Arrêtons de prendre nos paysans pour des cons

Si on devait faire le hit-parade d’une profession méprisée, agriculteur en réalité devrait arriver en tête.

C’est à ma connaissance la seule profession où, dans les médias, on donne la parole à tout un tas de gens qui ont pour caractéristique commune de ne jamais avoir travaillé dans une ferme de leur vie, de ne rien connaitre à ce qui se passe en France en matière agricole, en Europe, et encore moins ailleurs dans le Monde, et qui se déclarent étonnamment experts en pratiques agricoles. Je me souviens avec délectation du débat où Yannick Jadot, qui est pourtant un homme intelligent et charmant, voulait expliquer les néonicotinoïdes à Christiane Lambert, sous prétexte qu’il s’y connaissait puisqu’il venait de l’Aisne, et de la réponse truculente de la présidente de la FNSEA qu’elle était à l’époque : « Ca ne vous donne pas un diplôme en betteraves ».

Il faut saluer d’ailleurs la résilience du monde agricole avec des associations comme les FrAgTwittos, qui se sont saisis de l’opportunité de communication directe offerte par les réseaux sociaux pour s’organiser, montrer leur métier, réagir à l’actualité.

C’est à ma connaissance la seule profession traitée avec autant de condescendance par les élus, avec mention spéciale pour les élus européens qui votent « pour » le lundi à Bruxelles et font une télé une fois rentré chez eux pour dire qu’ils sont « contre ». Les plus rusés alliant l’art de la chaise vide à celui de l’abstention justifiée, moins coûteuse politiquement que le poney piscine. Il n’y a pas que les élus, il faut aussi parler de la grande administration, l’Etat profond, tous les représentants du camp du bien et de la vertu qui, du confort de leur bureau, inventent des risques qui n’existent qu’en France, créant une surtransposition contre laquelle ils sont censés pourtant lutter. Ce point est important. Nous avons un marché unique, une politique agricole commune, la libre circulation des biens et des personnes. Cela devrait offrir aux agriculteurs une sérénité de production et de commercialisation. En France pourtant, la surtransposition, incessante même si elle doit cesser, rajoute des incertitudes.

Un agriculteur français, un agriculteur européen, maintenant, avant de faire son travail, ses déclarations PAC, doit se poser des questions : a-t-il ou pas le droit d’utiliser encore tel stock de pesticides qui lui reste de sa précédente campagne, tant les interdictions de produits se succèdent, à un rythme supérieur à celui des autorisations de solutions de remplacement.

Pareil pour les surfaces en jachère, si on a moins de 30 hectares c’est une règle, entre 30 et 100 une autre, avec des formules de rotations de cultures qui nécessiteraient que nos agriculteurs, plutôt que d’être formés à l’agriculture, le soient à Polytechnique. Un agriculteur doit se poser ces questions, et quand il va faire ses courses voir des produits n’ayant pas surmonté toutes ces normes vertueuses gagner de la place en rayon et dans les caddies, avec des référentiels prix plus bas. C’est comme ca que nous avons tué notre filière mouton, avec la diffusion de l’agneau congelé de Nouvelle Zélande qui a créé un prix de référence pour les consommateurs intenable pour nos agriculteurs français et européens.

C’est à ma connaissance la seule profession à qui on demande de donner l’exemple, le reste du monde nous suivra, alors qu’en même temps on négocie des accords de commerce qui non seulement ne respectent pas les règles de production que nous leur demandons, mais avec une quasi absence de contrôle à l’arrivée des produits.

C’est à ma connaissance la seule profession qu’on met systématiquement en accusation pour des problèmes de santé pour lesquels ils ne sont que les producteurs d’une partie de notre alimentation, le reste étant importés de pays tiers avec des règles de production différentes.

La colère qui explose en ce moment, si elle est centrée autour de la signature confirmée avant la fin de l’année de l’accord de commerce avec le Mercosur, est révélatrice d’un désespoir lié principalement au revenu, mais aussi à l’incertitude et à l’injustice cumulée de tous ces éléments. Et je ne vous ai pas parlé des retards de paiements PAC, même si la situation s’améliore, la complexité du bidule met les agriculteurs en incapacité d’avoir des prévisionnels de trésorerie fins, et bien entendu les banques facturent des le premier jour les découverts bancaires.

