cas de coalition des contraires. Reste à voir comment agira la future direction socialiste. Chega, de son côté, a annoncé vouloir mener une opposition constructive, ce qui paraît toutefois douteux, l’hostilité entre Luis Monténégro et Chega restant évidente tandis qu’une partie de l’aile droite paraît hélas plus ouverte à une collaboration. Il faut toutefois rappeler que Chega est un parti très radical, notamment sur les Roms, et qui n’a même pas vraiment esquissé de tentative de dédiabolisation. Signe d’inquiétude : c’est la première fois depuis le retour de la démocratie que l’addition du PS et du PSD n’atteint même pas une majorité constitutionnelle des deux tiers.
Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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4 Commentaires

  1. Excellent article, merci! Aucun journal majeur ne relate la vie politique au Portugal – pays que je connais bien – et lorsqu’il le fait il ne le fait pas aussi bien que vous. Muito obrigado!

  2. « Le grand vainqueur de cette élection est hélas Chega » Hélas? Si on croit à la démocratie, on demande aux électeurs de se prononcer et on accepte leur verdict. La montée de l’extrême-droite dans toute l’Europe est certainement un symptôme mais faut-il pour autant remettre en question le principe selon lequel la vox populi a raison quoiqu’il arrive ? De toute façon l’expérience montre (Meloni, LePen) qu’après les grandes déclarations ils se coulent bien gentiment dans le moule euro-otano-washingtonien…
    Que vaut-il mieux? Un despote éclairé (c’est à dire dans votre logique un pro-européen) autodésigné (type UVDL) ou un démocrate anti-Europe (c’est à dire pour vous un ‘populiste’) ? Vaste question.
    L’UE, comme l’URSS avant elle, c’est une belle idée sur le papier mais un engrenage bureaucratique qui tourne au trou noir politique: il absorbe tout autour de lui jusqu’à s’effondrer sur lui-même.

  3. Obrigado Sébastien. Utile analyse. En effet, nous entendons trop rarement parler en France du Portugal, où je garde de bons amis

    • En effet, une fois de plus, c’est une analyse éclairante que nous livre Sébastien Poupon… loin des réflexions « bobo » d’un très superficiel « Vox Populiste ». Ce dernier, du reste, s’est trompé de pseudo: « Intox » me semblerait plus approprié que « Vox ».

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