Solidarité et Catalogne

La solidarité est une des valeurs essentielles de la construction européenne, comme le rappelle l’Article 3-3 du Traité de Lisbonne: L’Union promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les Etats membres.

Cette solidarité intraeuropéenne se traduit concrètement pour l’UE par une politique de cohésion visant à réduire les écarts de richesse et de développement entre les régions de l’UE, et financée par trois fonds représentant au total 371,4 milliards d’euros dans le Cadre Financier Pluriannuel 2014-2020:

  • le FEDER, Fonds européen de développement régional créé en 1975,
  • le FSE, Fonds social européen, créé en 1957 par le traité de Rome,
  • le Fonds de cohésion, ayant pour but de renforcer la cohésion économique et sociale de l’Union européenne, en aidant les États membres dont le revenu national brut par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire (15 états membres en ce moment).

Certes il faut garder un esprit critique en analysant ces politiques. Force est de constater que les pays de Visegrad ne respectent ni les valeurs de l’Union Européenne, définies par exemple par l’article 2 du Traité de Lisbonne, ni les principes les plus élémentaires de solidarité intraeuropéenne. (Il est scandaleux qu’un état membre bénéficie de fonds structuraux tout en refusant l’entrée de réfugiés « non chrétiens »). Et en 2016 un collectif d’ONG s’est ému du mésusage des fonds et d’un déficit de prise en compte des critères environnementaux au sein de plusieurs pays européens. Des fonds théoriquement dédiés à la transition énergétique seraient détournés dans plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est au profit du secteur des énergies fossiles !

Répartition des interventions du FEDER prévues pour le programme 2014-2020:

Sur la carte ci-dessus les couleurs distinguent trois zones suivant le PIB par habitant:

-zone rouge où le PIB par habitant est < 75% de la moyenne de l’UE

-zone orange où le PIB par habitant est entre 75% et 90% de la moyenne de l’UE

-zone jaune où le PIB par habitant est >90% de la moyenne de l’UE

Cette carte montre bien que dans plusieurs états membres une disparité intranationale importante subsiste entre certaines régions, un problème pour la gouvernance multiniveaux. Le tableau ci-dessous donne également quelques exemples chiffrés de ces situations.

PIB par habitant et Indicateur de Développement Humain pour quatre États Membres et trois Régions:

 (L’Estramadure, qui figure dans le tableau ci-dessus, est la région la plus pauvre d’Espagne.)

Ces disparités de développement sont sources de tension, les états pratiquant généralement des politiques fiscales conduisant à des transferts aux dépens des régions les plus développées en faveur des régions qui le sont moins. Si en plus les régions les plus développées présentent, en général pour des raisons historiques, un réel particularisme, souvent centrifuge, la tension devient conflit. Le dogme est que ce conflit est intranational et ne concerne pas stricto sensu l’Union Européenne. On va voir la fragilité de ce dogme. Après tout l’Article 3-3 du Traité de Lisbonne dit également: L’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique !

C’est le cas de la Flandre en Belgique, avec un particularisme linguistique, et un mouvement indépendantiste. C’est aussi le cas de l’Italie du Nord, avec des revendications plus autonomistes qu’indépendantistes, mais dans les deux états elles sont portées par des mouvements populistes de droite. L’Ecosse en Grande Bretagne est un cas différent, car ses revendications indépendantistes sont une conséquence du Brexit.

Etant donné la gouvernance difficile que l’on constate dans une Union Européenne à 27 ou 28 membres, on ne saurait voir de gaîté de cœur toutes ces régions devenir indépendantes puis demander leur adhésion à l’UE à ce titre. Du reste cette adhésion n’irait pas forcément de soi! Une région devenant indépendante court le risque de se retrouver exclue de l’UE.

Il y a surtout le cas de la Catalogne, qui défraye la chronique. Quant à la Bavière, elle apparaît dans le tableau ci-dessus comme contre-exemple: une région très développée à l’intérieur d’un pays qui l’est à peine moins, un particularisme fort, mais pas de conflit pour autant!