Le Mercosur a le potentiel de tuer définitivement notre filière avicole, sucrière et bovine. Il est invraisemblable, pour ne pas dire totalement irrespectueux, que le contenu de l’accord ne soit pas connu par les professionnels, voire co-construit avec eux. Le fonds de compensation n’est pas une bonne idée. Nos millions d’agriculteurs savent ce qu’il signifie concrètement : se battre pour qu’un dossier puisse être déposé, se battre avec son administration pour qu’un paiement ai lieu. Ils veulent vivre de nous nourrir, et de toutes les aménités positives qu’ils nous apportent.

Curieusement, la solution sera européenne ou ne sera pas. Mais pour cela, nous devons changer l’Europe, pour que nous ne perdions pas notre agriculture, nos agriculteurs, nos paysages, notre culture.

Ce qui est en jeu avec la signature forcée du Mercosur, c’est la survie d’un projet européen auquel adhèrent tous les Européens, et non pas seulement l’électorat des bobos des villes pour qui l’agriculture est représentée par la série La petite maison dans la prairie.

Alors même qu’en tant que vigneronne sur un cru qui bénéficiera du Mercosur, à la lumière de tout cela, je suis farouchement contre, et j’attends avec impatience que le contenu de l’accord renégocié depuis 2019 soit dévoilé aux agriculteurs. Respectons les.

Irène Tolleret
Irène Tolleret
Vigneronne. Ancienne députée européenne Renew. Membre du COMEX de Territoires de progrès

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11 Commentaires

  1. Vous oubliez de citer le rôle néfaste à tous les échelons, du principal syndicat depuis des décennies. De la position ambigüe de ses dirigeants, qui étaient (sont) en même temps des industriels de l’agro. Je me souviens du combat acharné du ministre LE FOLL pour lancer l’agriculture raisonnée vars le Bio. Nous n’avons connu rien de tout çà depuis. Quels dégâts!

    • Entièrement d’accord avec vous, la référence à la FNSEA n’est pas des plus heureuses. Si, actuellement, cette organisation combat le Mercosur (pour des raisons électoralistes essentiellement), elle reste attachée à l’agriculture et à l’élevage productiviste, inféodée aux grandes multinationales agro-alimentaires.

  2. Merci pour cet éclairage introspectif d’une agriculture française qui n’a de cesse de s’améliorer mais qui reçoit des coups sur la gueule à longueur de journée par un agribashing débridé proféré, comme vous l’avez bien noté, par des ignares totals de l’agriculture et de ses besoins.
    Le pire est , à mon sens, la surtransposition ftancaise.
    Pourquoi l’Europe, si prompte à nous infliger des taxes punitives pour insuffisance d’éoliennes et de panneaux solaires, n’est-elle pas capable de nous „punir » pour surtransposer des règles déjà parfois ineptes? Attaqués au porte monnaie, les citoyens bobos comprendraient peut-être l’imbécilité des choix du gouvernement.

  3. Article très intéressant soulevant les problèmes, mais un peu excessif tout de même. Et attention à l’argument : » …la seule profession où, dans les médias, on donne la parole à tout un tas de gens qui ont pour caractéristique commune de ne jamais avoir travaillé dans une ferme de leur vie. » Donc pour l’auteure seuls les médecins sont habilités à parler santé, seuls les entrepreneurs du BTP sont habilités à parler du batiment, seuls les ouvriers de l’industrie sont légitimes à parler de leur profession etc. etc. A fond le corporatisme ? Toutes les revendications de toutes les professions sont elles légitimes ? Un peu de recul tout de même, il y a des règles à respecter dans toutes les professions.

  4. Article très intéressant soulevant les problèmes, mais un peu excessif tout de même. Et attention à l’argument : » …la seule profession où, dans les médias, on donne la parole à tout un tas de gens qui ont pour caractéristique commune de ne jamais avoir travaillé dans une ferme de leur vie. » Donc pour l’auteure seuls les médecins sont habilités à parler santé, seuls les entrepreneurs du BTP sont habilités à parler du batiment, seuls les ouvriers de l’industrie sont légitimes à parler de leur profession etc. etc. A fond le corporatisme ? Toutes les revendications de toutes les professions sont elles légitimes ? Un peu de recul tout de même, il y a des règles à respecter dans toutes les professions.

