Cette fois, l’Europe n’a pas 15 ans devant elle

Le 29 mai 2005, la France se prononçait sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE). Ce traité qui se voulait un jardin à la française selon un ordonnancement géométrique savant fusionnait les textes existants et entérinait un modèle constitutionnel à mi-chemin entre une fédération et une confédération. Il instituait une entité européenne unique, l’Union européenne, en mettant fin au système des piliers. Il établissait précisément les valeurs communes sur lesquelles devait se fonder l’Union, en intégrant la Charte des droits fondamentaux. Il procédait à une répartition précise des compétences entre l’Union et ses Etats membres et introduisait une clause de flexibilité permettant à l’Union de prendre des initiatives sans en avoir les pouvoirs requis, dès lors qu’il s’agissait de réaliser un des objectifs fixés par la Constitution. Le principe de subsidiarité acquerrait une valeur constitutionnelle, tout comme le principe de primauté du droit communautaire.

Ces modifications étaient intéressantes. Cependant, la faiblesse des changements en comparaison des attentes des citoyens laissa d’autres facteurs importants contribuer aux résultats du référendum. Ainsi, avec un peu de recul, les analyses affinées ont mis en évidence la grande complexité des motivations à l’origine du vote de 2005 – à commencer par l’opportunité qu’offrait le référendum pour exprimer une défiance plus globale à l’égard du gouvernement alors en place, bien au-delà du texte soumis à la consultation populaire. Les arguments en faveur du vote de ce texte furent aussi bien insuffisants face aux arguments multiples (et parfois hors-sujet) du camp du non et d’une exigence, parfois contradictoire, de demande de souveraineté (nationale ou européenne) pour faire davantage dans le domaine social, monétaire, budgétaire, environnemental. On pourrait aussi revenir longuement sur certains mensonges des opposants. De fait, force est de constater que le plan B n’existait pas. L’élargissement à 25 et bientôt à 27 était acquis et les institutions étaient toujours celles qui prévalaient à 6 ou à 15. On peut aussi regretter l’absence d’un référendum mené collectivement en Europe, lequel aurait peut-être donné un résultat différent. Le choix ne fut pas celui-là. La légitimité du référendum français ne peut cependant être remise en cause, sous prétexte qu’il s’agirait d’un seul Etat.

Le résultat fut sans appel, avec 55 % de « non » et une participation proche de 70 %. Il s’est passé 15 ans depuis le vote du 29 mai. Un bilan s’impose sur les conséquences qui en ont été tirées par les institutions. En effet, lorsqu’une proposition portée par les responsables politiques au pouvoir est rejetée, c’est à ces personnes en responsabilité de réagir et d’entendre le rejet. Le constat est évident. L’existant européen a été rejeté. En 2005, les citoyens français attendaient des modifications fortes et non de simples amendements. On doit évidemment contredire le fait que l’existant aurait été le diable qu’on entend ici et là, mais il est évident que cet existant fut collectivement rejeté et il est difficile de nier ce fait, surtout qu’il y a des raisons évidentes à ce refus. Depuis 2005, de très nombreuses améliorations ont été apportées à cette construction européenne mais peu furent considérées comme satisfaisantes et suffisantes par les citoyens. Sans chercher à être exhaustif ici, on peut en citer quelques unes.

Le Traité de Lisbonne a permis de reprendre quelques avancées, mais confirma le modèle existant. Ce « mini-traité » négocié entre gouvernements en quelques semaines, en 2007, sur les cendres de la défunte Constitution, fut essentiellement un travail de toilettage.

La voix unie de l’Europe permit une signature à la COP 21, mais les premiers objectifs européens sur le sujet furent insuffisants et surtout tout reste à faire. Le budget européen restait un nain empêchant tout investissement dans la transition et toute solidarité. De fait, l’Europe a connu peu de changements majeurs pendant ces 15 dernières années, pouvant contribuer à donner raison aux eurosceptiques.

