Un parfum d’Italie sur le Parlement européen

Martin Schulz ayant quitté son Olympe européen pour rejoindre l’arène politique allemande laisse vacant son trône de Président du Parlement européen. En vertu de l’accord fondateur de la coalition « gouvernementale » entre les conservateurs PPE et les sociaux-démocrates SD, celui-ci devait revenir à mi-mandat à la droite. Le PPE a donc organisé une petite primaire interne entre les respectés Alain Lamassoure et Mairead McGuiness, ainsi qu’Antonio Tajani et l’ancien premier ministre slovaque Alojz Peterlee. C’est Antonio Tajani qui a été désigné pour porter les couleurs du groupe politique central du Parlement. Peu connu du grand public, pas mieux connu des observateurs, Tajani est un poulain de Berlusconi qui a perdu toutes les élections auxquelles il s’est présenté et qui a été recasé comme commissaire européen au Transport dans la dernière année de la Commission Barroso I, puis à l’Industrie. Il y a lancé un renouveau de la politique industrielle européenne qui permettra de ramener la part de l’industrie à 20% du PIB d’ici 2020. Disons que c’est en cours….

Mais voici que les sociaux-démocrates se rebiffent! Pas question de respecter l’accord parlementaire de 2014, qui étouffe dans une grande coalition le débat démocratique entre la gauche et la droite! Ce réveil de conscience se traduit par la candidature de Gianni Pitella, chef de file des socialistes au Parlement et second italien en lice. Choisi par Martin Schulz pour être prendre la tête du groupe SD après en avoir été le second pendant 15 ans sous trois présidents successifs, il a jusqu’ici surtout marqué les esprits par sa rondeur sans limite. Le voilà désormais qui sort les griffes, promet le rétablissement de la dignité du Parlement européen, de se dresser face à la Commission et aux Etats, et de mettre fin à l’austérité en Europe.

Guy Verhofstadt, leader des libéraux ALDE et membre junior de la coalition, se verrait bien arbitrer ce duel en montant lui-même sur le perchoir. Las, l’ancien premier ministre belge jusqu’ici très respecté pour le caractère très droit de ses positions a cherché un peu brutalement à affermir sa position dans une combinazione un peu saugrenue avec les 17 élus italien du mouvement 5 étoile. A la surprise générale, leur leader non élu, Bepe Grillo, a consulté ses adhérents (mais pas les députés) pour proposer l’entrée de sa représentation dans le groupe ALDE en quittant le groupe des souverainistes fondé EFFD par le UKIP anglais. Il a eu leur bénédiction à près de 80%, mais les élus de l’ALDE qui doivent accepter ce transfert un peu particulier ont fait barrage. Il est vrai que voir un mouvement qui rejette l’euro rejoindre le parti le plus fédéraliste de l’assemblée laisse songeur. Mais le M5 est un bestiau un peu curieux: dans la réalité des votes exprimés par les députés, ils sont bien plus proches de l’ALDE que de leur groupe. En fait, le groupe avec lequel ils sont en cohérence presque parfaite est… les Verts. Lors de l’élection de 2014, Sauvons l’Europe avait fait partie des quelques intermédiaire ayant tenté de nouer des contacts entre le groupe nouvellement élu et les Verts, sans succès alors…

 

Le M5 reste donc à l’EFFD et lui fournit son candidat, troisième italien dans la balance. Deux députés M5 sont partis chez les Verts, un au groupe du Front National ce qui exprime assez le grand écart. Bepe Grillo leur réclame à chacun 250.000 euros de dommages-intérêts histoire de bien finir la guignolade. Guy Verhofstadt, qui comptait l’emporter par épuisement des deux principaux candidats, a quelque peu obéré ses chances dans l’aventure. Le groupe de la gauche GUE propose un quatrième candidat italien et les Verts qui font toujours de la politique autrement ont choisi une espèce en voie de disparition, une députée européenne anglaise.

