Yannick Jadot à Sauvons l’Europe : « Le besoin d’Europe n’a jamais été aussi grand. »

Yannick Jadot, ancien directeur des campagnes de Greenpeace France, est eurodéputé Europe-Écologie-Les Verts (EELV) depuis 2009, réélu en 2014 et 2019. La liste EELV qu’il a dirigé lors des dernières élections européennes de 2019 est arrivé en troisième position avec 13,5 % des suffrages exprimés. Il a accepté de répondre aux questions de Sauvons l’Europe.

Sauvons l’Europe : L’Union européenne a lancé le 9 mai une vaste consultation sur l’avenir de l’Europe. Quel avenir pour l’Europe ? Pour sa démocratie ?

Yannick Jadot : Le besoin d’Europe n’a jamais été aussi grand. Avec l’épisode Trump, la montée en puissance des nouveaux empires autoritaires chinois, russe ou turc qui déstabilisent notre environnement immédiat, celle des géants du numérique qui prétendent faire la loi à la place des Etats et refusent de payer des impôts ou encore les effets croissants de la crise écologique globale, on voit qu’aucun pays européen, si puissant soit-il, ne peut tirer seul son épingle du jeu dans le monde du XXIème siècle. Même l’Allemagne, qui avait pu sembler flirter avec l’idée de s’abstraire de la solidarité européenne pendant la crise de la zone euro, a fini par s’en rendre compte. Ces derniers mois, la crise engendrée par l’épidémie de COVID-19 a bien montré que nous manquions encore d’une politique de santé et de sécurité civile ainsi que d’une politique industrielle véritablement européenne pour pouvoir faire face à ce type de choc.

Pour autant, même si des améliorations ont été apportées à l’architecture de la zone euro suite à la crise de 2010-2015, les institutions européennes restent profondément dysfonctionnelles. On l’a bien mesuré ces derniers temps : le plan de relance adopté en juillet 2020, structurellement sous-dimensionné, n’a toujours pas commencé à être mis en œuvre. Malgré les crises d’une intensité croissante et les agressions des régimes autoritaires, la politique étrangère de l’Union reste paralysée par la règle de l’unanimité. La construction institutionnelle issue du Traité de Lisbonne est d’un baroque achevé, illisible pour les Européens, et les différents responsables européens se disputent ouvertement sur la scène mondiale. Quant aux prérogatives du Parlement Européen, elles restent encore trop limitées et les processus de décision sont parasités par les égoïsmes nationaux.

Est-ce que la Conférence sur l’avenir de l’Europe peut permettre de trancher quelques-uns de ces nœuds gordiens ? Elle suscite pour l’instant beaucoup de scepticisme. Et cela d’autant plus que sa gouvernance incompréhensible reflète bien le caractère baroque des institutions européennes que j’évoquais précédemment. L’intention est bonne, mais la méthode est un repoussoir.

Pour moi, l’espoir vient surtout des échéances politiques à venir en Allemagne et en France. Si les Écologistes l’emportent aux élections allemandes de cet automne et aux élections françaises du printemps 2022, la donne sera profondément transformée en Europe. Cela pourra servir de déclencheur à une relance du projet européen, une accélération de la transition écologique et sociale et un renouveau démocratique.

L’Europe a déçu en matière sociale. Est-elle à la hauteur dans son action environnementale, dans la défense des données personnelles ? Quelles sont les nouvelles frontières ?

L’Europe a déçu en matière sociale car elle se heurte au poids de l’histoire. Les Etats-membres ont des modèles différents qu’il est certes difficile d’harmoniser. La fin des années 90 où les sociaux-démocrates gouvernaient très majoritairement l’Europe a été sur ce plan une occasion gravement manquée. Mais cela ne veut pas dire, que nous ne pouvons pas aller chercher de nouveaux progrès sociaux européens, bien au contraire. La pandémie de la Covid et l’augmentation des inégalités, notamment, mais aussi la volonté de mener une transition écologique juste, obligent l’Europe à bousculer les Etats en proposant des garde-fous communs, comme ce qui est en train de se faire sur les salaires minimaux. L’Europe se dote aussi progressivement d’outils de régulation interne, comme sur le « travail détaché » afin de mieux lutter contre les abus.

