« Ocean Viking » : dérive ou naufrage pour l’Union Européenne ?

A la suite de l’ « opération spéciale » conduite par la Russie sur le sol ukrainien, les projecteurs de l’actualité ont été largement braqués sur les réfugiés fuyant cette invasion. Les tribulations récentes de l’Ocean Viking, le navire de l’ONG « SOS Méditerranée » à bord duquel avaient été recueillis 234 migrants, ont remis en lumière les drames pour lesquels la Mare Nostrum séparant du Nord de l’Afrique le Sud de l’Europe a depuis longtemps payé un lourd tribut.

Dans le cadre de l’UE, ce dernier épisode revêt d’autant plus d’acuité qu’il a illustré des divergences conduisant à un véritable bras de fer entre la France et l’Italie, deux de ses Etats membres. On peut donc légitimement s’interroger sur ce qu’une telle péripétie révèle des politiques migratoires développées au sein de l’Union.

En fait, une telle problématique est loin d’être inédite dans la mesure où elle s’inscrit dans un certain continuum historique, notamment depuis l’aube du 21e siècle, comme nous avons entrepris de le retracer dans ses grandes lignes par le biais de l’annexe ci-jointe.

Dès le 1er novembre, deux ONG – SOS Méditerranée et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge – avaient attiré l’attention sur la situation de l’Ocean Viking. Leur cri d’alarme a été appuyé quelques jours plus tard par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés et l’Organisation internationale des Migrations ainsi qu’une vingtaine d’organisations de la société civile. Face à cette situation ainsi qu’au différend franco-italien, la Commission européenne et le Conseil ont été conduits à s’impliquer dans la résolution de cette question.

Ainsi, tout en soulignant que la désignation de ports sûrs pour débarquer des migrants secourus en mer n’était pas juridiquement de son ressort, la Commission a appelé, le 9 novembre, à procéder immédiatement à ce débarquement et exhorté les Etats membres à travailler ensemble pour trouver une réponse commune, gage d’une gestion efficace des migrations. Aussi, sur son insistance, une réunion extraordinaire s’est tenue le 25 novembre entre les ministres de l’Intérieur des 27. Ces derniers ont endossé un plan d’action d’urgence présenté par la Commission le 21 novembre et comprenant vingt mesures destinées à renforcer la coopération avec des pays comme l’Egypte, la Libye ou la Tunisie, afin de prévenir les départs et accroître les renvois de migrants en situation irrégulière. Le plan d’action prévoit, en outre, une meilleure coordination et un échange d’informations entre Etats et ONG secourant des migrants en mer.

D’une certaine façon, les dysfonctionnements révélés par le drame de l’Ocean Viking amènent à s’interroger plus généralement sur diverses contradictions des politiques européennes. Comme l’a souligné José Manuel Albares, ministre espagnol des Affaires étrangères, « il n’y a pas de solution nationale au phénomène [considéré]. Le cavalier seul, le chacun pour soi, cela ne peut pas marcher. […] L’immigration irrégulière est devenue structurelle et il nous appartient de la gérer tous ensemble ».

Si le vocabulaire de l’angoisse est martelé à longueur de journée, l’accueil ne peut que disparaître

Certains observateurs ont mis en évidence que la crise des migrations pouvait s’analyser surtout comme une crise de l’accueil. On peut s’interroger sur la pertinence du terme, tant certains commentaires politiques vident celui-ci de son sens. Rappelons que le sénateur français RN des Bouches-du-Rhône, Stéphane Ravier, s’est rendu le 16 novembre dans le centre accueillant temporairement les migrants de l’Ocean Viking sur la presqu’île de Giens. Au-delà des propos nauséabonds dont son parti est tristement coutumier, il n’a pas hésité à affirmer que les « clandestins […] étaient au bord de la mer, et non au bord du gouffre !« , sans compter qu’ils avaient « abandonné leurs familles […], ce n’est pas le courage qui les anime (sic) ». Nous n’avons cessé de rappeler, à Sauvons l’Europe, l’influence des champs lexicaux dans la description d’un fait : si des humains sont uniquement des « clandestins », la question migratoire « un problème », si le vocabulaire de l’angoisse est martelé à longueur de journée, l’accueil ne peut que disparaître. Stéphane Ravier a franchi une nouvelle étape dans ce marasme écœurant, accusant des personnes brisées physiquement et psychologiquement de « profiter du confort moderne » plutôt que de rester « dans un pays en guerre ». Au non-sens absolu de ces propos s’ajoute une déshumanisation progressive, à la fois des migrants et, par conséquent, de nous-mêmes.

