Sauvons l’Europe grâce à la politique de cohésion ?

Quels sont les points communs entre l’agrandissement d’une crèche en Slovaquie (137 000 euros), l’extension de plusieurs lignes de tram à Bucarest (363 millions d’euros), la création d’un réseau de pistes cyclables en Grèce (206 000 euros), la rénovation de 100 logements sociaux à Mons-en-Barœul dans les Hauts-de-France (353 000 euros), une formation qualifiante pour 100 000 personnes en Nouvelle-Aquitaine, la création d’une maison d’aide aux plus démunis à Palerme (3,5 millions d’euros) ou encore la création d’infrastructures vertes pour les forêts en Allemagne (1,9 million d’euros) ? C’est la politique de cohésion avec ses fonds emblématiques : le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE) ou les fonds INTERREG en faveur de la coopération territoriale.

Reconnecter la politique de cohésion avec les citoyens

Et pourtant, des enquêtes d’opinion relayent le constat que la population n’a que faiblement conscience des bénéfices de la politique de cohésion. Seulement 18% des Néerlandais, 20% des Allemands, 31% des Français ou 36% des Espagnols ont entendu parler du financement par l’Union européenne d’un projet près de chez eux. Grâce à certains Etats membres qui relèvent le niveau avec, par exemple, 82% des Polonais qui sont conscients des investissements européens dans leur environnement immédiat, la moyenne en Europe s’élève à 41%.

Il n’en demeure pas qu’il faut s’interroger sur ces piètres résultats alors que, chaque jour, chaque matin en se rendant à l’école ou sur son lieu de travail, une Européenne ou un Européen croise nécessairement un investissement public ou privé financé par la politique de cohésion. Est-ce à dire que la politique de cohésion est condamnée à l’invisibilité dans la plupart des régions européennes ? Que pourrait-on faire pour reconnecter cette politique avec les citoyennes et les citoyens européens, notamment dans la perspective des élections européennes ?

Le Comité européen des Régions, qui représente les élus régionaux et locaux de l’Europe entière, vient d’apporter quelques réponses à cette question dans un avis signé par Vasco Alves Cordeiro (PSE/PT), Président du Comité européen des Régions, et Emil Boc (PPE/RO), ancien Premier ministre roumain et maire de Cluj. Selon eux, la politique de cohésion, véritable politique de redistribution et de solidarité au niveau européen, est plus que jamais nécessaire dans un contexte où les inégalités se creusent. La pandémie de la COVID-19, les impacts multiples de la guerre en Ukraine et la menace permanente du changement climatique rendent certains territoires et certaines personnes plus vulnérables en Europe. Le monde change, analysent-ils, et la politique de cohésion doit être réformée pour pouvoir continuer à contribuer si significativement à la réduction des inégalités économiques, sociales et territoriales au sein de l’Union européenne et de ses Etats membres et à compléter l’approfondissement du marché intérieur.

Des élus qui connaissent les réalités du terrain : un atout indéniable

Vasco Alves Cordeiro et Emil Boc constatent avant tout que la politique de cohésion, et surtout sa méthode, fonctionne bien. La fixation d’objectifs européens qui sont mis en œuvre, au niveau régional et local, par des élus qui connaissent les réalités du terrain, est un atout indéniable notamment en comparaison avec d’autres politiques européennes. La gestion partagée, le partenariat entre l’Union européenne, les territoires et la société civile, les approches territoriales et partant du terrain sont les ingrédients du succès et du rapprochement des politiques de l’Union européenne vis-à-vis des citoyennes et des citoyens européens.

Cependant, pour réconcilier les Européennes et les Européens avec l’Union européenne, notamment dans la perspective des élections européennes, cette politique de cohésion doit être réformée.

Tout d’abord, il est clair que la politique de cohésion ne peut pas tout. Certes, elle a été la première politique européenne à venir en aide aux Européennes et aux Européens dans le contexte de la COVID-19 en finançant l’achat de masques, de lits d’hôpitaux ou de systèmes médicaux. Certes, elle a apporté le plus de soutien aux villes et aux régions pour les aider à accueillir le flot de réfugiés ukrainiens et à amortir les conséquences économiques de l’invasion russe de l’Ukraine. Mais ces réponses apportées dans l’urgence se sont faites au détriment des objectifs de long terme de la politique de cohésion. La politique de cohésion, dans ce cadre, ne peut plus être, à l’avenir, la réserve de cash de l’Union européenne pour faire face aux crises.

Réformer avec davantage de flexibilité pour renforcer la solidarité en Europe

L’Union doit se doter d’une réserve de crise suffisamment solide pour faire face à un environnement de plus en plus adverse. Et, de manière plus fondamentale, avec la montée des périls et les tensions sociétales qu’elles engendrent, la politique de cohésion ne peut plus être la seule politique de l’Union européenne en charge du renforcement de la convergence et de la solidarité en Europe. Toutes les politiques de l’Union européenne doivent contribuer à cet objectif ou, du moins, ne pas lui nuire, c’est le sens du concept du « ne pas nuire à la cohésion » (« do no harm to cohesion »).

Ensuite, les autorités de gestion de la politique de cohésion, qui peuvent être des Etats ou des régions (c’est mieux !) doivent être mieux armées pour s’adapter aux changements de situation qui sont maintenant la règle dans un monde de plus en plus instable. La complexité et le manque de flexibilité de la politique de cohésion ont coûté énormément d’énergie aux équipes chargées de la mettre en œuvre, réduisant d’autant son efficacité et ralentissant les investissements sur le terrain. Les autorités de gestion devraient donc être autorisées, dans le cadre du règlement général, à modifier elles-mêmes leurs programmes en cas de crise, dans un dialogue avec la Commission européenne, sans attendre que les institutions européennes modifient la règlementation en vigueur.

