La méthode belge fera-t-elle des miracles pour réussir les travaux d’Hercule de la présidence du Conseil ?

La treizième présidence belge du Conseil de l’Union européenne qui a débuté au 1er janvier 2024 ne commence pas sous les meilleurs augures.

Au niveau du Conseil, Viktor Orban agite en permanence la menace du veto, alors que la présidence suivante sera justement assurée par la Hongrie à partir du 1er juillet 2024, et les gouvernements construits sur des coalitions avec des partis populistes et eurosceptiques se multiplient. Après l’Italie, la Suède, la Finlande et la Slovaquie, les Pays-Bas se joindront peut-être aussi au camp « déconstructiviste » si le populiste d’extrême-droite Geert Wilders réussissait à former un gouvernement.

Au niveau belge, la très hétéroclite coalition dite « Vivaldi » qui regroupe sept partis (les partis libéraux, socialistes et écologistes flamands et francophones ainsi que les chrétiens-démocrates flamands) se trouvent soumis à une pression considérable de l’extrême-droite flamande (Vlaams Belang), qui caracole en tête des sondages avec 25% des intentions de vote en Flandre, de la droite régionaliste flamande (NVA) à 22% en Flandre, et de l’extrême-gauche du Parti du Travail en Belgique (PTB) qui menace socialistes et écologistes en Wallonie avec 14% des intentions de vote. Ces sondages révèlent toute leur importance sur fond d’une triple campagne électorale qui est déjà engagée de fait en vue des élections fédérales, régionales et européennes du 9 juin 2023. Sachant que les deux personnalités gouvernementales les plus en vue pour cette présidence seront libérales, à savoir le premier ministre libéral flamand Alexander De Croo et la ministre des affaires étrangères libérale francophone Hadja Lahbib, la présidence sera-t-elle une occasion pour la famille libérale belge de se refaire une santé sachant que le parti du Premier ministre est à 7% d’intentions de vote en Flandre ?

A ce contexte politique compliqué vient s’ajouter un facteur temps particulier en amont des élections européennes puisque la dernière session plénière du Parlement européen avant les élections se tiendra le 25 avril 2024 et qu’à compter de cette date le Parlement européen ne pourra plus colégiférer. Dans les faits, la présidence belge disposera donc de trois mois utiles pour boucler les dossiers législatifs sachant que la fenêtre d’opportunité pour conclure des compromis préalables aux votes des colégislateurs du Conseil et du Parlement européen deviendra progressivement plus étroite en février-mars. Le fait que la présidence belge soit suivie des présidences de la Hongrie au second semestre 2024 puis de la Pologne et du Danemark en 2025, sachant que ces pays ne sont pas à classer dans le club des Etats pro-intégrationnistes, ajoute à la pression sur les épaules de la Belgique pour mener à bout ces travaux d’Hercule.

Source: The presidency of the Council of the EU – Consilium (europa.eu)

Des travaux d’Hercule dans un laps de temps très comprimé

Si la présidence espagnole du Conseil au second semestre 2023 a pu engranger dans les derniers jours avant Noël 2023 des pré-accords sur des dossiers très substantiels comme la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance ou le pacte sur l’immigration, 150 dossiers restent toujours sur la table.

Si les six thématiques prioritaires choisies par la Belgique – l’Etat de droit, la compétitivité, la transition écologique, le programme social, l’asile et la migration et la politique étrangère –  sont des plus classiques, le dossier le plus brûlant est certainement celui de la révision à mi-parcours du budget 2021-2027 de l’UE (cadre financier pluriannuel, CFP). La révision porterait sur 21 milliards d’euros d’argent frais et 10,6 milliards de redéploiements du CFP existants visant notamment à financer une enveloppe de 50 milliards d’euros pour la reconstruction de l’Ukraine. Cette question fera l’objet d’un sommet extraordinaire le 1er février, qui marquera probablement très tôt dans l’année le point d’orgue de la présidence belge qui devra également s’attacher à dégager l’horizon pour un accord sur de nouvelles ressources propres.

