La Pologne enfin de retour au cœur de l’Europe

En ce début d’automne, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Deux semaines auparavant, les pro-Européens et les progressistes de tout le continent avaient assisté avec une grande tristesse et un certain désarroi à la victoire du revenant populiste Robert Fico en Slovaquie. Ce dernier n’avait d’ailleurs guère perdu de temps avant d’annoncer une coalition avec les néo-fascistes de SNS ainsi que, malheureusement, les Sociaux Démocrates du HLAS-SD qui, au même titre que le SMER-SD de Fico, ont donc fort logiquement été suspendus du PSE suite à cet accord. Par un étrange renversement des choses, c’est la perspective de l’arrivée au pouvoir d’un membre du PPE, le libéral conservateur Donald Tusk, qui arrache aujourd’hui un sourire aux progressistes. Même si en réalité, ce n’est évidemment pas tant la victoire de Tusk qui nous fait plaisir que ce qu’elle implique, c’est-à-dire la fin du règne cauchemardesque de l’extrême droite du PIS.

La fin d’une politique profondément réactionnaire

A l’instar de Viktor Orban en Hongrie, le PIS avait ainsi instauré une véritable chape de plomb sur le pays tout entier. Par un mimétisme inquiétant, lui aussi s’était mis au ban de l’Union et attiré les foudres de Bruxelles avec une réforme inique de la justice. Lui aussi avait sombré dans un complotisme inquiétant et repris le discours anti LGBT des pires réactionnaires du continent. Non seulement en paroles mais également, et surtout, en actes puisque des villes dirigées par le PIS s’étaient déclarées de manière assez ignoble « villes libérées de l’idéologie LGBT ». Sur certains aspects, le PIS était même allé encore plus loin que le Fidesz, notamment en ce qui concerne un droit à l’avortement réduit à sa plus simple expression en Pologne avec une interdiction quasi générale sauf rares exceptions. De fait, la loi anti-avortement aura ainsi abouti au décès par septicémie de six femmes forcées de mener à terme des grossesses alors que les chances de survie du fœtus étaient inexistantes. Même sur un sujet comme l’Ukraine où le PIS avait au moins le mérite de se distinguer de son cousin Hongrois, celui-ci avait fini par rétropédaler sur fond de crise céréalière en gelant toute fourniture d’armes à son voisin meurtri par la guerre.

La coalition dirigée par le PIS obtient donc environ 35% des voix, ce qui constitue un recul important de plus de huit points. Compte tenu de son relatif isolement – seule l’alliance ultra-nationaliste et néo-fasciste de Confédération serait disposée à gouverner avec eux -, la faiblesse de ce score signe l’arrêt de mort du gouvernement Morawiecki. Le PIS est la principale victime d’une hausse spectaculaire de la participation, 13 points de plus qu’en 2019. Or, les personnes qui n’avaient pas voté en 2019 mais l’ont fait cette année ont choisi les partis d’opposition à plus de 50%, contre moins de 15% pour le PIS. Ce dernier subit également de plein fouet la grande mobilisation de la jeunesse polonaise qui s’est également massivement prononcée contre lui. Autre fait notable et potentiellement encore plus fatal: le PIS perd près de 10 points dans les zones rurales, passant de 56% à 47% dans ce qui constitue traditionnellement le cœur de son électorat. C’est ce qui fait toute la différence avec le Fidesz en Hongrie qui, bien que moins fort dans la capitale, peut toujours compter sur des scores écrasants dans les campagnes.

Une coalisation unie contre le PIS

De plus et contrairement à ce qui s’est passé en Hongrie, l’opposition n’a pas tenté de bâtir une coalition condamnée d’avance à être forcément trop hétéroclite, ce qui aurait fatalement entrainé une déperdition en voix. Il était beaucoup plus intelligent, à contrario, de former trois alliances davantage cohérentes : l’une libérale conservatrice, autour de la plateforme civique de M.Tusk; une seconde, libérale et agrarienne ; une troisième, nettement plus ancrée à gauche avec les socialistes de Lewica. Naturellement, ces différentes forces auront évité de s’attaquer entre elles durant la campagne, réservant leurs coups au seul PIS. Ainsi pouvait on espérer que chacun maximalise son propre électorat.

