Hommage à Jacques Delors

« Nul n’est prophète en son pays »… Qui mieux que Jacques Delors pour incarner cette parole, du moins dans la sphère du Politique ?

Géant bâtisseur à Bruxelles après avoir assuré à Paris le cap du progrès par l’Europe, porteur d’une ambition nationale plébiscitée par les Français mais refusée par les appareils politiques; ambition bien trop vaste pour s’arrimer aux planches du Palais Bourbon.

Une certaine France est restée orpheline de Jacques Delors : tous ceux qui à l’annonce de sa disparition diront « Je me souviens parfaitement du 7 sur 7 d’Anne Sinclair ! », qui se rappellent comment ils ont vécu ce moment, et leur compréhension immédiate de ce que ce renoncement signifiait pour la France.

En effet, il n’y eu jamais de troisième saison à la geste delorienne.

Une première saison pour venir à bout de l’inflation et arrimer l’avenir de la France dans l’élan européen, quelles qu’aient pu être les tempêtes.

Une seconde pour relancer le projet européen autour de valeurs humanistes et sociales assises sur une Monnaie et un Marché unique, et confortées dans leurs ambitions par une politique économique.

Il manqua ensuite un septennat pour installer en France et en Europe une alternative de progrès social face à la révolution libérale conservatrice des années 80. Car Jacques Delors, au-delà d’un idéal européen, portait aussi et surtout un projet de société pour l’ensemble des citoyens européens.

Le troisième acte de la geste delorienne ne s’étant jamais écrit, l’Histoire retiendra Bruxelles et l’Europe ! La chance exceptionnelle donnée à Jacques Delors de rencontrer une destinée politique, sous le puissant parrainage d’Helmut Kohl et de François Mitterrand.

Aujourd’hui, tous ceux qui ont connu le Berlaymont électrisé par le « Président Delors » et ses équipes ne peuvent qu’éprouver une immense peine, mêlée au fier souvenir d’avoir participé durant une décennie à un élan unique, version moderne de la Table ronde quand la Grande Histoire semblait pousser si puissamment dans les voiles du Navire Europe.

Trente ans ont passé et Sauvons l’Europe, bien modestement parmi bien d’autres héritiers du projet delorien d’une social-démocratie européenne, salue la mémoire d’un Maître qui porta haut la flamme européenne.

Sa mémoire engage chacun d’entre nous à porter et faire croître sa propre étincelle d’Europe.

Arthur Colin et Henri Lastenouse

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9 Commentaires

  1. Désolé de gâcher le concert de louanges. Jacques Delors a cru qu’en libéralisant le marché commun (libre échange inconditionnel, entraînant compétitivité accrue entre entreprises nationales, austérité dans les services publics avec ouverture au privé, austérité des salaires, accroissement considérable des inégalités sociales, dumping social et fiscal, etc.), le social allait suivre l’économique par ruissellement des richesses produites au profit des entreprises les plus prospères vers les classes populaires. Nous ne pouvons que constater, aujourd’hui, qu’il avait tout faux. Pour moi, Jacques Delors symbolise la conversion de la social-démocratie au néo-libéralisme. De mon point vue, cette conversion explique, en partie, la montée de l’extrême droite dans tous les pays de l’Union.

  2. Si je vous comprends bien, dans les 30 ans passés depuis le départ de Jacques Delors de la Commission il ne s’est rien passé aucun acteur économique ou politique n’a infléchi le cours du monde, et J.D est celui qui a fomenté l’extrême droite d’aujourd’hui, dans 3 à 4 continents. J’ai travaillé pourlui (modestement) en France, de ce que j’ai connu de lui, il n’a jamais cru ce que vous prétendez. En fait, vous avez bien le droit de haïr Macron, et son action qui est conteporaine. Et vous utilisez vos jugements d’aujourd’hui pour penser hier. C’est un mode réactionnaire de penser l’histoire.

    • Vous avez raison, il est facile (et assez injuste) de juger le passé à la lumière de ce que nous savons aujourd’hui. Si le rôle de l’historien est de comprendre le passé avec tous les outils que nous offre la critique historique pour coller le plus possible à la réalité, le rôle du politique (et du syndicaliste que je suis) est de construire l’avenir sur base des erreurs commises dans le passé. En effet, Jacques Delors (qui venait de la droite avant de rejoindre Mitterrand qui venait, lui aussi, de la droite [extrême]) n’était pas tout seul, mais il a joué un rôle important dans la manière dont on a construit l’Europe. En Belgique des personnalités comme Karel Van Miert et Philippe Busquin (anciens Commissaires) ou Guy Spitaels, Elio Di Rupo (le père de la transformation des services publics belges en sociétés anonymes), etc. se sont convertis à l’ultra libéralisme. En tant que syndicalistes dans le service public, nous avons énormément souffert entre 1985 et aujourd’hui. Je ne hais pas Macron, mais je désapprouve profondément sa politique. Il est, en effet, une créature de cette social-démocratie, à mes yeux, dévoyée.