Peut-être parce qu’une solution sur le programme de reconstruction de l’Ukraine est envisageable à 26 hors du cadre juridique de l’Union européenne, c’est la mise en œuvre du Pacte migratoire qui constitue pour le Premier Ministre la priorité absolue.

Parmi les dossiers législatifs plus politiques sur lesquels la Belgique est attendue au tournant figurent la législation sur l’industrie zéro émission nette, celle sur les nouvelles techniques génomiques (NGT, en anglais) ou encore la directive sur les travailleurs des plateformes. Sur ce dossier, la France mène d’ailleurs une coalition d’Etats qui a fait capoter juste avant Noël la proposition de la Commission européenne, soutenue par le Parlement européen, qu’une présomption de salariat est déclenchée si deux de cinq critères suggérant une subordination sont remplis.

Au-delà de l’agenda législatif, la Belgique devra aussi aider les Vingt-Sept à accoucher d’ici la fin juin d’un agenda stratégique pour la prochaine législature (2024-2029). Parmi les priorités de cet agenda figureront la perspective d’élargissement de l’Union à 30, ou davantage, couplée à une réforme des institutions. Sur ce sujet, le Premier ministre défend l’approche d’un « first, we need to get better before we get bigger (NDLR : en anglais dans le texte). Nous devons mieux fonctionner avant de nous agrandir ».

La miraculeuse méthode belge comme clé de réussite pour la Présidence ?

Pour réussir sa Présidence, la Belgique dispose de plusieurs atouts spécifiques au pays.

Le premier est certainement celui de « l’attachement viscéral à la construction européenne » de l’ensemble des partis démocratiques à l’exception de l’extrême-droite (Vlaams Belang) et de l’extrême-gauche (PTB). Une intégration européenne plus poussée est en effet à la fois dans l’intérêt de l’Etat fédéral et de celui des régions et relève presque d’une nécessité existentielle pour le développement économique et sociale et la survie identitaire du pays qui est peut-être le plus important carrefour de l’Europe.

Par rapport aux autres Etats membres, la Belgique jouit également de la réputation d’être un « honnête courtier », reconnu pour sa capacité à conclure des compromis en interne et à l’international et peu suspect contrairement à des Etats avec de plus grandes administrations (comme la France) à vouloir faire avancer ses propres pions.

Par ailleurs, comme pour sa précédente présidence, la Belgique sera en fait une présidence « à 150% » puisqu’il y aura à nouveau un tandem belge pour la présidence du Conseil et celle du Conseil européen. Après le tandem Didier Reynders/Herman Van Rompuy en 2010, Charles Michel (libéral francophone) travaillera certainement en lien très étroit avec Alexander De Croo.

Le sens de la négociation et du compromis vient aussi du fédéralisme belge et promet une présidence plus inclusive que d’autres. C’est ainsi que la présidence belge a la particularité d’être une présidence à multi-niveaux impliquant très largement les régions et les communautés du pays.

Ainsi, la Flandre représentera la Belgique en tant que présidente du Conseil de l’UE pour les volets Industrie, Jeunesse, Culture, Médias et Pêche. La région de Bruxelles-Capitale présidera le Conseil des Ministres pour la formation environnement et le Conseil informel pour la politique urbaine, la Fédération Wallonie-Bruxelles (anciennement appelée Communauté française) les formations éducation et sport et la Wallonie la formation recherche et innovation ainsi que le Conseil informel pour la politique de cohésion. Dans ce cadre, le ministre-président wallon Elio di Rupo (accessoirement tête de liste du PS belge pour les élections européennes) invitera avec le Comité européen des régions au 10ème Sommet européen des régions et des villes à Mons les 18 et 19 mars 2024. Ce Sommet aura en particulier pour objectif de poser de nouveaux jalons dans le débat sur le futur de la politique de cohésion, première politique européenne d’investissement, à partir de 2027.

