Les militaires aux 35h ? Et autres indignations factices

Il paraît que la Cour de justice imposerait à la France de faire passer ses militaires aux 35h ! C’est la nouvelle fable qui inonde nos médias ces derniers jours, portée par les habituels souverainistes divagants, mais aussi désormais par des responsables politiques de premier poids : Edouard Philippe soi-même, le porte-parole de l’Armée et Jean-Louis Borloo.

On souffre de devoir dissiper régulièrement des nuages, mais bien évidemment : c’est faux.

La Cour de justice, saisie par un tribunal slovène, s’est vue demander si la directive de 1989 sur les temps de travail et de repos pouvait s’appliquer aux militaires qui sont de tour de garde. A ceci elle répond tout d’abord par les termes exprès du texte: « la présente directive n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante. Dans ce cas, il y a lieu de veiller à ce que la sécurité et la santé des travailleurs soient assurées, dans toute la mesure du possible, compte tenu des objectifs de la présente directive. »

Par conséquent, cette directive sur les temps de travail et de repos s’applique effectivement aux militaires, sauf pour « certaines activités spécifiques » qui s’y opposent de manière contraignantes. En l’occurrence la Cour indique que seraient hors champs d’application bien entendu toutes les opérations militaires ou leur préparation, les activités sensibles qui reposent sur des personnels qualifiés pour lesquels un système de rotation ne peut être mis en place sans mettre en péril l’atteinte de l’objectif, les entraînements opérationnels en temps de paix, ou pour répondre plus spécifiquement à la question slovène, un planton en temps de paix.

Sinon, pour ce qui est de remplir des tâches de bureau en dehors de toute urgence opérationnelle ou vitale, il n’y a pas de raison que les temps de repos minimaux par exemple, soient distincts entre le militaire et le personnel civil de la défense assis côte à côte devant leur ordinateur. Notons encore que la Cour découple prudemment cette question de celle du paiement des heures supplémentaires, les directives instituant des durées de travail maximales pour des raisons de santé et n’abordant pas la question de la rémunération qui relève du droit national.

Tout ceci est très raisonnable, mesuré, et conforme à un texte qui a été adopté il y‘a trente ans avec l’aval du gouvernement français. On est loin d’un oukase d’un juge européen hors sol. C’est pourtant très exactement ce que va attaquer Edouard Philippe, avec des termes forts : « cette décision de la plus haute juridiction européenne est dans son principe contraire aux intérêts nationaux les plus élémentaires. Elle touche au cœur de la souveraineté et de la sécurité de la France ». Jean-Louis Borloo fustige la CJUE qui « fait fi de la souveraineté nationale de la France quant à sa sécurité et à la défense de ses intérêts essentiels [… et ] s’arroge un pouvoir qui n’est pas le sien. »

De manière plus insidieuse encore, le porte-parole des armées présente les principes posés par l’arrêt avant d’enchaîner sans rétrograder ni mettre de clignotant : « Lorsqu’une frégate doit appareiller le lendemain pour escorter un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) par exemple, et qu’un de ses moteurs tombe subitement en panne, va-t-on retarder le départ à la mer du SNLE pour des motifs de temps de travail? Lorsque nos sapeurs-pompiers de Paris, qui sont des militaires, interviennent pour sauver Notre-Dame de Paris, va-t-on laisser les tours de la cathédrale s’effondrer pour des motifs de temps de travail ? » Tous cas qui bien sûr sont expressément exclus de l’application de la directive temps de travail.

Dès lors on ne peut que s’interroger sur le degré de chaleur que soulève cet arrêt alors qu’il est d’une grande prudence en excluant les entraînements, les tours de plantons, les maintenances spécifiques ou en préparation d’une opération, autant dire très large. Que signifie la mauvaise foi absurde du ministère s’abritant derrière Notre-Dame en feu ?

Une crainte de conséquences financières sur la comptabilisation du temps de travail ? Mais ni les policiers, ni les personnels de santé ne sont en pratique payés de leurs heures sup… On pourrait également évoquer le contrat social distinct de l’armée, avec des permissions deux fois plus nombreuses que les cinq semaines de congés et des retraites dès l’âge mur, permettant une seconde vie sur le marché du travail avec un revenu assuré (qui a parlé de revenu universel ?). Ou bien le risque que l’on se rende compte que les sous-traitants du ministère de la défense et ses personnels civils ne bénéficient déjà en fait pas de leurs droits ?

Ne faisons pas semblant de ne pas voir ou de ne pas comprendre. Sur un sujet technique de temps de récupération et – peut être – d’heures supplémentaires sur les tâches non opérationnelles traitées par des militaires, et d’ailleurs déjà confiées très massivement à des personnels civils sans difficulté apparente, se noue une course à l’échalotte nationaliste autour des symboles de drapeaux et de képis. Au lieu d’ignorer les quelques souverainistes droitards qui auraient ressorti leurs fantasmes de soumissions bruxelloise, les responsables politiques modérés rejouent l’appel de Cochin à un an de la présidentielle.

On fait cracher le feu à toutes les pièces de musée des Invalides, comme si la souveraineté nationale était en jeu. On indique que la Cour outrepasse ses attributions, que l’Europe n’a pas à s’occuper de l’armée française, etc… et demain on se demandera tous penauds pourquoi les français ont des doutes sur le projet européen et on se répétera qu’il faut d’avantage de pé-da-go-gie.

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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8 Commentaires

  1. Voilà pour dégonfler les baudruches..! Il faudrait pouvoir répandre cette mise au point partout, et à la télé en particulier.

  2. Merci pour cet article. Une fois de plus la « grande presse » a repris la déclaration d’E. Philippe sans recul, sans analyse du texte incriminé. Les collaborateurs de certain grand quotidien postprandial, qui reprennent directement les communiqués de l’AFP devraient vous lire davantage pour apprendre leur métier.
    Ce qui transparaît cependant est une prise de position souverainiste de Philippe, ce qui laisse peut-être augurer de son futur positionnement électoral (…iste). Étonnnat, dans une certaine mesure , et décevant d’une certaine manière.

  3. Les deux mamelles du populisme sont l’opportunisme politique à courte vue, et la méconnaissance de ce dont en parle. De plus beaucoup trop de politiques ne dépassent pas la longueur d’un tweet dans ce qu’ils disent, ce qui est déjà bien long pour beaucoup de citoyens.

  4. Malheureusement, ce type de fausses informations nuit à la démocratie et à l’Europe.
    Régulièrement, dans une conversation. je suis contraint de montrer l’absurdité et la non véracité de tels écrits, que l’incrédulité de la part de nombreuses personnes, merci à SAUVONS L’EUROPE pour la qualité de ses articles.

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