  3. Bonsoir.

    Je me trompe peut-être mais pour moi Jacques DELORS était un grand Européen.

    Son action s’est inscrit avec une Allemagne omniprésente a la botte des USA, malgré les contraintes qui en découlent, il a fait beaucoup plus et mieux que ceux qui lui ont succédés, toujours d’après moi .

    Aujourd’hui, ou en sommes nous :
    – nous avons encouragé une guerre sans en analyser les conséquences.
    – nous n’avons toujours pas une défense commune qui est pourtant vitale.
    – Aucunes taxation des super profits avec une meilleure et plus juste répartition des richesses.
    – Nous envisageons l’intégration de nouveaux pays ou la corruption est reine alors que nous n’avons pas finaliser la construction européenne.
    – Etc, etc…

    D’après moi, j’ai l’impression que Monsieur DELOR était dégouté par la politique actuelle que ce soit au niveau européen et national.

    • Au début des années 80, tous les Etats de la CEE étaient gouvernés par des sociaux-démocrates. On aurait pu alors bâtir une Europe sur la solidarité et la complémentarité plutôt que sur la concurrence et la compétitivité. On aurait pu fonder une sécurité sociale commune, des services publics communs, une fiscalité commune basée sur la progressivité de l’impôt aussi bien sur le capital que le travail. Il aurait fallu aussi instaurer un protectionnisme sélectif aux frontières de l’Europe, basé sur le respect des droits humains, la protection de l’environnement et l’aide au développement des pays ACP. Bref, tout le contraire de ce que la social-démocratie a fait. Facile à écrire, évidemment, avec le recul. Mais, rétrospectivement, quel gâchis…

      • Bonjour Monsieur HERLEMONT.
        Je suis à 100% d’accord avec votre commentaire, cette ambition est prioritaire et pourtant constamment oubliée, vous avez raison, nous n’en serions pas là si cela avait été fait, mais que de cupidité et de tromperies.

        Comme avec Monsieur VERNIER, nos échanges sont enrichissant et courtois, nous sommes souvent sur la même longueur d’onde, merci encore.

  4. Je suis un peu surpris par certains propos d’Yves Herlemont, dont j’apprécie souvent la perspicacité des commentaires. Cette fois-ci, aurait-il privilégié le petit bout de la lorgnette ? C’est, certes, une manière de prendre de la distance par rapport au feu de l’actualité. Mais c’est également un prisme qui, parfois, peut s’avérer un tantinet réducteur.
    Que la vocation de bâtisseur, pour ainsi dire inscrite dans l’ADN de Jacques Delors, se soit traduite par d’indéniables réussites, mais qu’elle se soit aussi heurtée à des vents contraires, cela fait partie des réalités inhérentes à la vie politique. Ceci dit, si je devais retenir une qualité éminente de ce personnage à la carrure d’homme d’Etat, ce serait assurément celle de « prophète ».
    Prophète ? Oui, mais pas au sens de visionnaire prédisant l’avenir. Plutôt à celui d’interprète des signes des temps, comme ont cherché à l’être nombre de figures bibliques. Repérer le carburant le plus approprié, tout en donnant une impulsion aux bonnes manettes, cela a caractérisé en grande partie la démarche de l’ancien président de la Commission européenne, fût-ce en dépit des freins mis au point par la firme « Thatcher and C° ».
    On pourrait longuement épiloguer sur l’œuvre ainsi accomplie, sans en ignorer les turbulences. Contentons-nous, au niveau d’un commentaire nécessairement plus restreint dans son ambition, de prêter attention à deux aspects :
    – d’une part, la relance de la construction européenne dans les années 85-92 à la faveur de l’achèvement d’un marché intérieur encore incomplètement réalisé lorsque Jacques Delors a rejoint « Bruxelles ». Or, il me semble que l’on n’évite pas le piège d’une certaine confusion lorsque qu’on évoque « LE marché ». Ce terme, au singulier, mérite d’être replacé dans l’acception qu’il revêt de « lieu et vecteur d’échanges », comme au temps des foires de jadis. A cet égard, sur un plan anecdotique, oublierait-on que, dans les années 60, à côté de la coupe d’Europe des clubs champions, une compétition de football mettait spécifiquement en concurrence, à l’échelle de l’Europe, des villes de foire du continent ? Il semblerait, en fait, que, plus ou moins consciemment, le singulier ait été, de nos jours, pollué par un pluriel qui se rapporte essentiellement au monde de la finance (LES marchés). C’est la raison pour laquelle je me permets de douter de la pertinence du qualificatif d’«ultralibéral» lorsqu’on l’applique à l’essence du « grand marché » promu sous l’impulsion de Jacques Delors. Mais cela mériterait sans doute de plus longues explications… en ne négligeant pas, au demeurant, que ce dernier, partisan et artisan d’un dialogue social authentique, a dû difficilement oublier son passé de syndicaliste…
    – d’autre part, cette relance de la construction européenne s’est accompagnée d’un souci de donner à la Commission une fonction moins technocratique (en dépit des apparences). En ce sens, on peut invoquer deux images : celle d’une « boussole » complémentaire à un « gouvernail » de plus en plus accaparé par les Etats membres ; mais aussi celle du « levain dans la pâte », en étant conscient de ce que la cuisson relevait d’un appareillage institutionnel plus élaboré… où le Parlement européen n’a pas manqué d’apporter sa propre dose de sel au fil du temps.
    Bref, ceci n’était qu’un commentaire d’un ancien bureaucrate – nobody is perfect – qui garde un souvenir ému du jour éminemment emblématique (c’est le cas de le dire) où il a assisté, en présence de Jacques Delors et au son de l’«Ode à la joie», au premier lever du drapeau d’azur aux douze étoiles d’or sur le parvis du bâtiment abritant le Collège des commissaires. C’était cela aussi une manière symbolique de porter haut les couleurs de l’Europe.