Au-delà, l’essentiel est surtout de faire en sorte que le fonctionnement économique de l’Union, y compris les réformes dites structurelles qui accompagnent encore le plan de relance, cessent d’être antisociaux. Cela implique en particulier de combattre de manière décidée le dumping fiscal qui assèche les budgets et de réorienter les règles qui encadrent les politiques budgétaires pour inciter les Etats à déployer des politiques plus redistributives. De la même façon, il faut amplifier les investissements qui participent de la protection du pouvoir d’achat, comme la rénovation thermique et favoriser les réformes qui améliorent les conditions de travail. Enfin, il est temps que les règles commerciales européennes intègrent enfin le respect des conventions minimales de l’OIT pour que des produits et services aient le droit d’accéder au marché européen.

Avec les politiques environnementales, les choses sont très différentes. La plupart du droit environnemental et des progrès en matière de protection de l’environnement nous viennent déjà de l’Union européenne. Sur le terrain écologique, l’Union a eu dans les années 1990 un rôle plutôt moteur à l’échelle international mais dans les années 2000 elle a perdu ce leadership. Les crises à répétition et les politiques d’austérité ont brisé l’élan, le poids des lobbies et les conflits entre pays ont freiné les décisions ainsi que l’élargissement à l’Est, vers des pays moins sensibilisés à ces questions. Il faut reprendre cette marche en avant, replacer l’Europe à la tête du combat pour changer de modèle économique à l’échelle planétaire. C’est d’autant plus urgent pour l’Europe que, parce que nous sommes la zone la plus anciennement industrialisée au monde, nous sommes aussi celle qui a le plus épuisé les combustibles fossiles et les autres matières première sur son propre territoire. Sortir de l’économie carbonée, mettre en place l’économie circulaire c’est aussi diminuer massivement notre dépendance extérieure et permettre de créer beaucoup plus d’emplois en Europe.

L’Union peut donc passer à la vitesse supérieure pour faire basculer l’Europe entière dans une prospérité soutenable. Avec l’influence croissante des écologistes, la mobilisation citoyenne, et en particulier celle des jeunes, de nouveaux progrès sociaux et environnementaux peuvent être conquis à court terme : il ne s’agit pas seulement de lutter contre les effets de la crise climatique, mais aussi de protéger la biodiversité et de lutter contre toutes les formes de pollution. Surtout, il s’agit pour nous de combiner le social et l’environnemental. C’est ce que nous faisons par exemple dans le cadre des travaux sur le Fonds de transition juste : comment orienter les aides à la transition écologique vers les habitants et les territoires, et pas vers les multinationales qui s’en serviraient pour repartir de plus belle dans la course aux profits sans contrepartie.

L’année qui vient sera décisive pour la décennie puisqu’avec le renforcement de l’objectif climat pour 2030 (-55 % d’émissions au lieu de -40%), tous les outils réglementaires européens (marché carbone, renouvelables, efficacité, normes CO2 des voitures…) devront être alignés à la hausse.

Au sujet du numérique, l’Europe affiche certes des principes honorables mais faute de politique industrielle et d’un minimum d’autonomie technologique dans ce domaine, elle est en pratique de moins en moins en mesure de faire respecter les règles qu’elle édicte par des géants étrangers dont elle est totalement dépendante. C’est d’abord cela qu’il faut changer.

Le présent quinquennat est né sous les auspices de l’Europe et de l’écologie, avant de voir la question de la sécurité et de l’identité prendre l’ascendant. Comment se prémunir d’une telle dérive à l’avenir ?