Les premiers tours de l’élection réclament une majorité absolue des députés pour élire le Président, clairement hors d’atteinte pour chaque candidat tant le Parlement est éclaté du fait de la proportionnelle intégrale. Mais ensuite seule une majorité simple des voix suffit. Le facteur déterminant risque donc d’être la plus ou moins grande abstention d’un camp ou l’autre. Ou en sont les pointages et les pronostics? Techniquement le PPE et SD ne sont pas très loin l’un de l’autre: ils disposent respectivement de 216 et 192 députés et si l’on dessine deux camps dans l’ensemble du Parlement, Tajani a une grosse dizaine de voix d’avances. Sur 749! Mais Pitella peut compter sur un vote discipliné de son groupe, sans doute des Verts et en grande partie de la GUE. l’EPP est moins discipliné, l’ALDE est très fragmenté, quand aux souverainistes et à l’extrême-droite, des abstentions ne sont pas improbables.

Tajani met donc en avant ce qu’on ne peut pas forcément appeler de l’euroscepticisme, mais disons un solide manque de convictions européennes pour éviter de rebuter trop les souverainistes du Parlement. Pitella cherche à souder son camp en se posant en héraut du combat contre l’austérité, et n’oublie d’insister fortement sur des mesures qui peuvent attirer des voix individuelles: il promet aux femmes du Parlement une parité exemplaire, et à tous les députés plus de fonds pour financer leur action locale dans leur territoire d’élection. Si l’on était malicieux, on dirait que le vote étant secret le Front National aurait en ce moment bien des raisons de soutenir Pitella.

Mais qu’est-ce qui est réellement en jeu dans ce drame parlementaire? C’est en fait la question fondamentale du rapport entre le Parlement et la Commission. En 2014, l’innovation des Spitzenkandidat a permis de parlementariste le fonctionnement de l’Europe en faisant du vainqueur des élections le Président de la Commission sur la base d’un contrat programmatique, contre la volonté de la plupart des Etats. Mais c’était un vainqueur bien fragile; il n’y a en réalité pas de majorité dans ce Parlement ingouvernable et une grande coalition entre l’EPP et SD, à quoi s’est greffé l’ALDE, a permis de sécuriser cet acquis, et accessoirement de se répartir les postes. Mais le Parlement a été le cocu de l’arrangement. Là où Juncker devait s’appuyer sur le Parlement pour faire face aux Etats, il a transformé ce dernier en une chambre d’enregistrement. La logique Better régulation a diminué le nombre de textes à voter et le députés s’ennuient. Pire le recours désormais systématique à l’urgence fait quasi-disparaître le travail parlementaire d’amendement au profit de discussions en trilogues dont il n’existe aucune trace publique. Le changement de portefeuille du commissaire allemand Oettinger l’a illustré: s’agissant d’un remaniement et pas d’une nomination nouvelle, la Commission a indiqué que le Parlement n’avait pas d’accord à donner. Le Parlement, après une audition peu avantageuse pour Oettinger, en a été réduit à donner son accord pour ne pas être négligé. Pourtant après ses sorties sur les bridés et divers propos de fin de table, il n’était pas en très bonne position: à Bruxelles être proche des réseaux criminels de votre pays ou simplement incompétent n’est pas un gros handicap, mais parler mal des femmes est normalement mortel.

Pitella propose donc un Parlement de combat pour recréer un rapport de force institutionnel. Mais ce faisant ne lâche-t-il pas un peu la proie pour l’ombre? Il propose un changement de majorité politique, mais dans une démocratie parlementaire quand cela advient le gouvernement est renversé. Or personne ne propose une motion de censure de la Commission. Nous aurions ainsi une Commission très majoritairement à droite, un Parlement ayant reconstitué une majorité à gauche. Comment faire vivre l’idée que la responsabilité gouvernementale devant le Parlement est le coeur du futur modèle démocratique européen sans la coalition PPE SD, avec tous ses défauts? Il y faudra sans doute beaucoup de finesse italienne.