D’autres analystes se sont interrogés sur la pertinence de l’externalisation du traitement de ces questions, comme l’illustre l’attitude de la Turquie, sollicitée d’y contribuer moyennant finances et disposant à cet égard de moyens de chantage vis-à-vis de l’UE. On sait en outre que la problématique de l’immigration s’est trouvée au cœur des pulsions favorables au Brexit… même si la désinformation sur ce point n’a pas été absente de la campagne ayant conduit au retrait du Royaume-Uni de l’UE. Plus récemment, des Etats membres comme la Hongrie n’ont pas non plus hésité à utiliser la pression migratoire, même minime, pour en faire eux aussi un instrument de chantage propice pour pousser leurs revendications dans d’autres domaines. On pourrait multiplier les exemples illustrant le flou présidant parfois à la gestion du problème à l’échelle de l’Union.

Reste néanmoins une donnée qui peut inviter à la réflexion en considération d’un phénomène institutionnel plus général : il apparaît en effet que, comme la crise sanitaire l’a elle aussi récemment montré, les impasses auxquelles on se heurte au plan national après un sérieux moment de flottement conduisent à se tourner presque « naturellement » vers « Bruxelles » pour imaginer et mettre en œuvre des solutions en mesure de mieux répondre aux événements. En un sens, dans le cas de l’Ocean Viking, on pourrait y déceler un réflexe propre à éviter que le mot « écueil » ne constitue une rime trop riche en regard du terme « accueil »…

[author title= »Solen Menguy & Gérard Vernier »]Animateurs de Sauvons l’Europe[/author]

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

16 Commentaires

  1. Très bon texte, qui cerne parfaitement la question, un grand pourcentage d’Européens ne veulent pas accueillir, pour avoir trop entendu les voix rétrogrades et fascistes annoncer des invasions imaginaires… L’exploitation de certains faits divers choquants, et l’amplitude donnée à tous ces problèmes n’arrangent pas les choses. Quand on sait tout ce que nous avons pris aux peuples du Sud lors de colonisations honteuses, on pourrait essayer, dans les pays riches de mettre en œuvre des programmes, profitables aussi à ces pays, et si l’on pense à la protection de la biosphère en plus de la résolution des problèmes migratoires, on s’aperçoit que l’avenir est ouvert aux idées généreuses et grandioses. Il faudra s’y mettre sous peine de catastrophes énormes pour nos descendants.
    Serons-nous intelligents ????

  2. Nous sommes tous des migrants sur une Terre où nous transitons et que nous ne faisons qu’emprunter aux générations futures. Nos « politocards » sont bien ridicules, dans un avenir proche nous pourrions devenir des migrants à notre tour

