Les Sociaux-Démocrates rempilent au Danemark

Il ne s’agit certes pas stricto sensu d’un triomphe mais les Sociaux-Démocrates danois ont tout de même de bonnes raisons de se montrer très satisfaits de l’issue du scrutin de dimanche dernier. Et pourtant, la partie était loin d’être gagnée d’avance du fait de la polémique concernant l’abattage des visons qui avait fortement écorné la popularité de la Première Ministre Mette Frederikssen. Les faits remontent à décembre 2020 lorsque le gouvernement avait exigé l’euthanasie de millions de visons d’élevage après que ces derniers eussent été soupçonné de jouer un rôle dans la propagation d’une nouvelle souche de Coronavirus. Or, après de multiples plaintes d’agriculteurs ayant subi la perte de leurs élevages , les tribunaux avaient estimé cette mesure illégale et excessive et le gouvernement a dû s’excuser. Suite à ces évènements, les alliés Socio-Libéraux de Frederikssen ont alors exigé la dissolution du Parlement en menaçant la Première Ministre d’une motion de censure si elle n’acceptait pas la tenue d’élections anticipées.

Le meilleur score des Sociaux-Démocrates depuis 21 ans

Au final, cette affaire n’aura joué qu’un rôle très mineur dans une campagne qui s’est surtout déroulée en mettant l’accent sur les dossiers économiques et sociaux, notamment l’inflation, la crise énergétique et la santé. Et l’épisode regrettable des visons n’aura pas suffi à faire oublier que les Danois avaient jugé globalement bonne la gestion de l’ensemble de la crise du Coronavirus par le gouvernement sortant. En obtenant 27.5% et 50 sièges, les Sociaux-Démocrates enregistrent ainsi leur meilleur résultat depuis 21 ans, ce qui n’est pas négligeable dans un contexte d’émiettement de plus en plus important des forces politiques.
D’une certaine façon, les Sociaux-Démocrates danois constituent une sorte d’ovni dans le paysage de la social-démocratie en Europe Occidentale. Ayant fait de la reconquête des classes populaires leur priorité absolue, ils ont opté pour une stratégie originale en rejetant pour ainsi dire à la fois le gauchisme culturel et le social libéralisme. En pratique, ce positionnement s’est traduit par un retour aux fondamentaux de la social-démocratie sur le plan économique couplée à une défiance prononcée vis à vis du multiculturalisme. Leurs mesures, notamment sur l’immigration, ont parfois choqué. Il est vrai qu’elles sont dures, sans doute trop dures avec en particulier la mesure très radicale de la sous-traitance des demandes d’asile vers le Rwanda qui me semble franchir la ligne rouge de ce qui est acceptable pour un mouvement progressiste. Mais force est de constater que l’extrême droite, encore très puissante dans le pays il y a une dizaine d’années, est aujourd’hui revenue à un niveau supportable. Au bord de l’effondrement, le Parti populaire danois a certes été concurrencé par deux autres partis qui ont progressé mais l’ensemble des partis d’extrême droite reste contenu en dessous de 15%, quand le parti populaire était à lui seul au-dessus des 20% en 2015. Sur un plan strictement sociologique et électoral, les Sociaux-Démocrates sont donc bien parvenus à arracher une partie de l’électorat populaire à l’extrême droite. A charge maintenant de conserver l’esprit d’un modèle d’intégration exigeant et assimilationniste tout en gommant les excès d’une politique migratoire trop radicale.
Il n’en demeure pas moins que l’incapacité de la droite à attaquer Frederikssen sur la question migratoire aura eu pour conséquence la quasi absence de ces thématiques au profit des questions économiques et sociales. Ce qui a sans doute grandement aidé le bloc de gauche à obtenir cette majorité qui semblait pourtant illusoire durant toute la campagne et même encore au début de la soirée électorale. En effet, le bilan social et environnemental du gouvernement sortant est plutôt bon. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’à l’instar de ce qui s’est passé en Suède, on a assisté au scénario nordique classique avec un gain des Sociaux-Démocrates à la fois sur leurs partenaires Sociaux-Libéraux et sur la gauche radicale, la gauche écologiste restant stable pour sa part.

