Europe et mondialisation : le changement, c’est maintenant ?

La Mondialisation est un fait avéré pour des raisons et des choix politiques, mais aussi en raison de faits et de tendances structurels de long terme : diminution de coût des transports, économie d’échelle… Dans les faits, cette mondialisation n’est ni le diable qui serait créateur de chômage de masse et de mort de l’environnement ni cette mondialisation heureuse qui bénéficierait à tous de manière équivalente et serait sans impact sur l’environnement. Il est, donc, urgent de la réguler davantage et de soutenir ceux n’en bénéficient pas ou qui sont perdants face à elle.

Sur la régulation de la mondialisation, deux changements majeurs viennent de se produire.

Le premier concerne le front judiciaire. La Cour Européenne de Justice vient de considérer que le traité commercial avec Singapour n’était pas du ressort exclusif de la Commission. Cet accord devra être validé par l’ensemble des Parlements nationaux, puisqu’il concerne des compétences partagées.

Il en résulte deux hypothèses. La première serait la plus simple pour la Commission Européenne. Elle se limite à signer des accords portant sur des compétences exclusives pour éviter le risque d’un veto par un parlement national. Les compétences exclusives sont nombreuses (union douanière, règle de concurrence, conservation des ressources biologiques de la mer, politique commerciale). Ainsi, les possibilités d’accords commerciaux sans passage par les Parlements nationaux restent très importantes. D’un certain point de vue, c’est la conclusion de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui précise que seulement deux points de l’accord avec Singapour devront être soumis à un vote de l’ensemble des Etats-Membres : les investissements étrangers autres que directs (investissements « de portefeuille » opérés sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle d’une entreprise) et le régime de règlement des différends entre investisseurs et États. Les autres volets de l’accord avec Singapour sont bien de la compétence exclusive de la Commission européenne et ne nécessitent pas une validation des différents Etats Membres. Ce choix politique de se concentrer sur les accords à compétence exclusive serait le plus simple pour la Commission Européenne, mais le moins ambitieux et ne répondrait pas à l’enjeu d’une vraie régulation du commerce internationale.

La solution souhaitable est différente. La Commission Européenne doit maintenir son objectif de signer des accords de libre-échange, qui ne soient pas uniquement basés sur le commerce et être plus larges pour s’inscrire dans une optique de juste échange. Mais, les négociations en cours doivent associer les Parlements nationaux pour intégrer leurs remarques et avis. Le risque d’un veto serait moindre, si les Parlements nationaux étaient impliqués tout au long du processus de négociation. En pratique, Les députés europrogressistes des différents Etats-Membres devront s’assurer que les conditions de la déclaration de Namur sont intégrées aux traités en cours de discussion. Cela sera une mission pour les futurs députés de la Commission des Affaires européennes. Pour mémoire, dans la déclaration de Namur, il est précisé que les traités devront désormais n’être signés qu’avec des Etats ayant ratifié les « principaux instruments de défense des droits de l’homme, [l]es conventions essentielles de l’OIT [l’Organisation internationale du travail], [l]es recommandations issues du projet BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) et [l]es Accords de Paris sur le climat ». Les négociations devront aussi inclure « des exigences chiffrées en matière fiscale et climatique ». Dans un article de décembre 2016, Sauvons l’Europe propose d’ajouter des conditions sur la politique financière et monétaire : absence de dumping monétaire et présence d’une politique de régulation financière (notamment du shadow banking). En effet, une dérégulation financière peut avoir des impacts sur le marché des biens et services.

Le deuxième changement est politique. Ainsi, la Commission lance la réflexion sur le futur de la mondialisation avec le document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation. Le premier point positif est qu’en mettant le sujet sur la table de la discussion, la réflexion collective pourra évoluer. De fait, et c’est le deuxième point positif, l’ensemble des aspects est abordé : enjeux sociaux, fiscaux, environnementaux, droits de l’homme…

Par exemple, sur les enjeux sociaux, le document indique que « nous devrions faire avancer les efforts visant à améliorer les normes sociales et de travail et les pratiques en la matière, en étroite coopération avec l’Organisation internationale du travail, mais aussi la société civile, les partenaires sociaux et le secteur privé. Dans ce contexte, des systèmes de négociation collective devraient être promus à l’échelle mondiale. » Plus loin, il est indiqué qu’il « convient tout d’abord de mieux faire respecter les accords et règles existants dans des domaines tels que les échanges, les normes de travail, le climat et la protection de l’environnement. »

Sur le plan fiscal, il est indiqué que L’UE devrait continuer à prendre des mesures en matière de justice et de transparence fiscales à l’échelle mondiale.