  3. Comme toujours la question est mal posée, mal orientée,veut traiter le symptôme et non la maladie, le mal à sa racine!
    UN, la question n’est pas tant l’accueil des immigrés mais quelles sont les raisons qui les poussent à quitter leur pays, leurs racines, ce, ceux qu’ils aiment et risquer la mort pour venir se réfugier chez nous.
    Certains réfugiés quittent leur pays à cause des guerres, des guerres que nous avons faites chez eux, laissé faire, encouragées, voir soutenues, armées. Comme chez les premiers « Boat-people » asiatiques, comme en Irak au nom du premier fake d’Etat de Bush fils (armes de destruction massive), comme en Syrie (le labo de Poutine) comme en Afghanistan (à la recherche de Ben Laden pour venger le 11 Septembre et non pour libérer l’Afghanistan des talibans)…
    Ces personnes quittent aussi leur pays car des multinationales, comme Total en Ouganda, les chassent de leur terre, polluent leurs sols, avec notre complicité, en corrompant, armant des dictateurs que nous-mêmes, souvent, avons mis en place pour défendre nos seuls intérêts et la complicité passive d’ONG, de l’ONU qui se, nous, donnent bonne conscience à coup de sparadraps, qui, temporaires, finissent par devenir définitifs et cautionnent par leur silence les guerres tant qu’elles respectent les règles de bienséance des génocides systémiques !
    Ces personnes quittent aussi leur pays à cause du réchauffement climatique, la sécheresse, la famine, pays, et on le voit rien à la COP27, que nous refusons d’aider, aveuglés par notre géocentrisme égoïste…
    DEUX, plus de réfugiés entrent chez nous par la terre (Biélorussie, Croatie…) que par la mer et nous ne permettons pas à ces réfugiés de rejoindre les pays de leur choix comme les Afghans en GB…
    TROIS notre accueil n’est pas dicté par l’humanitaire mais uniquement par nos intérêts économiques et diverge selon les pays de l’UE, entre ceux, comme la Hongrie, qui érigent des murs à l’Allemagne, réaliste et prévoyante, obligée d’accueillir pour réduire le déficit de sa balance démographique, ou la France de Macron, toujours prête à utiliser pour son profit à court terme, toutes les opportunités se présentant (COVID, Guerre en Ukraine, Crise de l’énergie choisie par l’UE pour passer des oligarques russes aux oligarques US encore plus gourmands…) France qui ne veut, sous des prétextes humanitaires, qu’un accueil rentable pour les actionnaires qui, eux, veulent que l’immigration soit une variable d’ajustement, pour permettre au patronat de continuer à embaucher sans augmenter le SMIG, et perpétuer des conditions indignes de travail (restauration,TP, services…). Cette moralisation politique de l’immigration entre « bons » immigrés et « méchants » est scandaleuse, obscène, rappelle celle de Bush junior entre « forces du bien », les intérêts du capitalisme américain, sa volonté d’hégémonie mondialiste, et « forces du mal » celles qui s’y opposent.
    CONCLUSION: Tant que nous continueront, UE comprise, à faire ailleurs tout ce que nous interdisons chez nous, à piller les pays émergents sans combattre leurs dictateurs, à repousser la « poussière » hors de nos frontières, rien ne changera, et nous pourrons continuer à nous servir des immigrés comme boucs-émissaires, pour justifier notre politique intérieure et extérieure hypocrite et prédatrice qui va dans le mur. Le monde et l’UE ne pourront changer qu’avec une plus juste répartition des richesses, un contrôle par les politiciens de ceux qui s’enrichissent de la misère des autres.
    En 2019, la moitié des européens n’ont pas voté pour leurs représentants, dégoûtés, sans illusions, sur leur pouvoir d’améliorer quoi que ce soit. Un des rares référendums n’a même pas été respecté, c’est peu dire de la grande estime du pouvoir du peuple, et bien loin est le temps des référendums. L’UE n’est que le petit entre-soi d’une élite corrompue par des lobbys, qui refusent toute information transparente sur leurs pratiques au nom du droit des affaires bien au-dessus du bien commun (Vaccins, pesticides…), une foire où, derrière les « grands mots », les blablas de l’emballage idéologique, chaque maquignon essaie de tirer la couverture à soi…Changeons d’UE, plus véritablement sociale, démocratique, écologique, il y a urgence paraît-il !

    • Je ne suis pas si sûr que les élites européennes soient corrompues. Ama, elles sont plus complices des lobbyistes dont elles partagent largement les points de vue…(si ce ne sont pas les profits !? Les pertes : pouvoirs d’achat, biodiversité, emploi, santé etc étant réservées aux autres, les riens et ceux qui votent encore !)

  4. Je l’ai déjà dit : Le ravier c’est ce qui reste collé sous ta pompe une fois que tu as marché dans la merde….
    Effectivement, en France on ne sait plus où mettre les pieds… D’un côté y’a Zemmour, de l’autre y’a Maruine…. Tous les fumiers fils de fachos nostalgiques de la grandeur de la France… Le bon vieux temps du napalm et de la gégène…
    Pendant que ces vieilles merdes continuent à pourrir l’Europe, effectivement la France disparaît.

    • ah zut… j’ai un truc qui colle sous ma pompe…. ça aurait pu être de la merde… mais non c’est pire… c’est une pauvre merde d’identitaire de France… Voire un militaire

      • Maruine ou Zemmour…. Ca ose parler d’identité….
        et ça suce du Qanon….
        Qanon… C’est juste une marque de photocopieuse.
        En terme de qualité, il n’y a toujours qu’un original….
        Ah on peut leur faire confiance à ces merdes pour garantir votre identité.