Donald Tusk sort en grand vainqueur

Le grand vainqueur, y compris à l’intérieur de l’opposition, sera néanmoins bien la Coalition civique, et, au sein de celle-ci, le propre parti de Donald Tusk, la Plateforme Civique. Celui-ci gagne à lui seul plus de vingt sièges dans la nouvelle Assemblée. On pourrait s’étonner de cet excellent résultat compte tenu du fait que Donald Tusk aura été la cible d’une campagne de calomnie et de dénigrement assez massive de la part du PIS, ce dernier l’accusant d’être à la fois un agent russe et un suppôt de Berlin. Mais on peut également imaginer que ces attaques lui auront été finalement bénéfiques, en cristallisant autour de sa personne un maximum d’électeurs désireux de se débarrasser du PIS. L’autre grande gagnante de ces élections aura été la coalition Troisième voix, d’approche chrétienne démocrate avec une forte sensibilité agrarienne et plutôt de centre droit, bien que possédant de nombreuses nuances en son sein. En obtenant plus de 14%, cette alliance sera donc une force incontournable du prochain gouvernement.

En revanche, avec seulement 8,6% des voix, l’alliance de gauche enregistre une contre-performance qui laisse un goût amer. Sans doute aura t-elle été victime d’un réflexe de « vote utile » en faveur de la coalition de Donald Tusk puisque près d’un électeur sur quatre parmi ceux qui avaient voté à gauche en 2019 se seront cette fois dirigés vers la Coalition Civique. La gauche s’est montrée incapable de réaliser des percées en dehors de son électorat traditionnel de Silésie et a perdu des plumes dans les grandes métropoles aux dépens des deux autres forces majeures de l’opposition. Elle se retrouve ainsi dans une situation difficile où il faudra se reconstruire tout en participant à un gouvernement qui ne correspondra pas exactement à ses vues, à tout le moins sur le plan économique et social.

Enfin, il faut noter avec une certaine satisfaction le score relativement décevant de l’extrême droite ultra-nationaliste. Certes, Confédération gagne quelques sièges mais termine loin de ce que lui laissaient entrevoir les sondages. Une source d’inquiétude malgré tout : Confédération réalise de bons scores dans le segment le plus jeune de l’électorat ce qui tendrait à démontrer que même si elle est moins nombreuse proportionnellement qu’en 2019, la jeunesse d’extrême droite s’est radicalisée en allant du PIS vers Confédération.

Que va t-il se passer maintenant ?

Bien qu’il soit évident que le PIS ait perdu le pouvoir et que l’opposition soit majoritaire, rien n’interdit au Président Duda de demander en premier à Morawiecki d’essayer de former un gouvernement. Nul doute qu’il va le faire, en prétextant que son devoir lui commande de laisser le premier essai à la force arrivée en tête, même sans aucune perspective de réussite. Le Président démontrera ainsi qu’il demeure une force politique avec laquelle il faudra compter, y compris après la formation du gouvernement puisqu’il dispose d’un droit de veto que l’opposition ne peut lever qu’à la majorité des 3/5e, marge dont elle ne dispose pas. La tâche du futur gouvernement Tusk ne s’annonce donc pas facile car en plus d’une coalition composée de nombreux partis qu’il faudra gérer au quotidien, le futur Premier Ministre devra également négocier avec le Président sur chaque projet de loi. Sans oublier le pouvoir de nomination de ce dernier, notamment à la Cour Suprême, institution clé dominée par les ultra-conservateurs depuis la manœuvre du PIS qui avait baissé l’âge de la retraite des juges pour forcer le départ des plus progressistes et accélérer ainsi leur remplacement.

