Isabelle Boudineau : les régions, chaînon manquant pour faire de la politique européenne des transports un succès

Les Européens font face à une augmentation sans précédent du prix de l’essence. L’Union européenne a le plus grand mal à organiser un système fiable d’importations des matières premières indispensables à son économie depuis l’Ukraine. La crise climatique s’est déchaînée cet été, notamment en Gironde, et nous oblige à accélérer la transition écologique. Les vallées pyrénéennes et alpines suffoquent en raison de l’afflux ininterrompu de camions de marchandises. Nos villes sont toujours plus embouteillées avec une qualité de l’air qui s’en ressent et un espace public monopolisé par la voiture. Face à tous ces défis, l’Union européenne doit agir, dans de multiples domaines. Il existe cependant un secteur – les transports – qui peut apporter de nombreuses réponses à ces défis. Il existe une politique – celle des réseaux transeuropéens de transports – qui apporte une véritable valeur ajoutée européenne à l’action de l’Union. Et il y a des acteurs, les régions européennes, qui peuvent faire en sorte de connecter tout cela avec le quotidien des Européens.

Que sont les réseaux transeuropéens de transports (RTE-T) ? Les réseaux transeuropéens de transport sont la politique stratégique de la Commission européenne qui, avec son bras armé, le Mécanisme d’interconnexion européenne (MIE), doté d’un budget de 25,81 milliards d’euros sur 7 ans (2021-2027) pour les transports, vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre du système de transports européen. Les RTE-T visent également à garantir la multimodalité et l’interopérabilité entre les différents modes de transports, notamment en intégrant mieux les nœuds urbains dans le réseau et en supprimant les goulots d’étranglement, à accroître la résilience du système de transport face au changement climatique, aux guerres ou aux catastrophes naturelles et à renforcer la gouvernance. Concrètement, cela veut dire que les RTE-T soutiennent le report modal depuis les modes les plus polluants (avion, route) vers les plus sobres (le rail et le maritime) et qu’ils devraient mieux inclure les autorités régionales dans la gouvernance de la politique des transports en Europe.

Les réseaux transeuropéens de transport sont ainsi à la fois un enjeu de cohésion territoriale, un moyen, pour l’Union européenne, d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 mais aussi, de manière plus récente, un instrument pour renforcer la résilience du continent face aux crises multiples qu’il affronte.

Si le billet de cinquante euros est orné de l’image d’un pont, ce n’est pas un hasard. L’idée de « jeter un pont » par-delà les frontières a toujours été au cœur du projet européen. La politique des réseaux transeuropéens de transport fait littéralement cela : elle construit des ponts ou, de plus en plus souvent aujourd’hui, des tunnels, pour dépasser les frontières et relier entre eux des territoires qui seraient restés périphériques, enfermés dans leur propre pays, et qui deviennent plus centraux quand la frontière n’est plus une barrière mais devient une opportunité.

En ces temps de crises, la politique des réseaux transeuropéens apporte donc de la cohésion au continent européen. Par exemple, les Pyrénées restent la frontière terrestre française la plus difficile à franchir. Malgré la saturation des couloirs littoraux atlantique et méditerranéen, les projets de traversée ferroviaire à grande vitesse du massif montagneux progressent peu. Face au désengagement de l’État, en Espagne comme en France, un engagement croissant des régions et de l’Union européenne via les RTE-T peut nous donner de l’espoir pour aller plus loin dans l’interconnexion de nos territoires.

La cohésion territoriale est l’un des objectifs premiers des réseaux transeuropéens de transport, en garantissant l’accessibilité et la connectivité de toutes les régions de l’Union européenne, notamment les régions périphériques ou ultrapériphériques. Cette connectivité est aussi un facteur de développement économique et de compétitivité. En Nouvelle-Aquitaine, les investissements au titre du MIE articulent ces deux objectifs avec, par exemple, les programmes d’études en vue de la réouverture de la ligne ferroviaire transfrontalière franco-espagnole entre Pau et Saragosse (7,3 millions d’euros et 2,7 millions d’euros de financements européens) ; la mise à niveau de la connexion ferroviaire avec le port de Bordeaux (3,6 millions d’euros de financements européens) pour l’attractivité économique ; la modernisation de la ligne de fret ferroviaire Bordeaux-Dax – section Morcenx-Dax (8,4 millions d’euros de financements européens) ; les études relatives au désengorgement du nœud ferroviaire au sud de Bordeaux (8,17 millions d’euros de financements européens) dans le cadre des Améliorations Ferroviaires du Sud de Bordeaux (AFSB) et en lien avec le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO).