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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5 Commentaires

  1. Effectivement, d’ici 2019, l’incohérence entre une majorité entre les sociaux-démocrates et les conservateurs à la Commission et une majorité de Gauche au Parlement peut poser problème.
    Mais, cela permet de préparer un vrai combat politique pour les élections européennes de 2019 entre le PPE face à une majorité de Gauche.
    De fait, cela va nécessité de la finesse pour les sociaux-démocrates de gouverner dans le compromis avec le PPE dans la grande coalition actuelle, tout en préparant un combat politique dans une coalition avec les Verts et la GUE pour les européennes de 2019.
    Donc cela sera complexe, mais soutien total à Pitella !

  2. « De fait, cela va nécessiter de la finesse pour les sociaux-démocrates de
    gouverner dans le compromis avec le PPE dans la grande coalition
    actuelle, tout en préparant un combat politique dans une coalition avec
    les Verts et la GUE pour les européennes de 2019. »

    Kolossale finesse!
    Où est l’Europe dans ce verbiage partisan?

  3. Quand on utilise des tableaux comparatifs, on a un minimum de sens pédagogique pour donner le sens des sigles que le commun des mortels ne domine pas forcément.
    Merci à l’avenir de rendre les choses claires et compréhensibles pour tous! Ce site n’est pas résevé aux fréquentateurs de l’hémicycle strasbourgeois que je sache ?!

    • Bonjour,

      La plupart des sigles sont disséminés au cours du texte, mais je confesse ne pas les avoir rassemblés pour la lecture du tableau. GUE: communistes / Greens: Verts / SD: socialistes / ALDE: centre droit / EPP: droite / ECR: souverainistes light (conservateurs anglais et polonais) / UKIP: souverainistes hard (UKIP anglais, M5 italien)

