Match nul en Espagne mais victoire aux points pour Pedro Sanchez

Pendant des semaines, la gauche européenne a craint de perdre l’un de ses plus brillants éléments. A l’instar de ce qui s’était passé avec Magdalena Andersson ou encore Sanna Marin, tout semblait indiquer que les Socialistes allaient devoir céder la place à une coalition entre la droite et l’extrême-droite. La quasi-totalité des sondages prévoyait d’ailleurs une majorité pour le duo PP-Vox ainsi qu’une avance confortable de 5 à 6 points des Populares sur les Socialistes. Le pari de Pedro Sanchez d’anticiper ces élections, s’il était unanimement salué comme étant courageux, paraissait néanmoins voué à l’échec. C’est donc avec un sentiment de soulagement et d’agréable surprise que les progressistes du continent auront accueilli les résultats. Il ne s’agit certes pas d’un succès pour la gauche mais les chiffres ne laissent guère de place au doute : l’hypothèse d’un gouvernement Feijoo est maintenant hautement improbable.

Sur le papier, le PP a pourtant remporté ces élections. Il redevient le premier parti d’Espagne avec un peu plus d’un point d’avance sur le PSOE, et le système d’Hondt leur permet de creuser davantage l’écart en terme de sièges. Mais en n’obtenant que 136 sièges, le PP reste très loin de son objectif des 150 auquel il s’attendait. Dans leurs rêves les plus fous, les Populares pensaient même pouvoir se contenter de l’abstention de Vox. Au final, ils sont loin de la majorité même dans le cadre d’une potentielle coalition avec l’extrême droite. Cette question des alliances aura d’ailleurs empoisonné la campagne du PP puisqu’il aura passé son temps à souffler le chaud et le froid avec des paroles bien différentes des actes. D’un coté, Feijoo affirmait qu’il ne négocierait pas avec Vox et rechercherait l’abstention du PSOE quand, à contrario, le PP poussait sa dirigeante en Extremadure à renier cette même promesse en formant un gouvernement régional avec l’extrême-droite.

Cette confusion autour de ce sujet essentiel a sans doute contribué à limiter les gains du PP. De surcroit, entre accusations de machisme et mensonges éhontés, Feijoo aura passé une bien mauvaise dernière semaine de campagne. Au final, le PP ne réalise de percée significative qu’à Madrid et en Galice (la région de Feijoo) et s’il confirme être devenu le premier parti d’Andalousie, il ne parvient pas au KO longtemps espéré dans cet ancien fief socialiste.

Une remondata inattendue du PSOE

De son coté, le PSOE sera parvenu à une surprenante remontada qui lui permet de finir sur les talons du PP en nombre de suffrages et de gagner deux sièges par rapport à 2019. Il redevient le premier parti de Catalogne où il obtient un résultat inespéré sur fond de désastre pour les nationalistes, en particulier l’ERC. Il est probable que les Catalans, y compris dans le camp nationaliste, ont choisi l’option qui apparaissait à leurs yeux comme le moindre mal, à savoir un vote utile en faveur de Pedro Sanchez. Cela dans le but d’éviter un gouvernement impliquant une extrême droite leur promettant l’enfer.

Ce scénario a également eu lieu, dans une moindre mesure, au Pays Basque, communauté autonome où le PSOE progresse fortement, mais où les nationalistes de Bildu tirent également leur épingle du jeu aux dépens de l’autre parti nationaliste, le PNV. Ailleurs en Espagne, le PSOE limite les dégâts grâce à un bilan économique plutôt bon ainsi qu’à une mobilisation mal anticipée par les sondages d’un électorat de gauche soucieux d’une éventuelle arrivée de Vox au pouvoir. Dans un Espagne encore plus polarisée qu’ailleurs et marquée par un passé franquiste finalement encore récent, l’antifascisme continue à faire recette. Les Socialistes réussissent globalement à maintenir leur électorat y compris dans les zones rurales où, à l’instar de certains partis scandinaves mais à contrario de nombreux partis sociaux démocrates européens, ils sont parvenus à conserver une certaine assise. On peut noter que, n’en déplaise aux sociaux libéraux comme aux plus radicaux, une politique sociale à la fois audacieuse et réaliste continue à recevoir une approbation élevée : quoiqu’il arrive dans la phase d’investiture, il faut déjà souligner le fait qu’un score de près de 32% ne peut que rendre envieux bien d’autres partis de la famille sociale démocrate.

