Selmayr et Barroso : le roi est nu

En deux semaines, le système politique bruxellois est monté au point d’ébullition. En cause, le recasage express du directeur de Cabinet de Jean-Claude Juncker, Martin Selmayr , à la tête de l’administration européenne. Rien qui devrait choquer les habitués à certaines moeurs nationales dans lesquelles le fait d’avoir été directeur de cabinet du chef de l’Etat est un sérieux accélérateur de carrière. Mais là ça ne passe pas. Le Parlement européen y a consacré une séance qui a viré au lynchage public du Commissaire Günther Oettinger. Pourquoi donc?

Bien sur le scandale tient souvent aux détails, en soi secondaires mais qui mettent en valeur les difficultés. Ici, le rocambolesque est roi. Une démission opportune du titulaire du poste convoité, deux promotions successives en un instant de (dé)raison, trois candidats, puis en fait on apprend que deux seulement, dont la seconde était son adjointe et s’est retirée dans les dernières secondes, moins d’un quart d’heure de délibération de la Commission sur ce sujet important… Les différents porte-parole de la Commission s’empêtrent dans une insistance contreproductive que toutes les règles ont été respectées à la lettre. Voici les éléments qui conduisent à une saisine de la médiatrice de l’UE.

Mais ceci n’est que l’étincelle. Une véritable tempête est le résultat d’une énorme accumulation d’énergie. Et le problème ici est la fin de règne de Jean-Claude Juncker. L’écho n’en parvient que très atténué dans les médias nationaux, mais Jean-Claude Juncker arrive usé au bout de son mandat. Physiquement d’abord: il n’a jamais eu la réputation d’un travailleur acharné et le Luxembourg est un tout petit pays. La masse de travail quotidienne à Bruxelles est immense et quelques années ont eu raison de sa résistance. La santé n’est pas de fer, et il doit se défendre avec constance de rumeurs d’alcoolisme. Le moral n’est paraît-il pas excellent non plus pour lui qui voulait inaugurer la première Commission démocratique, qu’il avait baptisée « la Commission de la dernière chance » et qui ne connaît qu’un succès en quart de teinte. Aura-t-il même un successeur élu? Le principe a pris quelques gnons récemment… Bref Jean-Claude Juncker n’apparaît plus guère en public, ne parle plus à la presse, reçoit de moins en moins. Martin Selmayr est le Régent, et le remplace de plus en plus au quotidien.

Et pourquoi pas? C’est l’homme de confiance qu’il s’est choisi. Membre de la CDU allemande, Selmayr a fait toute sa carrière européenne dans les cabinets et jamais en administration. Il a dirigé la campagne électorale victorieuse de Juncker, et a été son bras droit dans la transformation de la Commission. C’est un homme politique qui s’est toujours situé à la charnière avec les techniques. Et c’est là que sa nomination pose problème. Il cumule aujourd’hui la direction de l’administration avec le rôle de Président de la Commission, ce qui finit par poser quelques questions. Et que fera demain le successeur de Juncker face à lui ? Faut-il le voir comme un nouvel Emile Noël qui avait eu à créer les institutions, s’est-il trompé d’époque ? Les institutions et les compétences ne sont plus entièrement à créer, mais à faire fonctionner politiquement. A moins de mettre en place un spoil system à l’américaine, et là encore pourquoi pas? Mais ceci mérite reflexion.

C’est dans ce contexte explosif que réapparaît le fantôme de Barroso. Devenu employé de Goldman Sachs, il avait juré ses grands dieux qu’il ne se livrerait à aucun lobbying. Surprise, il semble que si! L’Ombudsman demande la réouverture du cas et souligne la farce que fut l’enquête. Ici, la similarité des procédés ne peut que sauter aux yeux. Il existe à la tête de la Commission une règle tacite que l’on peut faire un peu ce qu’on veut dans le déroulement des carrières et marcher sur toutes les règles lorsqu’elles sont instituées, ou profiter de ce qu’elles existent à peine. Mais ce n’est pas ainsi que l’on peut construire une démocratie…

 

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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12 Commentaires

  1. Si le Président est affaibli, il semble logique de désigner un SG solide, de confiance et expérimenté (au surplus très pro-européen). En fait, le Président peut surtout s’appuyer sur le VP Timmermans qui remplit parfaitement ce rôle. La conduite irresponsable de nombreux États membres (y compris le RU !) n’est sans doute pas étrangère à la « fatigue » du Président. La concomitance – sans précédent – de comportement nationaux inacceptables doit en effet être assez usante. JGG,

  2. vous m’avez fait peur!
    j’ai cru que l’ « énorme accumulation d’énergie » qualifiait Junker.

