Andalousie : la gauche seule opposante de l’extrême-droite

Si l’on s’en tient aux faits, la date du 9 janvier 2019 avait tout pour devenir une journée très noire dans l’histoire du socialisme espagnol. Pour la première fois depuis le retour de la démocratie, le PSOE a perdu son bastion absolu, l’écrin de la couronne du socialisme régional avec la communauté autonome la plus peuplée du pays. L’Andalousie fut la terre de grands noms tels que Felipe Gonzalez, le symbole de tant de triomphes et le fief de la résistance lorsque les choses tournaient mal sur le plan national. Pire encore, ce n’est pas simplement le seul Partido Popular qui a raflé la région mais une coalition soutenue par Vox, véritable repaire de nostalgiques du franquisme pur et dur. Pourtant à bien y réfléchir, la situation offre de véritables opportunités de changer ce mal en bien et d’échapper à un semblable désastre sur le plan national.

Pour la droite, le pacte faustien avec Vox représente un certain risque. Certes, depuis l’élection de Pablo Casado à la tête du PP, ce parti s’est considérablement droitisé renouant ainsi avec la doctrine plus radicale de ses débuts: les divergences sont donc finalement assez ténues entre le leadership du PP et l’extrême droite. Néanmoins, cette ligne ne fait pas forcément l’unanimité. Ainsi un certain nombre de barons régionaux du PP craignent d’être affaiblis par une collusion trop évidente avec Vox. Alors bien sûr, le pacte signé entre le PP et Vox ne retiendra finalement pas les mesures les plus polémiques mais il prévoit tout de même des points, tels que la dérogation vis à vis de la loi sur la mémoire historique, qui seront jugés inacceptables par beaucoup dans une région plutôt progressiste et ayant particulièrement souffert des exactions franquistes lors de la guerre civile.

Mais le risque calculé pris par le PP n’est rien à côté de la décision incompréhensible de Ciudadanos surtout si l’on considère que la formation centriste n’y gagne pas grand chose dans cette affaire si ce n’est quelques postes agrémentés d’une vice présidence mais sous la direction du frère ennemi du PP. Face à la droitisation menée par Casado, la logique et l’intérêt même des « naranjas » auraient voulu qu’ils cherchent à incarner un centre droit plus modéré dans le but de mordre sur une partie de l’électorat potentiellement effrayé par les excès du PP. L’épisode andalou va définitivement anéantir cette possibilité. Bien sûr, l’état major de Cs a tenté d’expliquer qu’ils n’avaient passé alliance qu’avec le seul PP et que le pacte de ces derniers avec Vox ne les concernait en rien mais il n’en demeure pas moins qu’un vice président Cs sera élu avec les voix de Vox dans un exécutif présidé par un homme qui, lui, se sera engagé sur des mesures voulues par l’extrême droite: il est donc douteux que la « subtilité » du positionnement des troupes de Rivera fasse illusion auprès de l’électorat.

C’est précisément sur ce point que le PSOE a une vraie carte à jouer en se posant comme l’ultime rempart face à la contagion de la droitisation. Il peut ainsi attirer à lui l’électorat centriste et pro européen, respectueux des valeurs sur lesquelles s’est basée la démocratie espagnole depuis la Transition, ces mêmes valeurs que l’émergence de Vox est en train de mettre en péril. L’occasion est trop belle de mordre sur les plates bandes d’un parti Ciudadanos potentiellement decredibilisé par ses rapprochements coupables, même si indirects.

De surcroît, cette configuration inédite dans une région somme doute traditionnellement à gauche pourrait ne pas être populaire très longtemps d’autant que le résultat a été acquis davantage sur une usure du PSOE local que par une réelle adhésion idéologique vis à vis de la droite. Très vite, des difficultés pourraient apparaître ainsi que des tensions entre les 3 formations (les invectives de ce matin entre Vox et Ciudadanos augurant mal de la suite) , le tout contribuant à renforcer les craintes que pourraient susciter l’idée d’un tel attelage sur le plan national, favorisant in fine le PSOE.

Enfin et sur un plan interne, Pedro Sanchez n’est sans doute pas mécontent de de l’affaiblissement de sa plus grande rivale au sein du parti, Susana Diaz, et surtout d’être en partie débarrassé du poids que faisait peser sur l’appareil un PSOE andalou puissant dont l’image était parfois embarrassante sur fond de clientélisme et d’affaires de corruption mal réglées. Le désir de renouveau incarné par le Président du gouvernement n’en sera que plus crédible aux yeux de l’ensemble des Espagnols.

Après sept mois et malgré un gouvernement très minoritaire, le PSOE n’a pas à rougir de son bilan plutôt flatteur surtout sur le plan social. Il montre ainsi son sérieux et sa cohérence, ce qui peut payer à terme dans les urnes. Sa plus grande épine reste toutefois le dossier catalan qui a joué un rôle non négligeable dans le résultat andalou: or si le PSOE doit se montrer intransigeant dans la défense de l’unité de l’Espagne, il a également besoin des partis indépendantistes pour faire voter son budget 2019. Résoudre cette équation nécessitera des trésors d’habileté.

 

[author title= »Sébastien Poupon » image= »http:// »][/author]

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3 Commentaires

  1. En avant pour une nouvelle guerre d’Espagne!
    Vous êtes des idéologues, ni pro-européens, ni progressistes.
    Le peuple me donne tard? Je dissous le peuple!

  2. Pour rebondir sur la fin de votre article « le PSOE doit se montrer intransigeant dans la défense de l’unité de l’Espagne », je tiens à préciser que l’unité de l’Espagne, comme de n’importe quel autre Etat, devrait être subordonnée à l’intérêt supérieur des femmes et des homme qui y vivent. Surtout pour des gents qui se disent de gauche et européistes, il faudrait commencer s’interroger sérieusement sur l’utilité de man tenir, à n’importe quel prix, l’unité de l’Etat.
    Je crois que les problèmes de l’Etat espagnol, comme des autres Etats européens où il existent de mouvements autonomistes, pourraient se résoudre au sein d’une Europe fédérale, républicaine, où toutes les citoyennes et tous les citoyens auraient les mêmes droits et devoirs. Il est temps remplacer l’UE des Etats-nations et de leurs antagonismes égoïstes avec la Fédération européenne des Régions, des Provinces et des Villes solidaires entre elles.

  3. Votre analyse me paraît correcte. C’est en renouant avec ses fondamentaux ( sécurité sociale forte et redistributive, services publics servant le bien-être de la population et non le profit de quelques actionnaires, fût-ce l’Etat et une fiscalité progressive, proportionnelle aux revenus, aussi bien ceux du capital que du travail) que la social-démocratie pourra redevenir crédible aux yeux de la population. C’est le « social-libéralisme » (sic) à la sauce Susana Diaz qui a pourri le socialisme démocratique partout en Europe occidentale. Qu’Emmanuel Vals aille grossir les rangs de Ciudadanos : bon débarras ! Puisse Pedro Sanchez garder le cap.
    Yves Herlemont

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