Au-delà des externalités positives que ces nouvelles connexions, notamment transfrontalières, permettent d’un point de vue économique ou de cohésion, la politique des RTE-T permet surtout de soutenir les efforts de l’Union européenne pour ralentir le changement climatique tout en améliorant la qualité de vie des habitants. Dans le domaine des transports, le Pacte vert pour l’Europe appelle à une réduction de 90% des émissions de gaz à effet de serre provenant des transports pour atteindre la neutralité carbone. Et, sans réseaux transeuropéens de transports, il n’y a pas de report modal du transport routier – et de toutes ses externalités négatives en termes de pollution, de congestion et d’accidents – vers des modes plus vertueux comme le ferroviaire. La réduction, via le report modal, des coûts externes sur la période 2021-2050 est estimée en Europe à 387 millions d’euros pour le CO², 420 millions d’euros pour la pollution atmosphérique, 3,9 milliards d’euros pour les accidents de la route et 2,9 milliards d’euros pour la congestion routière interurbaine.

Les réseaux transeuropéens de transport offrent, en outre, de plus en plus, avec les trains à grande vitesse ou les trains de nuits, une alternative à l’avion ce qui explique que le Mécanisme d’interconnexion européenne (MIE) consacre une très large part de ses fonds au développement du rail, notamment à la grande vitesse.

Enfin, avec les réseaux transeuropéens de transport, l’Union européenne vise à renforcer la résilience du continent face aux crises. Lors de la crise de COVID-19 et la fermeture des frontières nationales, ce sont les corridors verts, adossés sur les infrastructures RTE-T, qui ont permis aux Etats membres de continuer à échanger des biens et éviter la rupture de stock. Aujourd’hui, ce sont les interconnexions transfrontalières avec l’Ukraine que la Commission européenne souhaite renforcer pour organiser le transfert des marchandises et des matières bloquées en Ukraine et indispensables à l’économie européenne.

Loin d’être une politique technique, la politique des réseaux transeuropéens est donc une politique vitale à l’avenir de l’Union européenne. Pour cette raison, il est indispensable que les régions soient parties prenantes de la gouvernance de cette politique. Ce sont elles, en effet, qui ont le pouvoir de connecter l’ensemble des citoyens européens, dans leurs montagnes, dans leurs villages, leurs villes ou sur le littoral, à cette promesse de liberté de mouvement offerte par l’Union européenne. Ce sont encore elles qui peuvent connecter ces grands corridors européens à la mobilité du quotidien pour faire en sorte que chaque jour, du premier au dernier kilomètre, chaque citoyen européen ait l’opportunité de faire le choix d’une mobilité plus sobre qui préserve l’avenir de nos enfants.

[author title= »Isabelle Boudineau » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2022/10/Isabelle-Boudineau.jpg »]Isabelle Boudineau est conseillère régionale de Nouvelle Aquitaine et membre du Comité européen des régions (PSE), pour Sauvons l’Europe[/author]

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7 Commentaires

  1. « le Mécanisme d’interconnexion européenne (MIE) consacre une très large part de ses fonds au développement du rail, notamment à la grande vitesse. »
    Pourquoi la grande vitesse ? Ce qui manque surtout, me semble-t-il, ce sont des transports en commun publics fiables et réguliers entre les villages, petites et moyennes villes et la connexion de ces dernières avec les grandes métropoles. Il manque aussi de grands axes ferroviaires pour le transport des marchandises dans toute l’Europe et pas seulement avec l’Ukraine !. Est-ce que tout cela est prévu ? J’en doute vu les puissants lobbyings de l’industrie automobile…

    • Votre commentaire sent le « vécu de terrain »… et on peut volontiers y souscrire. Il me semble, à moi aussi, que l’avenir résidera davantage dans le fret ferroviaire que dans le transport routier pour les très grandes distances. Je pense simplement (ou alors j’ai lu trop vite) qu’en évoquant les différents modes de transport l’auteure de cet excellent article a omis de mentionner le fluvial. N’oublions pas l’important maillage déjà existant en Europe que représentent les cours d’eau navigables, fleuves ou canaux.