L’Espagne est un pays dans lequel, clairement, la Catalogne ne parvient pas à faire respecter son particularisme. L’annulation par la Cour Constitutionnelle Espagnole du troisième Statut d’Autonomie de 2006 en est un exemple. On peut faire une comparaison avec l’Allemagne. Celle-ci est devenue un état fédéral après la chute d’Hitler, ne peut-on regretter qu’il n’en ait pas été de même avec l’Espagne après la chute de Franco! Un parallèle est possible entre la Catalogne et la Bavière, dont le particularisme est aussi marqué et aussi ancien.

La Bavière porte le nom officiel d’Etat libre de Bavière (Freiestaat en allemand); ce n’est pas autre chose qu’une république, ce que revendique précisément une partie importante des catalans. Il n’en résulte pour la Bavière ni droits, ni devoirs particuliers envers la fédération allemande. La Bavière a sa propre constitution, du reste adoptée deux ans avant que la Bavière n’adopte (non sans quelque hésitation) la Loi Fondamentale, comme s’appelle la constitution fédérale allemande.

Le particularisme bavarois remonte au moins jusqu’aux conflits avec la Prusse. La Bavière a été parfois plus proche de la France que de la Prusse. Lors de la guerre de la Prusse contre l’Autriche en 1866, elle a été alliée à cette dernière, et après la victoire prussienne de Sadowa, elle a attendu la défaite de la France quatre ans après pour rejoindre la Confédération d’Allemagne du Nord créée par la Prusse.

Du point de vue religieux le particularisme de la Bavière est également très marqué, puisque ce land est majoritairement catholique dans une Allemagne largement protestante, touchée par le conflit du Kulturkampf à la fin du XIXème siècle. Il en résulte que la CDU (le parti Chrétien Démocrate) n’est pas représentée en Bavière directement mais par son allié local, le parti Chrétien Social (CSU).

Si l’Allemagne est parfois réticente à la solidarité intraeuropéenne, la solidarité intranationale n’a jamais posé de problème, pas plus en Bavière que dans les autres Länder. Pensons par exemple aux années qui ont suivi la réunification.

Une construction fédérale n’est-elle pas très favorable au respect des particularismes régionaux, un respect apparemment mal assuré en Espagne ?

En ce moment l’Espagne a envoyé un Mandat d’Arrêt Européen à la Belgique concernant Carles Puigdemont. Que se passera-t-il si les juges belges refusent d’exécuter le mandat ? L’Espagne portera-t-elle l’affaire devant la Cour de Justice de l’Union Européenne ? Faute de jurisprudence on ne peut rien prévoir. Le conflit Espagne-Catalogne est lentement en train de s’internationaliser, bien qu’au départ c’était bel et bien une « affaire intérieure espagnole ».

 

[author image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2017/11/andre-landesman.jpg » ]André Landesman[/author]

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14 Commentaires

  1. On ne peut qu’être d’accord, semble-t-il, avec une fédéralisation de la Constitution espagnole. Néanmoins, lire comme ici que: « la Catalogne ne parvient pas à faire respecter son particularisme » est un peu violent et laisse mal augurer, si c’était vrai, des négociations constitutionnelles éventuelles. La Catalogne est maîtresse de son économie pour l’essentiel, dispose de sa police, contrôle (de la manière la plus excluante) l’éducation, contrôle les médias publics, peut légiférer dans de nombreuses matières dont l’environnement (qu’elle gère de façon catastrophique), elle dispose de « ministres », d’un gouvernement, d’un Parlement, elle est même allée jusqu’à créer des représentations diplomatiques fantoches et illégales dans plusieurs pays. Il suffit d’ailleurs d’aller en Catalogne pour s’en rendre compte: une culture catalane revivifiée, fantasmée et imposée à tous dès la maternelle, au mépris de la majorité de la population qui est soit catalane soit, de plus en plus venue du reste de l’Espagne, sans parler des étrangers.

    • Le contrôle par la Catalogne de sa fiscalité n’est pas un point mineur. Quid de la solidarité avec les régions moins développées de l’Espagne: Andalousie, Estramadure ?