Pour un budget de présidence limité à 100 millions d’euros pour le niveau fédéral (contre 148 millions d’euros pour la présidence française en 2022), il est donc possible d’espérer un retour sur investissement important pour l’intégration européenne. Quelle présidence si ce n’est la belge serait la meilleure pour ce moment charnière de la construction européenne ?

Et n’oublions pas que les projecteurs européens braqués sur un pays le temps d’une présidence semestrielle sont toujours l’occasion d’en (re)découvrir les charmes. Or la Belgique en a de nombreux à offrir (parfois éclectiques).

Matthieu Hornung
Matthieu Hornung
Animateur de Sauvons l'Europe en Belgique & Administrateur au Comité Européen des Régions

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

4 Commentaires

  1. Article informatif intéressant mais où un lecteur et électeur lambda perd vite pied et en conclut que décidément le fonctionnement tortueux, labyrinthique de l’UE est affaire de spécialistes, épuise l’intérêt du votant et que la première réforme que doit faire l’UE est institutionnelle, constitutionnelle, structurelle, est de simplifier son fonctionnement, le rendre plus lisible, démocratique, accessible à tous et que la complexité de ce fonctionnement paralyse la dynamique UE.

    Pour la plupart des européens, l’UE est un « binz » lointain, lourd, incompréhensible où une petite élite de privilégiés, souvent non élue, bien payée par leur impôt, décide sans eux de leur destin avec une précision d’une froideur toute technocratique, bureaucratique et hors réalité, désincarnée, frisant parfois l’absurde sans préoccupation d’une hiérarchie des priorités, des véritables besoins, attentes des peuples. Un « Binz » où les membres, comme des maquignons, des marchands de tapis, ne cherchent qu’à soutirer du pot commun plus d’argent qu’il n’y ont mis. Qu’on s’étonne, alors trop tard, de la montée des eurosceptiques, des extrêmes, d’une extrême droite qu’elle était censé combattre et qu’elle a laissé prospérer jusqu’à devenir incontournable.

    La dernière fois que l’UE a consulté ses peuples c’était en 2005, il y a bientôt 20 ans, et le « non » français, démocratique, à la constitution proposée, a été bafoué. À la dernière élection UE, en 2019, 49,4% des européens n’ont pas voté, pourquoi? L’UE n’a, à aucun moment, cherché à comprendre cette démotivation, à en assumer sa part de responsabilité! De nombreux jeunes sont désabusés, ne croient plus à la nécessité, à l’efficacité de la politique politicienne, blablateuse, carriériste, impuissante, incapable d’actes, d’engagements forts et clairs face aux défis de l’époque et s’éloignent du social, du « faire ensemble », se referment de plus en plus sur leur ego, leurs communautés d’affinités sélectives !

    Si l’UE ne prend pas des mesures fortes, ne consulte pas davantage ses peuples, n’est pas capable d’assurer sa défense, de prendre ses distances face aux USA et les BRICS, elle continuera son long déclin, perdra toute crédibilité !

  2. « Si l’UE ne prend pas des mesures fortes, ne consulte pas davantage ses peuples, n’est pas capable d’assurer sa défense, de prendre ses distances face aux USA et les BRICS, elle continuera son long déclin, perdra toute crédibilité ! » Une conclusion que je partage, après un constat que je partage à moitié…

  3. Merci Matthieu pour ce très utile « état des lieux ». Bonne chance à la Présidence belge (du Conseil de l’Union européenne). L’hommage justifié à Jacques Delors, aujourd’hui, nous encourage à « poursuivre la route » avec pédagogie et humanisme

  4. Le problème n’est pas dans le progrès des partis nationalistes dans beaucoup de pays, il est dans l’inefficacité du système européen. Car les Européens, les citoyens, seraient très majoritairement favorables à une Europe fédérale concentrant son activité sur les problèmes extérieurs (défense, politique étrangère, monnaie, immigration,….) comme le sont par exemple les USA. Mais il faut pour cela SUPPRIMER L’IMBÉCILE UNANIMITE et donc revoir la structure et arrêter d’agrandir encore le cercle en envisageant d’admettre la Géorgie qui n’est pas en Europe!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également