  4. L’UNION EST UNIE ? ET L’ITALIE ?

    L’Europe difficile à bâtir ? Plusieurs raisons sont évoquées comme causes de cette difficulté, différentes recettes sont proposées pour permettre de choisir la bonne solution.
    Je crois nécessaire de se demander aussi si en Europe il y a un “syndrome italien”. Je fais référence aux difficultés sociales très importantes qui affectent les évolutions de la société italienne, ayant perdu pendant les 20 dernières années son tissu social. La dégradation de la société italienne et de ses capacités à progresser sont évidentes. La société italienne, qui ne fut pas unie lors de l’agrégation des territoires de différents petits états, a été jusqu’ici dépourvue des évolutions qui lui sont d’urgence nécessaires : unité du peuple, réformes sociales adéquates, gestions publiques bien gérées, solution des problèmes sociaux existants depuis longtemps, reprise de la confiance. Et pour cause…., la classe politique n’a pas ni de motivation pour le progrès de la société, ni de capacités gestionnaires adéquates. Par contre les intérêts personnels ……
    J’ai cherché pendant longtemps les raisons des mauvaises gestions institutionnelles en Italie, car en Italie on se fiche complètement de faire des analyses sociales. Voici la reconstruction des évolutions des dernières décennies :
    – en 1861 différentes principautés de la botte réussirent, après beaucoup d’efforts, à unifier leurs territoires. Après cette unification Mazzini, grand personnage politique qui avait beaucoup fait pour préparer le rassemblement des Etats de la botte, écrivit :
    “La Patrie n’est pas union de territoires et c’est tout ! La Patrie est concordance et rassemblement de sentiments, union de desseins et des destins d’une Nation, expériences vécues ensemble”. Il demanda, avec D’Azeglio, le rassemblement des Italiens. La demande ne fut pas écoutée par les nouvelles institutions de la botte, je pourrais expliquer pourquoi. Par contre les gouvernements envoyaient partout des avis d’imposition. L’Italie a vécu pendant longtemps dans l’idée que le pays était devenu une Nation. Le peuple était ignorant, ne savait pas, les politiciens ont pour longtemps fait des beaux discours……, ne se sont pas occupés d’éduquer le peuple… , ni de promouvoir des comportements vertueux. Un des coupables a été le bas niveau de la culture.
    Après la dernière guerre l’idée fut répandue par les gens des institutions que les bonnes capacités de gestion n’étaient pas nécessaires. Il valait mieux être dans un réseau, dans une camarilla ou coterie et magouiller. L’Italie est devenue actuellement une usine à gâchis de ressources (surtout des fraudes des politiciens) et le peuple n’est pas du tout ressemblé. Avec un tel model, où la motivation des agents des institutions est l’unité du peuple sont des choses très rares, le progrès n’est pas possible. Aussi car la gestion du pays est basée sur la navigation à vue, pas de programmes, pas d’objectifs clairs.
    Mon enquête, qui a été longue, montre que, pendant des longues évolutions sociales et suivant les faux semblants des discours politiques, l’Italie est devenue double comme suit : a) le pays formel et les institutions font semblant de fonctionner (très mal en réalité et toujours pire…..), b) puis l’Italie cachée, les cliques, les associations sécrètes sont devenues très actives dans la dernière décennie pour des affaires bien dissimulées. La corruption et les disfonctionnements institutionnels ont augmenté progressivement et sont même apparus au grand jour, par initiatives de magistrats. La justice marche très mal…., elle est toujours en retard et n’est pas fiable…..
    L’Italie se montre fréquemment ingérable et immobile, même si récemment une inversion de tendance semble apparaître. Les gâchis de ressources dus à la mauvaise gestion et à la corruption sont très importants, mais personne ne s’en plaint. Difficilement l’Italie pourra avancer, si elle reste telle quelle, si elle garde la dispersion de volontés et d’initiatives, qui sont parfois gérées dans l’ombre. Personne n’a essayé de comprendre l’origine du problème social, de l’insatisfaction des citoyens, car il n’y a pas la culture de la bonne gestion ni un tissu social adéquat……, ce qui arrive dans un pays dont les citoyens n’ont pas été ressemblés sur des objectifs et sentiments communs. En pratique, les Italiens ne savent pas quel est le problème…., ils sont habitués depuis longtemps à un système qui ne marche pas !
    Ce tableau, qui était gris il y a 20 ans, est récemment devenu noir, du fait de manque de réactions correctives et de la diffusion de la corruption. Ces évolutions négatives sont arrivées principalement à cause d’un manque d’unité nationale, unité d’âme et d’esprits. L’unité n’a jamais été vraiment créé (c’était juste un faux semblant) pendant 150 ans !
    La question qui me paraît importante, concernant l’Union : «A l’avis et aux sentiments des Européens, existe-t-il un fort sentiment social d’unité européenne dans les diverses entités nationales fusionnées, étendue à toute l’Union ?». Ce serait la première motivation nécessaire pour agir tous dans un cadre et un sentiment constructif. Mais aussi les représentants des pays à Bruxelles et Strasbourg ont-ils un sentiment fort d’appartenance à l’Europe ou sont-ils concentrés sur la défense des intérêts des différents pays qu’ils représentent ?
    Conclusion : avons-nous créé un ’entité européenne unie ? Ou devons-nous la créer ?

    Ulrico Reali

    P.S. P. Herzog a écrit, dans « Europe, réveille-toi ! » : « L’U.E. travaille, propose, essaie d’anticiper, mais elle ne porte pas encore une vision ni une véritable stratégie ; ses institutions sont trop faibles, elle n’est pas un Sujet politique à part entière ».
    Je ressens le manque d’unité (qui pourrait se créer sur la base d’expériences communes et d’actions à définir) comme une entrave probable à la bonne construction de l’Europe.

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