L’évolution fut plus marquée dans le domaine monétaire. Oui, la politique monétaire est sortie de sa zone de confort en augmentant de 45% la taille de son bilan en l’espace de quelques mois pour faire face à la faillite de Lehman Brothers, puis en 2012 en mettant en œuvre un ensemble de mesures non conventionnelles et en affirmant sa détermination à préserver l’euro quoi qu’il en coûte, puis en 2017 en organisant de manière très progressive la réduction des achats de dette publique et encore tout récemment avec la crise du Covid 19. Ce changement majeur a permis d’éviter une récession massive en 2009, un éclatement de la zone euro en 2012 et une catastrophe pour certains Etats-membres au moment de la crise sanitaire. Cependant cette nouvelle politique monétaire n’est pas sans inconvénient majeur : aucune condition environnementale sur les titres en garantie, inflation sur le prix des actifs qui aggrave les inégalités de patrimoine et rend de plus en plus difficile l’accès au logement pour de nombreux ménages dans les métropoles. Les effets pervers de cette politique monétaire empêchent ainsi de parler de big bang.

Le green new deal annonce, enfin, une accélération sur les enjeux environnementaux. Malheureusement, le terme de big bang ne peut, à ce stade, être accolé à ce green new deal. Cette accélération dans les politiques environnementales doit être soutenue et est à saluer, mais l’Europe doit aller plus loin et plus vite..

Mais, exactement 15 ans après le référendum, un premier big bang vient tout juste d’avoir lieu. Il s’agit du big bang budgétaire : 1290 milliards d’Euros, soit 7,8 % du PIB européen ! Ce big bang budgétaire est aussi un big bang de solidarité entre Etats et régions touchés. Ce big bang va modifier les équilibres entre Etats et régions en soutenant les régions les plus impactées. Il aura donc fallu attendre 15 ans pour avoir une première vraie réponse au « non » par les institutions. Un délai dommageable pour l’idée européenne et surtout honteux pour les précaires dont la condition s’est aggravée pendant 15 ans (notamment en Grèce, en Italie ou en Espagne, mais aussi en France). De plus, ce big bang va obliger la Commission européenne à chercher des ressources propres pour rembourser cet emprunt. Les premières pistes de ces taxes sont des impôts à effets positifs : Impôt sur les sociétés pour réduire l’évasion fiscale des multinationales, taxe sur le carbone ou sur le plastique permettant de réduire les
impacts environnementaux. Les citoyens attendent d’autres changements en Europe, qu’ils proviennent des collectivités, des Etats ou de l’Union européenne. Big bang social, big bang de la gouvernance des entreprises, big
bang des négociations commerciales, big bang fiscal, big bang des réglementations environnementales.

Le combat entre solidarité européenne et égoïsme national n’est pas fini. L’année 2021 sera primordiale pour le choix entre les deux branches de cette alternative. En effet, cette fois, nous n’avons pas 15 ans devant nous. Pour l’instant, l’insuffisance des réponses européennes, malgré le big bang budgétaire récent, peut encore faire craindre une victoire des égoïsmes nationaux. La question est de savoir si les conclusions de la future conférence pour l’avenir de l’Europe seront à la hauteur pour renverser cette tendance.

Face à l’unilatéralisme américain, face à la Chine qui tisse sa toile pour mieux imposer ses règles, face au réchauffement climatique, face aux menaces sanitaires, la réponse ne peut être qu’européenne avec l’arme du compromis qui n’est en aucune manière une compromission.

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9 Commentaires

  1. Excellente analyse de « l’état » de l’Europe actuellement. Vous avez oublié de parler du rejet en 2005 par la Hollande.Il faut aussi parler des folies actuelles: Élargissement à la Macédoine, pots de vin royaux payés à Erdogan qui fait du chantage à l’envahissement par migrants interposés. Pour une politique fiscale crédible il faut comme Donald Trump remettre en cause les accords ou traités qui nous affaiblissent:Suppression de la ponction de Ryan Air dans les aéroports où il s’installe ( Charleroi / payé par la Région Wallonne) et conformité au droit du travail local, idem pour les GAFA. Suppression du budget de l’Otan qui ne sert à rien d’autre qu’à créer des tensions avec la Russie et retour à la coopération et au commerce avec ce grand pays ostracisé à cause de 75 ans de communisme. Suppression de l’ignoble traité signe, lui aussi derrière le dos des peuples à Marrakech.