Emmanuel Macron l’avait emporté en 2017 sur une promesse de modernisation du pays, de relance de l’intégration européenne et de démocratisation via une association plus étroite des citoyens à la conception et à la mise en œuvre des politiques publiques. Sur tous ces plans, il a échoué ou trahi ses promesses initiales. En fait de modernisation on a eu sur le plan économique et social une resucée des politiques néolibérales anglosaxonnes des années 1980 et en fait de démocratisation, un renforcement des pires travers de la 5ème République combiné à un mépris abyssal à l’égard de tous les corps intermédiaires et en particulier les partenaires sociaux. Le tout agrémenté comme vous l’avez souligné d’une multiplication de postures martiales sans jamais s’attaquer à la réalité des insécurités. Cette politique se révèle très peu efficace pour combattre le crime et la délinquance, mais ses conséquences sont très négatives tant pour l’ordre public que pour nos libertés individuelles et collectives. Bref, très loin du ni gauche ni droite, Emmanuel Macron a mené en pratique une politique franchement de droite. Davantage encore même que celle menée par Valéry Giscard d’Estaing dans les années 1970 avec lequel on le compare souvent. Quant à l’Europe, le bonapartisme de notre président lui a aliéné la plupart de nos voisins qui redoutent toujours le retour des tendances hégémoniques chez les dirigeants français. De sorte qu’il n’a réussi en réalité à mettre en œuvre quasiment aucun de ses projets européens.

Comment préserver le pays à l’avenir d’une telle déconvenue ? En faisant exactement l’inverse d’Emmanuel Macron et notamment en donnant partout, dans les entreprises comme vis-à-vis de tous les acteurs publics, davantage de pouvoirs aux citoyens et leurs représentants. Il faut sortir enfin du jacobinisme et du bonapartisme pour oser la démocratie…

Sur quelle forces vives s’appuie votre candidature à l’élection présidentielle ? Y’a-t-il une France du partage et de la solidarité à mobiliser pour 2022 ?

J’ai bien l’intention en effet de peser sur la séquence qui mène aux élections de 2022 et je l’ai encore montré dernièrement en rassemblant les dirigeants des gauches et des écologistes à un moment où une dynamique de désunion semblait irréversible. Mais l’enjeu est surtout à ce niveau de contribuer à apporter des réponses nouvelles, écologiques, sociales et républicaines, à des défis que des décennies de conformismes n’ont pas permis de relever.

Je suis persuadé qu’il existe dans ce pays un bloc de forces sociales potentiellement majoritaire qui veut à la fois une politique écologique ambitieuse, une politique européenne active, un combat déterminé contre les inégalités et les discriminations, une société de libertés et d’ouverture au monde garantissant à la fois la dignité et l’ordre pour toutes et tous, une démocratisation des institutions à tous les niveaux de notre vie sociale et une politique économique qui soit favorable à l’innovation tout en faisant un usage responsable des finances publiques.

Il ne m’a pas échappé cependant que cette force potentielle reste encore aujourd’hui très divisée et surtout très démobilisée, notamment parmi les couches populaires. Est-ce que nous pouvons redynamiser ce bloc et le mener à la victoire en 2022 ? Ce sera à coup sûr difficile mais ma conviction est que c’est possible. Et en tout cas je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela advienne car si nous n’y parvenions pas un nouveau duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen mènerait la France et l’Europe dans une impasse … Il n’y a plus de temps à perdre !

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8 Commentaires

  1. Je ne mets pas un instant en cause les sentiments européens de YJ, pas davantage son analyse. Par contre j’émets les plus grands doutes sur les convictions européennes de ses camarades d’EELV, les Bayou, Rivasi, Duflot et autres. Pour eux, l’Europe est secondaire, un truc de politique étrangère, domaine qui ne les passionne pas en dehors de quelques luttes historiques devenues plus ou moins douteuses avec le temps (Moyen-orient, Amérique centrale). Ils se désintéressent de la Chine, de l’Europe centrale, de la Russie, etc.
    C’est une des grandes faiblesses de la candidature d’YJ et , entre autres, ce qui le perdra.

  2. France Joubert
    2 juin 12h25

    Ce qui le perdra….?
    C’est nous qui faisons perdre ceux et celles avec qui nous sommes d’accord!
    Avec Sauvons L’Europe, Forum Poitou-Charentes nous avons organisé avec la participation de Notre Europe (Sofia Fernandez), La Région et le CRIJ-Europe Direct, un débat sur le bilan de l’Agenda Social Européen. Porto 7 et 8 mai. Il nous faut maintenant plus que jamais travailler et penser en temps réel…organiser le dialogue social sur les territoires, pour que tout ce qui émerge, se soulève…ne soit ni récupérer, ni ignorer. C’est pour une part donner du contenu au P’Actes du Pouvoir de Vivre!!
    Amicalement