  2. Pas de doute, le réseau ferroviaire européen a grandement besoin d’être renforcé, aussi bien pour le transport de marchandises que celui des personnes. Malheureusement, j’ai constaté que dans le cadre de mesures d’économies du côté allemand, certaines connexions avec le réseau français ont disparu dans les dix dernières années ce qui complique énormément les voyages internationaux. Du coup beaucoup de gens préfèrent prendre l’avion d’autant plus que ça va plus vite. Maintenant il s’agit de rebâtir ces liaisons, quelle perte de temps et quel gâchis pour le climat !
    D’un autre côté, la concentration industrielle sur certains sites pour des raisons de rendement a mené à une augmentation énorme du nombre de kilomètres pour acheminer la marchandise qui était autrefois produite localement. Absurde.

  3. La solution madame, c’est :
    Explorons moins, exploitons moins, consommons moins, réutilisons ce qui peut l’être, faisons réparer ce qui peut l’être et fabriquons nous-mêmes… Consommons aussi le plus local possible, cela dynamiser à les campagnes, régions, petites villes qui ont besoin de ressusciter, ça visera peut être les mégalopoles trop concentrées et invivables… Soyons plus créatifs aussi.

    • Il faudrait mettre un terme à l’obsolescence programmée, il faudrait repenser, réorganiser entièrement notre économie pour répondre à la crise environnementale et climatique, ces deux dernières ne font que s’aggraver car nos dirigeants nationaux et internationaux n’agissent pas ou font semblant ?
      Concernant le ferroviaire, c’est article décrit l’évidence mais cela fait 20 ou 30 ans qu’on en parle, ou est l’action ?
      Nous sommes le plus souvent de bonne volonté mais impuissant à essayer d’influencer le cours des évènements, dur constat, pour ma part, à quoi bon continuer à commenter ?