Un retour partiel vers le bipartisme

D’un certain de point de vue, on peut dire que cette élection marque un retour, certes partiel, vers le bipartisme. Vox comme Sumar auront subi l’effet du vote utile en direction des deux principaux partis. Pour l’extrême-droite, il s’agit d’un coup d’arrêt notable après une rapide ascension : Vox n’obtient ainsi que 12% des suffrages et perd 19 sièges par rapport à 2019. Son leader a bien évidemment prétexté la diabolisation de son parti par les médias comme principale cause de ce recul, mais force est de constater que son discours très radical aura sans aucun doute effrayé une partie de l’électorat, surtout dans le contexte nouveau où Vox pouvait pour la première fois intégrer un gouvernement. D’autre part, Vox a perdu une partie de ses électeurs les plus aisés qui sont ainsi revenus dans l’escarcelle du PP. Coté Sumar, la coalition dirigée par Yolanda Diaz a fait moins bien que Podemos en 2019, ce qui ne manquera pas de raviver la rivalité avec un Pablo Iglesias qui avait quitté à regret la vie politique, mais n’a jamais été avare de critique envers celle qui lui a succédé comme figure de proue de la gauche radicale.

Que peut-il se passer maintenant ?

Sur le plan constitutionnel, ce sera au Roi Felipe VI de désigner formellement un candidat à l’investiture. Fort de son statut de leader du premier parti, Feijoo peut naturellement y prétendre. Il s’est d’ailleurs empressé d’annoncer qu’il méritait de gouverner en raison de l’arrivée du PP en tête. Ses chances d’être investi sont toutefois quasiment nulles. En cas d’alliance avec Vox, il totaliserait 170 votes mais il est difficile d’imaginer qu’il pourrait réunir d’autres soutiens. Le PNV a d’ores et déjà exclu de soutenir Feijoo, et Coalition Canarie ne votera pas l’investiture d’un gouvernement qui comporterait Vox. Naturellement, Feijoo est bien conscient de cette situation, raison pour laquelle il réclame une abstention de la part du PSOE afin de le laisser gouverner. Inutile de préciser qu’il se verra présenter une fin de non recevoir. Il est d’ailleurs difficile, lorsque l’on a mené une opposition frontale et que l’on a qualifié Sanchez de destructeur de l’Espagne, de copain des terroristes ou autres joyeusetés de ce genre, de venir maintenant quémander son abstention.

Le sort de Sanchez dépend de Junts

Pour ce qui est de Pedro Sanchez, ses chances sont légèrement supérieures mais demeurent malgré tout assez faibles. Il peut compter sur le soutien de Sumar et, probablement assez facilement, sur celui du PNV. De façon surprenante, les nationalistes basques radicaux de EH Bildu paraissent disposés à faciliter l’investiture du leader PSOE de façon inconditionnelle : ayant obtenu un bon résultat, ils n’ont rien à gagner d’une répétition des élections et leur haine pour la droite est bien connue. Reste le cas des nationalistes catalans. Coté ERC, les exigences seront sans doute raisonnables, encore que la formation nationaliste puisse chercher à durcir son jeu suite à leur résultat désastreux. Mais là où les choses se compliquent, c’est avec Junts. Or, Pedro Sanchez doit absolument obtenir au moins l’abstention de Junts pour avoir une chance d’être investi. Les demandes de Junts sont malheureusement bien connus et elles sont absolument irréalistes avec d’une part un référendum inconstitutionnel et d’autre part une amnistie politiquement toxique. Faut-il malgré tout négocier avec Junts ? Les avis seront sans doute partagés au sein du PSOE. De façon surprenante, l’ancien Premier Ministre José Luis Rodriguez Zapatero s’y est montré favorable. Cette manœuvre n’en est pas moins risquée.

En cas d’échec et, donc, de répétition des élections, la droite pourra arguer du fait que le PSOE a franchi une ligne rouge en négociant avec Puigdemont. Mais même en cas de succès et d’investiture à la Pyrrhus de Sanchez, un tel gouvernement serait instable et ne durerait probablement pas longtemps avec un risque de raz de marrée de la droite aux élections suivantes. Ne serait-il pas préférable, du point de vue du PSOE, de laisser Feijoo tenter une investiture vouée à l’échec en espérant le voir tomber dans le piège de la négociation avec Vox ; ce qui, dans l’optique d’une répétition électorale, permettrait alors au PSOE d’attaquer le PP pour avoir traité avec Vox ? On le voit, la question stratégique ne sera pas absente des débats dans les prochains jours.

Car en effet, le scénario de nouvelles élections en décembre reste de loin le plus probable. Et on peut avoir le sentiment que le momentum pourrait être en faveur d’un PSOE qui a déjà surpassé les attentes et bénéficiera de la Présidence espagnole du conseil de l’UE, sans parler d’une conjoncture économique qui n’est pas mauvaise. Tandis que Feijoo risque d’être victime d’une image de perdant, surtout en cas d’investiture ratée, ainsi que du handicap de devoir composer avec Ayuso qui pourrait bien, de Madrid, avoir un certain intérêt à lui savonner la planche en interne. Affaire à suivre.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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2 Commentaires

  1. Puigdemont est un salopard qui ne veut qu’une chose : démontrer que l’Etat espagnol est ingérable à l’instar, en Belgique, des partis de droite et d’extrême droite flamands (NVA et Vlaams Belang) qui lui ont accordé l’asile politique.

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