Il ressort, donc, de ce document une vision d’ensemble, très intéressante. Ainsi, c’est bien l’objectif du juste-échange qui est porté par la Commission, loin d’un libre-échange uniquement basé sur des conditions commerciales.

Cependant, cette vision d’ensemble n’est pas intégratrice. L’accès à notre marché ne sera pas conditionné aux respects des normes sociales et environnementales. Chaque sujet est pris indépendamment. Il est nécessaire de progresser sur le plan fiscal avec l’OCDE, sur le plan des normes du travail avec l’OIT, sur le changement climatique avec la mise en œuvre de la COP 21. Mais, la négociation ne concerne pas l’ensemble des enjeux et ne se fait pas de manière transversale. C’est donc une différence essentielle avec la déclaration de Namur.

Le pari fait par la Commission européenne est celui de l’efficacité : pour avancer sur les dossiers, il est préférable de ne pas les négocier de manière globale. Surtout, le « soft power » est implicite dans la négociation : « si vous voulez pouvoir accéder à notre marché, je vous conseille de respecter l’accord de Paris et de partager votre information fiscale ». C’est peut-être le choix de l’efficacité pour continuer d’avancer, mais la crainte est que le progrès soit trop lent et insuffisant.

Bien pire, on ne peut que constater les incohérences entre les accords en cours de discussion et ces objectifs. Il suffit pour cela de se rappeler que les ajouts sur les conditions sociales et environnementales sur le Ceta, suite au combat du Parlement Wallon, se sont faits pratiquement contre la Commission Européenne. De même, le refus initial de la Commission de se saisir de l’initiative citoyenne européenne sur le TTIP confirme que la politique menée aujourd’hui n’est pas en cohérence avec les conclusions de ce document de réflexion. A noter que la Cour Européenne de Justice Européenne a invalidé la décision de la Commission refusant l’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne « Stop TTIP ». C’est un autre changement judiciaire notable et positif sur le sujet.

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10 Commentaires

  1. Et pourquoi ne pas consulter les parlements nationaux en amont et, pour le vote final, seulement le parlement européen ?
    Il faut un temps fou pour signer le moindre traité avec le risque qu’un seul pays bloque tout.

    • Il faut être réactif et pragmatique !
      Réactif : Notre président a été élu et son projet est clair : améliorer la démocratique en Europe, avec + d’harmonie fiscale et + de social. Donc il est habilité pour avancer car il a été clair.
      Pragmatique : il avance l’idée de faire des cercles concentriques où les avancées sont faites sur la base du volontariat. Donc les états qui freinent restent en dehors de ces avancées mais en même temps, ils prennent conscience que toute arrivée tardive, leur coûtera. Avec cela on évitera le cancer du véto qui est un frein pour la démocratie.

      Le monde change vite et il ne faut pas traîner et gaspiller. La démocratie doit se faire sur la base de la représentation démocratique. Nos élus sont réputés compétents pour synthétiser la complexité des arcanes de l’Europe. Ainsi, les « contrôles permanents » prônés par les irresponsables et incompétents de type « mélanchoneux » et ce, à grand renfort de référendum, sont des pratiques des temps anciens où le monde ne changeait pas à ce rythme.

      Mais pour faire confiance aux élus, il faut :
      1/ des citoyens qui s’investissent plus pour analyser les situations dans leur complexité et non à la méthode Trump basée sur les « petites phrases ».
      2/ voter pour des élus qui avancent sur les lois de la moralisation.

      Discuter des jours et des jours pour décider de réagir positivement à l’actualité galopante, c’est se condamner à l’inaction, donc au déclin. Cela revient à tuer la démocratie.

      La démocratie c’est un élan, un moteur et surtout pas un frein cégétiste !

  2. Si le corps de l’article pose les bonnes questions, l’à
    priori de départ ne va pas de soit.
    Pourquoi déclarer que la mondialisation ne peut pas être parfaite ?
    Cela ne mérite pas d’être écrit, car c’est justement ce qu’il faut combattre au
    maximum.

    Pourquoi mondialiser matériellement l’agriculture et le bâtiment vernaculaire ?
    Et plus généralement tous les services artisanaux communs et courants ?
    Cette mondialisation là est totalement destructrice et perverse.