  5. Bonjour.

    Oui, en effet, il faut se poser la question, pourquoi il y a migrants ?
    Je ne parle bien sûr de ceux qui viennent chez nous parce qu’ils n’ont pas le choix, parce que c’est souvent une question de vie ou de mort pour eux ou leurs proches.
    Quand ils arrivent chez nous, ils faut également se poser la question de la politique d’accueil que nous voulons mettre en place pour leur bien être et le nôtre.
    On favorise et on alimente tous les maux de notre société actuelle en ne répondant pas à ces deux questions (il y en a s’en doute d’autres).
    Ma réponse à ces deux questions pour ma part consiste à revoir le mode de répartition des richesses, il est amoral de nos jours qu’une minorités de nantis au niveau mondial se les aient accaparés ?
    Concernant l’accueil et l’accompagnement, c’est un véritable désastre, ce constat est de plus la source principale de l’insécurité grandissante, elle gangrène de plus en plus nos vies, elle nous fait prendre un grand risque pour le bien vivre ensemble.
    Depuis des millénaires, on a vécu sur le modèle des dominants et des dominés, faut-il indéfiniment continuer ainsi alors que les progrès dans de nombreux domaines devraient nous permettre d’avoir un nouveau modèle de société, plus juste et équitable.

  6. Si l’on souhaite élargir le débat, c’est avec profit (intellectuel) que l’on peut se reporter à l’excellent essai que l’historien et démographe Hervé Le Bras a publié en mars dernier chez Grasset sous le titre « Il n’y a pas de grand remplacement »… une manière de répondre à des théories fumeuses que certains idéologues en mal de reconnaissance, sinon de notoriété, cherchent à accréditer.

    • Oh si il y a un grand remplacement….. Oui mais lequel ? Vous avez le choix Mr Vernier….
      Entre celui de Trump, de Putin, de Qanon, de Marine, de Zemmour, du Qatar qui vient d’acheter l’Europe et la coupe du monde….
      Ils sont tous a votre porte…
      La sélection à commencé Mr Vernier…. Ils choisiront pour vous…. Ils sélectionneront pour vous…. Ne vous y trompez pas….
      Voila le péril d’un esprit libre et indépendant…. C’est cela le grand remplacement…. Les esprits libres et indépendants… on les remplace par de la merde.

      • J’ai l’impression qu’il y a un léger malentendu.

        Hervé Le Bras, en bon démographe et historien, se réfère à la prétendue « invasion » en provenance des pays en développement.(d’où le lien de mon commentaire avec l’article consacré à l’errance de l’ « Ocean Viking »)… et les « théories fumeuses » auxquelles j’ai fait allusion concernent précisément l’idéologie que tentent d’accréditer les personnes que vous citez.

        Alors, j’ignore si les loups, à défaut d’entrer dans Paris… sont déjà à ma porte – à Bruxelles ou dans le Nord de la France. Mais, ayant lu les aventures des trois petits cochons, je ne désespère pas de l’accueil « chaleureux » que, dans la maison de pierre, il est possible de réserver à ces canidés sauvages croyant astucieux de s’introduire par la cheminée…

        • Magnifique réponse… comme d’habitude…. Vous gardez la foi… et vous avez conscience du danger…. des dangers….
          Alors ne perdons jamais la tolérance ou l’humanité…
          C’est ça l’Europe…
          Pour autant certains lui demandent des comptes car elle est loin d’être exempte de reproches.
          Cette tolérance et cette humanité ont parfois fait cruellement défaut.
          Crier au loup… Oui… Mais quand le Loup c’est vous… et quand le Loup ça devient Monsieur tout le Monde…Homo Homini Lupus…
          Vous avez grandement raison de garder foi en l’homme car il est capable de mieux.

    • qu’il fasse déjà les choses bien…. ce sera déjà beaucoup…. et nous en sommes vraiment très loin…. du fait, il est déjà dans l’obligation de faire mieux que toute la merde qu’il a semé précédemment en pensant faire bien… On peut tourner autour des mots si vous voulez.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également