  5. Si certains « agriculteurs » arrêtaient de nous prendre pour des cons. Certes M. jadot n’est pas spécialiste « en betteraves » mais tous les français sont victimes de l’utilisation des pesticides qui polluent leur eau potable ! La cochonculture intensive bretonne fait prospérer les fameuses algues vertes. Quant au fameux « mercosur » le traité, loin d’ouvrir en grand les portes aux horribles vaches hormonées des gauchos contingenterait les importations aux droits de douanes abaissées ou nulles à 99.000 tonnes maximum pour la viande bovine, soit 1,6% de la production de l’UE ! Dans le genre FOUTAGE DE GUEULE on ne peut guère faire mieux !

  6. Article écrit par la fnsea.
    Cette dame rajoute un parpaing dans les vitrines de l’OFB et ses agents. Elle passe complètement sous silence les problématiques énormes crées par l’agriculture toxique.
    Je pensais Sauvons l’Europe plus fine.

  7. Le difficultés réelles du monde agricole ne leur donne pas le droit de s’affranchir des préoccupations, en particulier, de santé publique et de nous empoisonner à coups de pesticides sous prétexte qu’une partie d’entre eux fait n’importe quoi depuis des lustres sous l’égide de ce cancer de l’agriculture qu’est la FNSEA.
    Le monde agricole, en résumé, ferait bien de commencer par faire le ménage dans ses rangs.

  8. Bonsoir.

    Grand respect à tous les agriculteurs qui produisent intelligemment, en évitant tous les produits toxiques qui les empoisonnent et nous empoisonnent.

    Encore et encore, l’Europe est à côté de la plaque, elle pond des règles agricoles qui ne s’appliquent pas sur les produits importés, cherchez l’erreur ?

    L’agriculteur est d’une utilité cruciale pour notre nation, il assure notre souveraineté alimentaire, il entretien dame nature, etc, etc…..,

    Sa disparition serait catastrophique, nous devons nous battre pour valoriser ce beau métier, l’agriculteur doit pouvoir vivre dignement de son activité, c’est loin d’être le cas pour certains, est ce normal ?

    Certains d’entre vous doivent le savoir, ceux qui s’en sortent le mieux actuellement sont ceux qui assurent eux même la production, la transformation et la vente, sans intermédiaire, qui diversifient les productions pour ne pas être l’otage d’une seule.

  9. Je suis aussi ancien agriculteur en polyculture élevage, aujourd’hui à la retraite et connaît bien le monde agricole et ses problématiques. Si on peut en effet dire que il se dit souvent beaucoup de contre vérité au sujet de l’agriculture, la situation agricole du moment ne vient pas de ce fait. Ce sont de vrais choix politique qui sont menés par nos dirigeants nationaux et Européens. Si l’agriculture en est la , c’est qu’on assigne à cette profession le rôle de production de matière première pour l’agro-industrie et on a formé à cela les agriculteurs au point qu’ils ne savent pas faire différemment.La solution doit venir des agriculteurs, ils doivent se saisir des nouveaux enjeux, produire de l’alimentation pour nourrir la population , agir contre les dégâts environnementaux , ect, cela évitera qu’ils soient montré du doigt à ces sujets .
    Les agriculteurs sont les mieux placés pour le faire car ils connaissent les capacités d’action de chaque territoire. Mais il nous faut un vrai changement d’orientation pour cette profession. Les choix actuels de la défensive ne sont pas tenable, il en va de notre avenir et de l’avenir de notre profession. Ceux qui entraînent les agriculteurs dans cette voie auront à répondre de leurs actes . Les agriculteurs doivent se re approprié leur avenir et il peut être réjouissant.

  10. Je comprends d’autant plus la colère des agriculteurs, du moins des entreprises à taille humaine, car vivant au Portugal, pays de l’union depuis 1986, je trouve de la viande « picanha » (spécialité de grillades brésiliennes) qui est estampillé Brazil, Argentina ou Le plus souvent « Picanha du Brésil », de l’Irlande, des Pays-Bas ou du Royaume-Uni..
    Que fait-on de la surveillance, de la fiscalité, des normes à respecter ? Pour la santé des consommateurs, contre l’ utilisation de produits sur les animaux, pour le bien-être animal, pour l’équité des moyens de productions, tout cela est du bla bla bla vraiment…???
    A qui l’Europe veut elle raconter des histoires ? À force on finira par ne plus vouloir la suivre… Même moi qui suis et fus toujours très enthousiaste pour la construction de cette Europe que bcp souhaitent juste, vraie, authentiquement démocratique, plus unie surtout… Mais devant certaines réalités, on désespère quelque peu.
    Bien à vous tous les habitués des commentaires que je lis très souvent, et que je salue . Et bon Noël à tous
    Danielle

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