    Il y a la bonne et la mauvaise mondialisation :
    l’immatériel peut être mondialisé, mais le matériel doit l’être que en cas de
    nécessité absolue.
    L’autonomie de tous les territoires est la première valeur à partager entre tous les peuples pacifiés.
    La bonne mondialisation, c’est le partage libre et gratuit de l’information.
    La mauvaise mondialisation, c’est la privatisation du vivant.
    Le marché libre et non faussé est magnifique à petite échelle, si local et transparent.
    C’est un cloaque indomptable lorsqu’il est mondialisé e opaque.

    « Small is beautifull » « Faire mieux avec moins » « Réfléchir et calculer avant d’agir »
    l’effet « Némésis » imprègne et englue nos sociétés modernes.
    (l’effet Némésis c’est écraser une mouche avec un bulldozer ! Notre
    inefficacité quotidienne).

    La mondialisation c’est consommer 10 calories fossiles pour produire 1 calorie alimentaire.
    L’intelligence locale, seulement 1 siècle en arrière, produisait au moins 2 à 3
    calories alimentaires, en en consommant une seule.
    La prochaine relocalisation vivrière doit pouvoir mieux faire qu’il y a 100 ans,
    car notre savoir s’est considérablement enrichi.

    Le véritable marché libre et non faussé doit reposer directement sur la liberté
    d’initiative de tous les citoyens en les dotant chacun d’une même quantité
    monétaire de « carbone fossile », plafonnée globalement bien répartie,
    à dépenser chacun selon sa volonté et ses moyens.
    Les riches rachetant aux pauvres des droits à polluer complémentaire avec la
    monnaie économique traditionnelle (l’€uro par exemple). Ce système garanti l’autonomie individuelle, en étant facteur de justice sociale et de respect global de la nature.

    Actuellement l’€uro crée en plus par an environ 10% de sa masse monétaire
    totale. Rien qu’avec le « Quantitative Easing », sans entrer dans les calculs
    complexes de toutes les autres différentes masses monétaires, comme expliqué
    ici sur le site de la « monnaie libre » :
    http://www.creationmonetaire.info/
    C’est une somme considérable de 1000 milliards par an à diviser par 492 millions d’habitants, soit environ 2000 Euros par an et par personnes ou 8000 €uros pour une famille de 4 individus, qui sont ainsi actuellement distribués sur le marché, et personne ne paye pour cela.

    Au lieu de passer par des circuits bancaires opaques et internationaux pour
    injecter cette nouvelle monnaie sur le marché, ce serait facile de le distribuer à tous les citoyens de ce nouveau territoire européen devenu intelligent.
    Ce sera l’équivalent d’un revenu universel totalement vertueux,
    puisque ne passant pas par une collecte publique,
    vertueux car décentralisé et gratuit
    et vertueux car se diffusant parfaitement à travers tous les territoires,
    pour contribuer au financement de toutes les petites initiatives locales.

    Et tant pis si cette pratique n’intéresse que la moitié de l’Europe, tant pis
    pour l’autre moitié. Un maillon pervers de la communauté ne doit pas pouvoir imposer aux autres ses blocages.
    Voila un beau projet européen capable de rassembler tous les citoyens les plus
    modestes.

    Tous ces futurs développements d’outils monétaires sont
    devenus possible grâce à la technologie informatique du blockchain qui fait ses
    preuves de fiabilité avec le bitcoin depuis plusieurs années. Cette forme de
    création monétaire est étudiée depuis plusieurs années par un groupe d’experts
    à la suite de l’idée développée par Stéphane Laborde.
    Pour info, le pays au monde qui a le plus d’échanges bancaires dématérialisés,
    et par téléphone portable, est le KENYA (les derniers seront les premiers
    disait la bible ?)

    Une bonne mondialisation est donc possible, mais devra être limitée et
    réfléchie avec beaucoup de soin.

  3. L’UE est frappée par le conservatisme et l’immobilité.
    En fait on voit bien une évolution que nous connaissons malheureusement en France, qui consiste à penser, pour tous ces fonctionnaires européens, qu’il vaut mieux ne rien faire qu’être démenti.

    L’UE doit changer d’analyse.

    Espérons que Macron sera en mesure de faire quelques changements, contre les égoïsmes nationaux court terme, pour une vision d’ensemble au moins à moyen terme.

    L’UE doit être un avantage tangible pour les peuples, pas cette incantation dérisoire qui fleurit dans les discours et les commentaires, tels celui-ci.

    La mondialisation, avant d’être qualifiée de bonne ou de mauvaise, est un fait.
    Ce fait doit être reconnu et les peuples européens attendent de l’UE des politiques afférentes, efficaces et protectrices.
    Ce n’est pas le cas.