  3. On peut palabrer sur l’écologie, le social, l’économie, la fiscalité, rien n’avance, je pense même que beaucoup s’accapare de ces sujets pour être dans l’air du temps en ne voulant rien faire évoluer car ce serait contraire aux prérogatives et aux revenus qu’ils ont actuellement.
    C’est vraiment cette hypocrisie, ce manque de volonté pour aller vers une véritable gouvernance européenne avec un véritable président(e), un véritable gouvernemet, etc, etc..
    Je ne cesse de dire

    • suite;
      je ne cesse de dire qu’il faut la faire au départ avec quelques états, les autres suivront, le passé nous sert d’exemple, alors là on pourra parler d’éciologie et de tout le reste car nous serons une véritable nation européenne, on parlera tous avec la même voix.

  4. Yannick Jafot est « marqué à la culotte » par son passé a Greenpeace. Comment prétendre parler pour le peuple quand on connaît les dérives ofiruses de cette association. Un seul exemple : le riz doré. Cénesthésique un riz issu de la recherche (plante génétiquement modifié) qui par sa forte concentration en carotene ( précurseur de la vitamine A) permettra de sauver des millions d’enfants en bas âge d’une cécité assurée ( et donc de toute une vie abomee).
    Mais GreenPeace a dévié que les OGM c’était le démon et d’oppose, avec d’autres ONG, depuis plus de 10 ans ( sur de vues perdues depuis!) a sa diffusion à grande échelle.
    C’est une politique on ne peut plus anti-populaire, mais GreenPeace étant financé par des bobos européens qui ńont pas de carence en vitamine A, il peut surfer sur la vague.
    Abject!

    • Pourriez-vous garder votre calme? Vous êtes inaudible du fait de vos outrances. Et une relecture aurait permis moins de fautes qui vous décrédibilisent aussi.
      Sachez pour votre information que le riz doré est inutile, c’est du pur marketing. En effet, il suffit de manger des légumes pour éviter la carence en vitamine A. Accepteriez vous que vos enfants soient nourris uniquement de riz? Cordialement.

  5. La transition écologique nécessite de réduire notre impact écologique de 80% au moins, et de revoir complètement le système économique mondial, car l’exploitation intensive de la planète ne peut pas cesser tant que le système économique se nourrit de son exploitation. Une grande partie de l’agitation liée au travail ne sert qu’à faire tourner l’économie un peu plus vite.
    Celle-ci crée des inégalités insupportables où des milliards n’ont rien, et quelques milliers possèdent quasiment tout.
    Il faut donner à tous les humains un minimum vital qui permette de vivre sans être obligé de collaborer à la destruction de notre planète.
    https://lejustenecessaire.wordpress.com/2021/03/18/le-rmu-premier-pas-ecologique/
    Il faut revenir à l’essentiel de la vie, nourrir le corps et l’esprit, et mettre un terme à cette obligation de servir l’économie et le capitalisme en particulier. Ce capitalisme néolibéral est responsable d’un écocide, doublé hélas de certains génocides.

  6. Je ne sais pas dire à quoi ça tient, mais une chose est sûre Monsieur Jadot, nous l’aurons le duel Marine Lepen /Emmanuel Macron.

    Autre chose : nous sommes en retard pour les élections via le net. J’ai voté pour vous aux élections des Français de l’étranger, par internet, et je puis vous assurer que mon vote n’a pas été enregistré, le système qui consiste à introduire pour le moins trois numéros de 12 caractères que l’on finit toujours par voir refusés, est tout sauf engageant pour l’avenir.
    Étant dans l’incapacité de me rendre à Lisbonne (mon consulat), jai renoncé…
    Et en 2022, au premier tour je vais me déplacer comme je l’ai fait en 2017 mais face au dilemme redouté au 2ème tour, je resterai chez moi…soyez-en sûr…
    Et comme moi, nous serons des millions…
    A quoi ça tient j’en sais rien, à vous de réfléchir 5 minutes …

    Danielle Foucaut Dinis
    Citoyenne Europeenne en mal de politiques intelligents

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