La social-démocratie revendique de ne plus gouverner seule

Principaux adversaires des Sociaux-Démocrates sur le plan historique, les Libéraux du Venstre se sont effondrés, en grande partie victimes de la concurrence du nouveau parti des Modérés fondé par l’ancien Premier Ministre libéral Lars Rasmussen. Ce dernier avait créé la surprise en refusant de s’inscrire dans l’un des deux blocs. L’objectif de Rasmussen – celui de devenir le faiseur de roi – est évidemment caduque de par la majorité obtenue par le bloc rouge mais son éventuelle entrée au gouvernement demeure d’actualité car elle permettrait éventuellement à Mette Frederikssen d’élargir une majorité qui, si elle s’appuie uniquement sur la gauche, sera extrêmement ténue.
Comme on peut donc le constater, s’il semble certain que Frederikssen restera à la tête du gouvernement, les contours de ce dernier sont à ce stade encore assez vagues. Même si on sait que les Sociaux-Démocrates ne veulent plus gouverner seuls et le prochain gouvernement sera donc une coalition. Aller au-delà de la logique des blocs constituerait sans aucun doute le scénario préféré de Frederikssen.
Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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7 Commentaires

  1. Le projet concernant le Rwanda me fait penser au plan de Madagascar proposé dans les années 30 pour se débarrasser des immigrants juifs. Il s’agit aussi de payer Kagamé pour se débarrasser d’indésirables. Ceux qui ont le mauvais goût de le critiquer sont bien sûr des « gauchistes ». Je ne voit pas en quoi il y a lieu de saluer la victoire de ce genre de gouvernement comme vous le faîtes. Contrairement a ce que vous écrivez l’étiquette de social libéralisme s’applique très bien lui.

  2. En fait si on suit ce type de raisonnement qui est la realte des droites dites moderees pour gagner les votes populaires et reduire la droite neo fasciste il faut retablir la peine de mort, les camps de toute nature, poursuivre les discriminations et bailloner la presse qui ne pense pas comme Hanouna. Belle lecon de confusianisme et de derive identitaire pour garder un pouvoir qui prend des mesures neo liberales avec un zeste de social. On peut meme penser que Darmnin est devenu gauchiste avec son projet de loi sur l immigration !

  3. Je suis tout à fait d’accord avec le commentaire de JP Doguet.
    Qu’y a-t-il donc à louer le succès finalement modéré d’un parti qui se dit de gauche, c’est à dire ici qui promet un soutien aux couches sociales faibles, ce que devrait faire tout gouvernement démocratique en réalité, mais qui pratique une politique de racisme et d’exclusion des réfugiés ?
    N’était ce pas le programme des nazis avant la guerre ?

  4. Pour moi, les mots « intégration assimilationniste » constituent un oxymore. La politique de la social-démocratie danoise vis-à-vis de l’immigration reste inacceptable, point barre ! Si c’est le prix à payer pour la gauche pour rester au pouvoir, elle ne s’appelle plus la gauche !

  5. Bonjour.

    J’ai lu et relu cet article, je ne vois pas quand le rédacteur salut la victoire de ce gouvernement.
    Il ne fait que constater ce qui s’est passé, en expliquant le pourquoi et le comment.
    Par contre, que dans nos commentaires nous ne supportions pas cette dérive raciste, d’exclusion des réfugiés avec des pratiques inadmissibles, que nous ne pouvons et que nous ne devons ne pas les admettre, est incontestable.
    Cet article me semble très inquiétant, il nous montre les dérives actuelles de notre société, pour contrer des partis d’extrême droite, on n’hésite pas à les copier dans certains domaines pour leurs couper l’herbe sous les pieds ?
    Rien n’est fait pour lutter efficacement contre l’insécurité, on ne s’attaque pas aux racines du mal, on les occultent, c’est la persistance de cette insécurité qui a de très fortes chances de porter atteinte à nos institutions, en France et s’en doute en Europe..

  6. Il me semblait que le Danemark avait toujours eu un gouvernement de diverses coalitions depuis le début du XXème siècle ? Donc celui-ci n’a rien de nouveau.
    Le Danemark est aussi un pays qui a toujours encouragé l’immigration à condition qu’elle corresponde aux besoins de ses entreprises. En cela, le pays ne fait qu’adopter une attitude générale des pays occidentaux, quel qu’ils soient …

    • Non le Danemark n’a jamais pratiqué ce genre de politique d’immigration d’aillleurs tres difficile à mettre en œuvre car en réalité on ne connaît pas très longtemps à l’avance les besoins des entreprises. Et l’immigration est aussi fonction d’une demande des immigrants pas seulement d’une offre des entreprises. Le Danemark comme la Suede a traditionnellement accueilli surtout des réfugiés. Ce n’est pas comme l’Allemagne ou la France qui historiquement ont fait massivement appel à l’immigration pour leur développement économique.

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