    Tant que l’UE et ses fonctionnaires et commissionnaires seront hors sol, loin de la préoccupation et de l’attente des peuples, l’UE sera en danger croissant.

  4. Cet article constitue une réflexion judicieuse sur un contexte international qui – trop souvent, hélas ! – n’échappe pas à des considérations simplificatrices.

    Juste quelques observations complémentaires:

    1) la sensibilisation à la place qu’il convenait de ménager à l’Europe dans la mondialisation avait conduit, à la fin de 2006, à la création d’un « Fonds européen d’ajustement à la mondialisation ».

    Institué par un règlement du Parlement européen et du Conseil sur proposition de la Commission, cet instrument peu connu répondait au souci de permettre à l’UE d’apporter, par le biais de cofinancements, une aide aux travailleurs qui, aux termes du règlement, « perdent leur emploi en raison des modifications majeures de la structure du commerce mondial résultant de la mondialisation, dans le cas où ces licenciements ont des incidences négatives importantes sur l’économie régionale ou locale. » Doté au départ d’une capacité de financement de 500 millions d’euros par an pour la période 2007-2013, le Fonds a vu cette enveloppe se réduire à un montant de 150 millions annuels pour la période 2014-2020… « ambition » d’autant plus interpellante que cette révision à la baisse se situait encore dans un contexte de crise économique. A titre d’exemples, on mentionnera l’aide fournie au secteur automobile en France ou à l’industrie textile en Italie.

    2) L’avis (car il ne s’agit pas d’une procédure contentieuse) rendu par la Cour de justice au sujet de l’accord avec Singapour constitue une contribution intéressante à la clarification du concept de « compétence exclusive » reconnue à l’UE: une mine d’or pour les juristes… mais peut-être, aussi, une invitation à reconsidérer les prétentions de la Direction générale du Commerce qui, au sein de la Commission, a parfois tendance à se considérer comme un Etat dans l’Etat.

    3) L’annulation de la décision de la Commission refusant l’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne « Stop TTIP » participe un peu de la même tendance, en ce sens qu’elle va au-delà des simples considérations juridiques formelles invoquées par la Commission.

    En filigrane, cette décision constitue un encouragement au développement de ce genre d’initiative dans le sens d’une « démocratisation » accrue des pratiques de l’UE. Cela étant, deux éléments ne doivent pas non plus être perdus de vue:

    d’une part, c’est le refus d’enregistrement proprement dit de l’initiative citoyenne qui a été sanctionné et non la suite que la Commission entendrait donner à l’initiative une fois enregistrée; d’autre part, à ce stade du contentieux, la procédure s’est déroulée au niveau du « Tribunal de l’UE », compétent en première instance… ce qui ne préjuge pas d’un éventuel pourvoi de la Commission devant la « Cour de justice de l’UE » en tant qu’instance d’appel.

  5. La fin du politique…

    De toute façon, le pouvoir politique des européens au niveau national est fortement dilué par l’appartenance a l’Union-européenne.

    Comme personne n’arrive a se mettre d’accord, au niveau semi-federal actuel, que sur le minimum et que le Parlement est lui-meme entravé par la Commission des états, qui n’ont presque plus de pouvoir et qui souffre lui-meme du meme maux, seules les multinationales et les banques, surtout anglo-saxonnes, dirigent dans l’ombre. Auquel problème s’ajoute en plus la collusion entre l’économique, les medias, les services secrets, et le militaire aux USA.

    C’est pour cela qu’une confederation (avec un Parlement, un conseil des états, et un president élu au suffrage universel et son gouvernement/ budget-répartition-diplomatie-armée), redonnerait son mot a dire et son pouvoir d’action aux peuples dans leurs propres états et au niveau supra-national européen.

    Il ne reste que les questions sociétales et encore.

    Forcement le communautarisme et la religion vont prendre la place vacante des gouvernements par le bas.

    Cela tombe bien pour le projet néolibéral qui consiste a diviser la société et les pouvoirs centraux pour mieux l’exploiter au profit d’une petite elite et quelques scribes. La démocratie n’existe déjà plus dans le monde anglo-saxon.

    Comme les européens en baisse démographique se refusent de faire dans l’identitaire, se sont les étrangers d’origines non-européennes, qui sont accueillis en masse sciemment, qui vont progressivement l’orienter en leur faveur.

    Les pays extérieurs avec encore le propre usage de leur volonté, démocratiques ou non, aussi auront plus d’influence sur l’Europe.

    En fait, nous assistons doucement mais surement au genocide des européens et de l’Europe…

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