    • Majoritairement d’accord avec « BP 50 », mais merci de parler de Macédoine du Nord, nom officiel de ce pays et non de Macédoine, qui couvre plusieurs réalités. Par ailleurs, pour qui connaît un peu les Balkans et notamment le rôle déstabilisateur qu’y joue Erdogan, l’élargissement pour l’instant programmé (on verra dans 10, 15 ou 20 ans) n’est certainement pas une si mauvaise décision.

        • C’est ce que prédisaient aussi d’autres passéistes quant au destin auquel serait vouée la République. Mais elle est toujours là…

  2. ..et que dire du traité de lisbonne enteriné dans le dos du peuple de France par voie parlementaire car ce peuple de France avait eu le mauvais gout de le refuser 2 années plus tot par référendum……..!!!!!!!!!!!!!

  3. « …un modèle constitutionnel à mi-chemin entre une fédération et une confédération. »
    C’est bien la, le problème.
    Au final le Parlement (aux seul élus), a peu de pouvoir, et la Commission des états (qui continue a choisir son president de l’UE malgré la reforme/ avis du Parlement), pas vraiment plus a cause des dissensions naturelles entre pays.
    Reste d’obscures technocrates (non-élus), d’obedience néolibérale, business et USA oblige.
    « Le principe de subsidiarité acquerrait une valeur constitutionnelle, tout comme le principe de primauté du droit communautaire. »
    De meme, sans clarté entre le federal et le confédéral, les lois européennes sont imposées en douce a chaque état (qui normalement a le choix de les accepter ou non), sans veritable transparence.
    Une confederation (fortes coopérations a plusieurs vitesses), serait plus souple et respectueuse des peuples aux modèles de société different (pour encore longtemps).

    • Qu’entendez-vous par « Commission des états » ?

      Lorsque vous mentionnez les « technocrates non élus », on peut supposer que vous englobez sous cette expression non seulement les membres de la Commission européenne – dont la nomination est, en droit et en fait, largement tributaire d’une investiture par le Parlement européen après une phase approfondie d’audition dont on aimerait qu’elle soit aussi démocratique et transparente dans les Etats membres de l’Union – mais aussi les ministres (souvent de brillants techniciens choisis en raison de leur expertise) composant le Conseil: or, ces derniers ne sont pas non plus « élus » pour l’exercice de leurs fonctions gouvernementales. En tout cas, l’humble citoyen français que je suis n’a jamais été invité à « élire » le moindre ministre en tant que tel… puisque la désignation relève exclusivement du Président de la République et du Premier ministre qu’il a choisi.

      Quant aux lois européennes qui seraient imposées « en douce » à chaque Etat, ne perdez pas de vue que les Etats participent à leur adoption dans la mesure où les directives et règlements (le terme « loi européenne » n’existe pas dans la terminologie de l’UE) font l’objet d’une codécision entre le Parlement européen et le Conseil. Leur transposition dans la législation nationale est tout à fait transparente lorsque les parlements nationaux adoptent une loi de transposition. Encore faut-il suivre l’actualité parlementaire… Peut-on en profiter pour ajouter à ce sujet que, contrairement à une opinion malheureusement trop répandue, la législation européenne ainsi incorporée dans le droit national ne représente pas plus de 30 % de ce dernier ?

      Ces mises au point étant faites, je m’empresse de souligner qu’en tout état de cause je partage largement votre opinion quant à l’utilité de fortes coopérations renforcées permettant, grâce à des vitesses différenciées, à certains Etats membres de faire oeuvre pionnière – quitte à ce que les autres les rejoignent à leur rythme dans ces avancées.

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