      • C’est là tout le problème…la Catalogne ne veut pas payer pour la partie la plus pauvre de l’Espagne. Et je n’approuve pas! La Catalogne qui se veut indépendantiste n’a absolument pas à se plaindre d’un manque d’autonomie, même si c’est vrai que la droite de Madrid a transsformé certains points de leur constitution. Je suis parfaitement d’accord avec le commentaire plus haut de « munstead »

  2. Prétendre que la Catalogne ne « parvient pas à faire respecter son particularisme », c’est soit méconnaître, soit déformer la réalité ! De même que dire que le Tribunal constitutionnel espagnol a annulé le statut d’autonomie de 2006, alors qu’il n’a retoqué que quelques articles (14 sur les 223 du texte). Le statut d’autonomie de 2006 reste pour l’essentiel en vigueur et donne à la Catalogne des pouvoirs très étendus, bien plus que la plupart des régions en Europe (et sans doute aussi dans le monde). D’après ce que j’en sais, bien plus que dans beaucoup d’Etats fédéraux, y compris plus que la Bavière. Ce statut vient d’être suspendu en application de l’article 155 de la Constitution, face au refus des autorités catalanes de respecter le cadre constitutionnel espagnol. Mais il ne s’agit que d’une suspension temporaire, il rentrera en vigueur dès qu’un nouveau gouvernement catalan prendra ses fonctions à la suite des élections anticipées au Parlement catalan du 21 décembre.
    Qu’il faille réformer la Constitution espagnole pour faire de l’Espagne un Etat fédéral, pourquoi pas. Mais l’action unilatérale du gouvernement Puigdemont a conduit tout le monde dans l’impasse. On peut reprocher à Rajoy de ne pas avoir ouvert le dialogue, mais ce reproche s’adresse aussi à Puigdemont.
    Quant à « l’internationalisation du conflit », cela fait partie des nombreux fantasmes des idépendantistes catalans. Mais il va bien falloir qu’ils réalisent qu’aucun Etat européen ne va les soutenir, et que l’opinion publique européenne, très généralement, ne se soucie guère du sujet.

    • Je pense effectivement que peu d’Etats soutiendront aveuglement une Catalogne indépendante, mais cela ne veut pas dire que tous les Etats vont soutenir l’Espagne pour autant. Moi j’ignore ce qui sortira des élections du 21 décembre.

      • Maintenant, après les elections du 21 décembre les independentistes ne peuvent pas, s’ils gagnent, repeter le processus hors de la loi. Donc, il faudra voir s’ils ont une autre strategie.

    • Ah ça non ! On ne peut pas reprocher à Puigdemont de ne pas avoir voulu dialoguer avec le gouvernement espagnol ! Il l’a demandé à maintes reprises et même juste avant la tenue du référendum. Il s’est, chaque fois trouvé devant un mur ou pire : devant une boutade : Rajoy disant moqueur qu’aucun courrier ne lui arrivait de Barcelone…. De toute façon, ajoutait-il, ils connaissent ma réponse… Il n’a jamais voulu dialoguer avec le gouvernement catalan.

  3. Je ne vois pas pourquoi la Catalogne se verrait refuser l’accès à l’UE? Cherchez-vous à faire peur? …Le droit des peuples à disposer d’eux même poserait’il un problême à l’Europe? Jamais le débat ne s’engage à ce niveaux dans les médias…Poserait-il un problème aux démocraties européennes? La décolonisation en a posé de gros aux puissances coloniales…pourtant la marche de l’histoire et celle de la liberté des individus mais aussi des peuples….
    Ne seriez-vous pas en train de gangréner vous même l’ Europe…

    • La Catalogne indépendante serait un nouveau membre potentiel et l’adhésion d’un nouveau membre requiert un vote à l’unanimité du Conseil (article 49 du Traité de Lisbonne) Un tel vote pourrait ne pas être chose aisée, ne serait ce qu’à cause du vote de l’Espagne ! Je ne vois pas le rapport avec la décolonisation

  4. J’ai du mal à comprendre. L’Espagne est un pays fédéral, les régions ont une grande indépendance de fonctionnement. Les programmes scolaires sont tournés uniquement sur la région, l’espagnol est considéré comme une langue étrangère….

    Je comprends la position de Madrid , même si elle est maladroite. Mais au nom de la liberté des régions d’organiser jusqu’à l’ enseignement de manière indépendante, la vision d’une « fédération » de régions a disparu. De plus , me semble-t-il c’est une résurgence de l’histoire de la guerre civile espagnole . N’oublions pas que la moitié de la population catalane est contre l’indépendance. Non la Catalogne a développé une stratégie indépendantiste depuis la mort de Franco avec la bénédiction de Madrid qui ne s’est pas rendu compte que l’éducation, la culture et la langue sont essentielles pour unifier un pays.

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