    Pendant 10 ans, Barroso fut le courtisan des chefs d’états puissants et l’Europe a sombré dans une cour où les acteurs jouaient pour eux mêmes, comme Barroso!
    Junker représentait un espoir…..qui a fait pschittt!

    Cette « Commission de la dernière chance » est un nouveau temps perdu, entre les avantages acquis de politiques et eurocrates, les casseroles de Junker et son absence de tout dynamisme.(son plan de relance est une plaisanterie)

    Il trouve lui-même cette présidence au-dessus de ses forces, alors que son niveau d’incompétence fut atteint à Luxembourg, paradis fiscal au coeur de l’Europe.
    Il ne pouvait bien entendu pas accepter que le Luxembourg figurât sur la liste des paradis fiscaux.
    Rappelez-moi, les commissaires prêtent bien serment à l’Union Européenne?

    Le prochain président doit se saisir de quelques unes des idées de Macron, bien connaître les arcanes de l’UE, et être un homme d’action.
    Je regrettais que Junker fut préféré à Barnier (Merci Merkel!).

    • Tout cela est bien triste et affaiblit l’institution qui devrait servir d’exemple ? Il y a-t-il encore des politiques honnêtes ?
      A vous de répondre !

      • Lorsque les fonds arrivent par dizaines de milliards d’euros dans des institutions pléthoriques, tenues par des personnages non élus, irresponsables et qui ont pratiquement tout pouvoir et aucun contre-pouvoir, les abus et la corruption s’installent, c’est inévitable…
        Nous avons là la quintessence des dérives de la technocratie, une version moderne de l’ex-URSS, une deuxième hypothétique « union » aussi bureaucratique, qui revendique le libéralisme et le capitalisme contre le communisme que prônait l’autre.
        Elle prétend « libéraliser », mais se contente de « gérer » les pays à grands coups de feuilles de calculs, avec une production exponentielle de recommandations et directives, sans la moindre perspective, sans la moindre vision d’avenir.
        Et pourtant, « gouverner, c’est prévoir ! »…
        Elle prétend renoncer à la « planification », mais ne se prive pas de produire à profusion ces feuilles de routes que sont les GOPÉ (grandes orientations de politique économique) chaque année et pour chaque pays membre.
        Toutes deux sont des monstres qui détruisent les peuples, la démocratie et les nations.
        Toutes deux sont appelées à s’effondrer.
        Pour la première, c’est fait !

        Quant à savoir s’il existe des politiques honnêtes, je pense que oui.
        Mais il faut chercher parmi ceux qui n’ont pas le pouvoir et NE LE VEULENT PAS. Il y a quelques exemples, rares, dans le monde.
        En France, avec la clique politicienne que nous avons, c’est pas gagné.

        • Si la volonté de désinformation n’imprégnait pas votre discours, il serait cocasse de constater qu’un commentateur à la rhétorique de style stalinien invoque l’ex-URSS de manière, semble-t-il, négative.

          Je ne reviens pas sur le détail des FAITS rappelés dans nombre de mes commentaires précédents, à propos de la modestie du budget de l’UE, du mauvais procès consistant à présenter ses institutions comme pléthoriques alors que leurs ressources humaines sont quantités négligeables en comparaison des ministères nationaux, de l’obstination à ne pas admettre que, pas plus que les commissaires européens, les membres des gouvernements ne sont élus DIRECTEMENT pour l’exercice de leurs fonctions… fussent-ils, pour nombre d’entre eux, dans l’un et l’autre cas, en mesure de se prévaloir d’antécédents d’élus dans leurs pays respectifs ou au Parlement européen. Mais, en présence de telles réalités, ce sont des oeillères que vous arborez,.. sans doute pour ne pas courir le risque de constater par vous même l’étendue de votre méprise.