  5. L’UE de Delors ne nous a pas empêché d’être où nous en sommes, une UE qui, à chaque crise, se divise un peu plus, incapable de porter une voix commune, où les nations peu à peu se recroquevillent sur leurs frontières, une UE qui a été incapable d’empêcher la renaissance du fascisme et du nazisme, du racisme, de combattre les extrémismes religieux, marchandant ses valeurs proclamées avec des États plus que douteux, cédant aux lobbies, une UE qui a perdu toute crédibilité, toute puissance internationale, plus que jamais dépendante des USA et militairement, énergiquement, culturellement !

    L’UE s’est faite peu à peu de bric et de broc, sans cohérence, sans cap, sans cadre clairement défini. Au début, ce ne fut que la volonté économique d’ouvrir au capitalisme, jusque là national, un marché européen pour atteindre une taille lui permettant de rivaliser avec les multinationales étrangères( CECA…) et ce capitalisme jusqu’alors nationaliste, paternaliste, en grossissant est devenu de plus en plus concurrentiel, sans pitié, anonyme, apatride, boursier ne défendant plus son pays d’origine mais les seuls intérêts des actionnaires d’où qu’ils viennent. Cette UE n’a fait entrer d’autres pays que parce leur main d’œuvre à bas coût, servait ses intérêts. Cette UE qui jusqu’à là n’était que des arrangements économiques entre États souverains a voulu mettre les bœufs (le politique moteur) après la charrue (l’économie, la marchandise) et à donc pour cela créé un fonctionnement bâtard empêchant tout dynamisme. Il aurait mieux fallu faire le contraire commencer par une union politique et sociale régissant l’union économique !

    Si l’on veut réellement sauver l’UE, il faut totalement la repenser au niveau politique et social, peut-être créer les EUE, les États Unis Européens, avec un président élu au suffrage universel sur son programme et choisissant un premier ministre parmi les groupes politiques pouvant l’appliquer, ce qui permettrait de faire naître des partis européens, plus cohérents que cet actuel assemblage boiteux de partis nationaux où chacun a sa vision de l’écologie, de la droite, de la gauche selon les structures politiques, l’histoire de son pays. Donc un pouvoir fédéral et des États ayant une grande autonomie de manœuvre et en même temps pour les citoyens une simplification, une plus grande transparence du fonctionnement politique ! C’est aux politiciens, choisis démocratiquement par tous, chargés de défendre le bien commun et redevables de leurs actes devant leurs électeurs de diriger l’économie et non à quelques individus d’imposer leur loi pour leurs seuls intérêts ! Le politique d’abord, l’économique après !

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