Néanmoins, la coalition gouvernementale ne devra pas mettre trop de temps avant de devenir opérationnelle tant il est urgent de rompre avec les pratiques passées et d’ancrer à nouveau la Pologne au cœur de l’Etat de droit. Mais même s’il sera a priori possible de s’entendre sur les sujets sociétaux et européens, les différences en matière de plateforme économique et sociale restent importantes. Il ne faut pas oublier que le premier mandat de Donald Tusk avait été marqué par une politique économique d’approche néolibérale et que les excès de celle-ci n’avaient sans doute pas été pour rien dans l’arrivée au pouvoir d’un PIS plus étatiste et populiste. On sait à quel point l’extrême droite raffole du clivage entre libéralisme et nationalisme. C’est dans cette optique que la gauche aura, malgré son score décevant, un rôle important à jouer pour donner une coloration sociale-démocrate au futur gouvernement. Avec le risque, en cas d’échec, de voir le PIS revenir aux commandes de façon prématurée…

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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5 Commentaires

  1. C’est certes une bonne nouvelle de s’être débarrassé du PIS mais une Pologne en train de s’armer jusqu’au dents ( 10 milliards d’investissement en matériel de guerre américaine et coréen , surtout pas européen),devenue la super base militaire US en Europe, désormais aux ordres de Bruxelles et des USA , ( Bruxelles n’étant d’ailleurs qu’un relai du protectorat américain qu’est devenue l’UE avec VDL , notre pro-consul américaine , corrompue jusqu’au trognon, a sa tête), tout cela ne présage pas d’un avenir radieux et pacifique pour l’Europe. A quand des partis élus dans nos pays avec pour premiers slogans; No NATO, No War ! US go home !
    Et qu’on n’aille pas nous faire le faire le coup de Poutine menaçant la Pologne et voulant conquérir l’Europe,
    Cela ne prend plus … La triste réalité c’est qu’actuellement socio-democrate en Europe signifie toujours plus d’Amerique en Europe et donc toujours plus de guerre…

  2. Bonjour Mr ROBUMP21.

    100% d’accord, l’UE soufre d’un déficit de démocratie et de gouvernance, mes divers commentaires passés ne cessent de dénoncer cet état de fait.

    A cause de cela, s’engouffrent la corruption, la cupidité, la soif malsaine de pouvoir de certain, la vanité qui nous rend ridicule, la vassalité envers une nation qui ne regarde que son propre intérêt.

    Oui, nous devons être reconnaissant aux Yankees qui sont morts pour la FRANCE, cela ne nous rend pas éternellement dépendant d’eux, le Général de Gaulle l’avait bien compris.

    • En effet, le sacrifice des « boys » d’Outre-Atlantique à un moment donné de l’Histoire ne doit pas avoir pour effet d’induire une vassalité ad vitam aeternam.
      Cela dit, comme vous commencez, cher Mylord, à connaître mes propres positions sur une construction européenne qui mériterait d’être peaufinée … mais en laissant, par réalisme, encore un peu de temps au temps – selon la formule rendue célèbre par un homme politique dont j’ai grandement admiré la finesse – vous ne serez guère étonné que, pour ma part, je n’adhère pas à 100% à une sorte de « récitation » bien apprise et déclamée par un certain « Robump ». Ce dernier a-t-il, du reste, conscience que cette marque d’identité constitue une rime intéressante avec le patronyme d’un célèbre « Yankee » contemporain connu sous le nom de… Trump ?

  3. Merci Sébastien pour cette bonne analyse d’une situation heureuse, presque inespérée. Bon courage maintenant à la coalition susceptible de remplacer le PIS, dont la tâche ne sera pas facile

  4. Irait-on jusqu’à se réjouir de ce que « Bruxelles » soit désormais abrité des « débordements » du « Manichéen Pis » ?
    Reste néanmoins l’autre hypothèque: la malédiction « Orban et Forban » qui pèse toujours sur la Hongrie…

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