          De même, vous dénoncez la « production exponentielle » de recommandations et de directives. C’est méconnaître que cette activité répond bien souvent aujourd’hui à une invitation expresse émanant des Etats membres. Cette pratique relativise quelque peu le « pouvoir d’initiative » de la Commission… tout en donnant davantage de poids par exemple au Conseil européen auquel l’article 15 du Traité sur l’UE confère la mission de donner à l’Union « les IMPULSIONS nécessaires à son développement » et de « DEFINIR les orientations et les priorités politiques générales »… et les conclusions publiées par le Conseil européen à l’issue de ses réunions périodiques montrent que ce dernier ne se prive pas d’exercer de telles prérogatives.

          Quant à l’absence de perspective ou de vision d’avenir, j’inviterai simplement le lecteur à se reporter aux « communications » que produit régulièrement la Commission pour expliquer ses initiatives ou les mettre précisément « en perspective », non sans une certaine pédagogie. Mais peut-être que vous-même ne les lisez pas ?… ce qui serait fort dommage.

          S’agissant des « GOPE », n’oubliez pas que leur adoption revient au Conseil, la Commission n’ayant qu’une compétence de « recommandation ». Faut-il au surplus déplorer l’existence d’un outil dont la vocation est avant tout de baliser le terrain en vue d’assurer un minimum de cohérence dans les politiques économiques respectives des Etats membres ?

          Quant à l’ « affaire Selmayr », elle peut certes, apparaître « rocambolesque », comme la qualifie l’auteur de l’article.
          Personnellement, je persiste à croire qu’elle est surtout le résultat d’une succession de maladresses qui jette quelque doute sur la sérénité de l’institution. Cela étant, ne connaissant « pas plus que cela » le nouveau Secrétaire général de la Commission – en-dehors de ce qu’en dit la presse – je pense qu’il serait malhonnête de ne pas lui laisser le bénéfice du doute, en attendant qu’il fasse ses preuves à ce poste si redoutable. Pour ma part, je ne peux oublier le remarquable prédécesseur que fut, dans ces fonctions… et il y a bien longtemps…notre compatriote Emile Noël. Mais il est vrai qu’il fut un Secrétaire général fort dans des Commissions fortes. On ne peut en dire autant des Collèges (au demeurant encore pléthoriques, faute d’une application dynamique de l’esprit des Traités, pour ne pas dire de leur lettre: voir l’article 17, paragraphe 5, du Traité UE) qui se sont succédé depuis le début des années 2000.

          Pour ce qui est de « politiques honnêtes », je partage votre point de vue: il en existe. Cela étant, vous laisseriez moins le lecteur sur sa faim si vous précisiez avec un peu plus de détail ce que vous entendez par « mais il faut chercher parmi ceux qui n’ont pas le pouvoir et NE LE VEULENT PAS ». Merci d’avance !

  3. La réponse que j’ai reçue me déçoit, elle contient toutes les généralités et banalités que bien des gens lâchent Sur les réseaux sociaux, qui ne sont finalement pas plus démocratiques que les autres?. Faut-il être ABSOLUMENT élu pour représenter mieux les intérêts des citoyens. Allons, ne prenez pas les autres pour des ignares ? Saluez à mon ami, M. Bobichon, de ma part et dites-lui que je suis déçu que Sauvons l’Europe descende aussi bas ! Je ne vais alors plus le lire ! Je suis dorénavant un lecteur absent ! Quarante ans de travail à la Commission européenne m’auront suffi !

    • Eh ben, il vous aura fallu quarante ans ?!…
      Mais c’est la durée d’une carrière entière !
      En gros, vous lâchez l’affaire après être arrivé à la retraite…
      Ceci dit, je vous comprends, travailler à la commission européenne, ça ne se refuse pas : prestige et opulence combinés…
      Sauf pour ceux qui sont regardants et craignent d’y perdre leur âme, mais ils ne sont pas nombreux.