  4. « La part de marché du fret ferroviaire en France n’a cessé de s’éroder au profit du transport routier de marchandises, pour tomber à 9 % en 2019, soit cinq fois moins qu’en 1974 et environ la moitié de la moyenne européenne.
    Selon l’Association française du rail (Afra) le trafic de fret ferroviaire en France a chuté de 31 % entre 2003 et 2013. Comparativement, sur la même période, le fret diminue de 6,4 % en Italie mais augmente de 15 % au Royaume-Uni et 43 % en Allemagne.
    En 2020, le fret ferroviaire subit la concurrence de la route et n’assure plus que 10 % du trafic de marchandises en France. Malgré les volontés de relance, le pays se situe loin derrière l’Allemagne (18 %), l’Autriche (32 %) et la Suisse (35 %), alors que la tonne transportée émet neuf fois moins de CO2 que par le fret routier. La part du rail est de 18 % pour le transport de marchandises à l’échelle de l’Union Européenne
    La stratégie nationale poursuit l’objectif d’un doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030. Cet objectif figurait dans les conclusion de la Convention citoyenne pour le climat de 2020
    Pour faire la commande centralisée, qui remplacera les 2 000 aiguillages par 15 centres, il faut à peu près 6 milliards d’euros. Côté fret, il faut une dizaine de milliards pour revenir à niveau. Au total, avec une vingtaine de milliards supplémentaires sur les dix ans, on ne serait pas loin d’avoir un réseau très moderne, capacitaire, à la hauteur des enjeux de la transition écologique.
    Donc « peanut » face à la dette contractée par un confinement absurde de pépé Castex qui a été totalement contre-productif médicalement (699 en réa le 17 mars 2020 et 7000 le 10 avril, 3 semaines plus tard! Plus dangereux de marcher sur une plage déserte ou en forêt que de rester confinés les uns contre les autres dans un espace clos et réduit…), confinement n’ayant fait qu’augmenter le circuit aberrant du transport de marchandises par la route d’Amazon qui utilise toutes les routes de l’UE sans payer d’impôts et de Deliveroo, tuant le commerce de proximité, les TPE et les PME au profit des multinationales cotées en bourse.
    L’écologiste Macron c’est celui des cars Macron diesels de 2015 qui ont permis de casser la SNCF, d’en finir avec le train-vélo, de fermer les petite gares, de réduire le nombre de trains voir de fermer tout simplement des lignes, de pousser à prendre sa voiture et à la remplacer par des voitures plus chères alors que moins coûteuses pour le bloc moteur et dont le plein rapide de la batterie coûte sur autoroute plus cher que le plein diesel !
    Le changement structurel le plus important tant au niveau de l’UE qu’en France est une véritable politique du territoire, une plus grande autonomie régionale, plus démocratique, avec des votes décisionnaires citoyens comme en Allemagne ou en Suisse : « penser global, agir local » car pour le citoyen il ne mesure le changement qu’au niveau de sa vie quotidienne et tous se rendent compte que L’État Macron faillit partout, pratique le désert rural, ferme des lignes de chemin de fer, des écoles, des hôpitaux, pour traiter les hommes comme des bêtes pour des raisons de rentabilité, les confiner en batterie dans des villes de moins en moins accessibles, de plus en plus saturées polluées ,saturées : « le Grand Paris ».., ce que la ministre de Macron, Wargon, appelait « la densité heureuse », transportés dans des bétaillères, soignés en extrême urgence, triés de façon arbitraire, « transportés » ailleurs pour des raisons de fric, de manque de personnel…pour la bagnole individuelle du fric on en trouve et vite, pour les transports en commun, l’hôpital, autre ordre de priorité !
    La politique territoriale de Macron est le contraire d’une politique écologique et démocratique. On voit bien ce qu’il en est résulté de toutes ces débats bidon ! Le coup de la suppression de la taxe d’habitation n’a jamais été d’augmenter le pouvoir d’achat des français, il s’en rendent compte, mais de réduire l’autonomie des régions, des villes à la quête de subventions étatiques compensatoires dépendant de leurs projets, voir de leur couleur politique. Macron refuse tous les devoirs de L’État et l’utilisation des impôts pour le bien public: sa police et sa justice n’étant plus capables d’assurer la sécurité des biens et des citoyens, le système de soins, l’hôpital n’étant plus en état d’accueillir et de soigner tous les malades, étant contraint au tri arbitraire, l’école manquant d’enseignants, les bac pro vendus aux entreprises, les transports, outil écologique, privatisés : sncf, bientôt ratp…
    Les français paient 2 fois : une fois à L’État pour soutenir les entreprises du CAC 40 et une deuxième fois localement aux communes pour assurer leur survie et les nouvelles charges que L’État abandonne et leur impose, d’où le jeu de la patate chaude concernant la drogue, la délinquance…patate sans solution, renvoyée une nouvelle fois sous le tapis,
    En 5 ans Macron a réussi à détruire tous les services publics que l’on nous enviait partout dans le monde et qui assuraient aux français une sécurité et une égalité primordiale et a réussi à faire vivre ce pays de guerre covid en guerre énergétique, choisie par l’UE, dans l’insécurité permanente.
    La seule véritable solution écologique est d’aller localement, pour et avec le citoyen, vers une autonomie, énergétique renouvelable, une autonomie de l’eau, une autonomie alimentaire saine : maraîchère, d’élevage, de proximité, réduire les importations mondiales, se réapproprier notre territoire avec des services communs dignes de ce nom, d’en finir avec la centralisation étatique, urbaine, parisienne !
    Quant à Macron on sait bien que derrière tous ses enfumages, le vent de ses effets d’annonce sans effets, ses yaka-faukons, ses visions d’un progrès demandant toujours plus de sacrifices aux mêmes, que derrière ses carbrioles, ses gesticulations mondialistes quotidiennes, ses sermons alambiqués, tortueux et contradictoires, il n’est que le VRP évangéliste chargé d’appliquer le mantra de son gourou Milton Friedman : « Le seul devoir moral d’un entrepreneur est d’augmenter les profits de ses actionnaires ». Vive Carlos Tavares, le héros de la classe ouvrière, bientôt la légion d’honneur de la nation reconnaissante ?« Pas touche au grisbi » ! L’écologie, oui, tant qu’elle rapporte aux actionnaires, aux mêmes » !

    • Ben oui ! Les 1ers de cordée…Les autres ? Des «inutiles» juste bons à payer les taxes et que l’on élimine, en commençant par les plus âgés…Une vision de la compétitivité/compétition de tous contre tous au profit de quelques uns…les 1ers de cordée ! Et la boucle du programme politico-eugéniste transhumaniste est bouclée. Peu s’en rendent compte et beaucoup se croient encore «libres»…

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