    • Qu’entendez-vous par « la réponse que j’ai reçue » ? Sauf lecture trop rapide de ma part, je ne vois que celle que vous adressée Ruoma… une fois de plus « hors sujet » et coulée dans le bronze des slogans populistes. « Sauvons l’Europe » fait preuve, au contraire, d’un esprit de transparence et de débat ouvert en publiant ce genre de propos.

  4. Merci de votre réponse sensée ! Pourquoi ce Monsieur Ruoma a-t-il droit dans Sauvons l’Europe de dire de telles méchancetés à l’égard des fonctionnaires européens ? Qu’en sait-il ? J’ai envie de me désabonner de ce site du coup ! Je ne raconterai pas mon parcours mais il est loin de ce qu’il décrit ! A des années lumière ! Passer de vigneron monolingue à interprète de conférence quadrilingue jusqu’à chef d’unité adjoint n’est pas une promenade de santé et le lucre n’était pas mon objectif à la Commission européenne. Comme quoi en France si l’on veut bosser, on peut se faire une place correcte dans la société !

    Merci de m’avoir rassuré mais peut-être pas assez ! Ce site doit rester digne, digne, digne !!!!

    Vous aviez écrit ;
    Qu’entendez-vous par « la réponse que j’ai reçue » ? Sauf lecture trop rapide de ma part, je ne vois que celle que vous adressée Ruoma… une fois de plus « hors sujet » et coulée dans le bronze des slogans populistes.

    • Cher collègue, je comprends votre réaction. Mais je reste persuadé que c’est en argumentant et en attirant l’attention des lecteurs en quête d’authenticité sur la manière dont fonctionnent REELLEMENT les institutions européennes – du reste, sans méconnaître quelques dérapages qu’il faut toutefois qualifier d’ accessoires par rapport au dynamisme de cette patiente construction – que nous parviendrons à maintenir le cap, en dépit des écueils que s’obstinent à dresser des nostalgiques d’un certain poujadisme.

      Je ne suis donc pas choqué par le fait que « Sauvons l’Europe » ouvre ses commentaires à certains « négationnistes » dont les ritournelles finiront bien par éclater au grand jour comme un aveu de démagogie, de désinformation et de suffisance. Il y a quelques mois, nous avons même connu bien pire avec de véritables « trolls » aux propos proches d’un certain extrémisme… et là, « Sauvons l’Europe » a fini par filtrer ces torrents de boue.

      A ce stade, je serais enclin à penser que les sbires de l’UPR – puisque c’est de ce courant que se réclament nos démagogues d’opérette – sont surtout très éloignés d’un « peuple » dont ils prétendent se faire les porte-parole. Ayant, pour ma part, vécu plusieurs années dans une zone HLM de la banlieue parisienne avant de rejoindre Bruxelles et de sillonner aujourd’hui les routes d’une France rurale souvent bien défavorisée, je me sens très à l’aise pour débattre de ce que sont en profondeur les aspirations des populations. L’Europe, au prix de certaines réorientations de fond, représente certainement un cadre judicieux pour préparer le terrain d’un renouveau, même si la perspective n’est pas celle d’un long fleuve tranquille.

      Encore faut-il que ses « Résistants » – dont vous êtes – ne baissent pas les bras et continuent le combat. Aussi, serait-il de la plus haute importance que non seulement vous continuiez de suivre les chroniques du présent site et n’hésitiez pas à agrémenter ce dernier de commentaires éclairés… mais aussi – pourquoi pas ? – à y écrire des articles en écho à votre riche expérience, comme je le comprends à la lumière des quelques mots que vous avez pudiquement écrits au sujet de votre parcours humain et professionnel. C’est ainsi que « Radio Londres » a pu faire pièce à « Radio Paris ».

  5. On connaît très bien le niveau moral de J-C Juncker et donc, il y a de quoi se poser de sérieuses questions sur celui qu’il s’estc hoisi pour successeur.

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