Cette simplification de la mise en œuvre de la politique de cohésion doit aller de pair avec une rationalisation des fonds de l’UE. Nous assistons en effet à une multiplication des fonds : la facilité pour la reprise et la résilience pour le plan de relance européen, le fonds pour la transition juste pour les régions charbonnières, le fonds social pour le climat pour atténuer les effets de la transition écologique ou encore la réserve d’ajustement au Brexit.

En parallèle, des fonds qui opéraient jusque-là en bonne intelligence ont maintenant des liens distendus : c’est le cas avec le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) qui a pâti de la renationalisation partielle de la politique agricole commune lors de la dernière réforme ou du Fonds social européen qui est devenu de plus en plus indépendant des autres fonds de la politique de cohésion. Pour cette raison, la politique de cohésion doit fonctionner sous l’égide d’un cadre stratégique unique définissant le champ d’application et les principaux objectifs pour la période postérieure à 2027. Ce « pacte de partenariat européen » devrait garantir la cohérence et la convergence dans la mise en œuvre de la politique avec des garanties concernant la participation des collectivités locales et régionales. De la même manière, certains fonds, comme le Fonds pour une transition juste ou le Fonds social climat devraient être intégrés dans le FEDER et le FSE en s’assurant que les personnes et les territoires qui font face à des enjeux forts de transition (les régions charbonnières, les régions automobiles ou d’autres régions avec des appareils industriels ou agricoles fortement émetteurs de carbone) reçoivent un bonus financier pour les accompagner dans leur transition.

Se recentrer sur des préoccupations quotidiennes des citoyens

Améliorer l’efficacité de la politique de cohésion ne sera pas suffisant. Aujourd’hui, la politique de cohésion se concentre peut-être trop sur des enjeux qui sont loin des préoccupations des citoyens. Investir 35 milliards d’euros dans la recherche et l’innovation ou 36 milliards dans la transition numérique est bien sûr utile. Ces investissements sont certes importants pour le futur mais ils ne doivent pas pour autant empêcher la politique de cohésion de financer des investissements pour améliorer le quotidien des gens. Le logement, l’emploi, la mobilité du quotidien, l’accès à des services publics de bonne qualité, la régénération de la vie rurale, telles sont les priorités des citoyens européens.

De même, avec un changement climatique de plus en plus dangereux, l’accent mis sur la préparation, la résilience et la réduction des vulnérabilités devraient être prioritaires. L’érosion en Nouvelle-Aquitaine, les feux de forêts en Gironde ou au Portugal, les inondations dans le Nord de l’Europe sont des réalités que les Européennes et Européens veulent mieux prendre en compte. 69% d’entre eux souhaiteraient prioriser les investissements sur le chômage, 55% sur les aires urbaines défavorisées et 54% sur les zones rurales ou montagneuses périphériques.

A trop vouloir agir sur la compétitivité, les fonds de la politique de cohésion ont pris le risque de trop concentrer les fonds, parfois sur les métropoles, même dans les régions les moins développées, au détriment de tout un segment important de la population qui se sent délaissé. Un phénomène qui conduit à la « géographie du mécontentement ». Nous aurions tort d’empêcher les régions et les villes d’affecter les fonds là où ils sont les plus nécessaires. Or, aujourd’hui, quand par exemple une région intermédiaire dans un pays parmi les plus développés souhaite financer la mobilité du quotidien ou le renforcement du logement social, elle est trop souvent empêchée par la Commission européenne qui ne jure que par la concentration des fonds.

Dans la perspective des élections européennes, nos décideurs politiques européens, qu’ils ou qu’elles soient à la Commission européenne, au sein des Etats membres ou au Parlement européen, feraient bien de se rappeler la réalité des chiffres. Pour sauver l’Europe des vagues eurosceptiques et populistes d’extrême-droite, nous avons besoin d’une politique de cohésion renforcée et réformée. Les débats actuels sur la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel ne nous font malheureusement pas espérer le meilleur. Que cela nous serve d’aiguillon pour porter un autre discours lors de la campagne pour les élections européennes.

Isabelle Boudineau
Isabelle Boudineau
Conseillère déléguée Europe au Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine & membre du Comité européen des Régions

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4 Commentaires

  1. La presse et la télé ne parlent jamais des actions de l’Europe au jour le jour et vous voudriez que les citoyens le sachent.
    il y a fort à faire pour une communication efficace citoyenne et non parler toujours de ce qui ne va pas. Le moral des français en serait meilleur

  2. L’article de Mme Isabelle BOUDINEAU « Sauvons l’Europe grâce à la politique de cohésion »

    Du local et de l’Europe
    Nous venons de fermer le Centre Européens de Ressources pour les Groupements d’Employeurs. Nous en avons décrit le parcours et il est particulièrement en résonnance avec vos conclusions, sur ce qu’il était possible de faire et qu’il l’est de moins en moins. Nous sommes à la fin d’un cycle.
    Les appels à la mobilisation des territoires dans la fin des années 2000, la relance par les projets Equal sur l’égalité des chances, la justice sociale, le vieillissement de la population – les conclusions n’ont pas perdu une ride !- ont été repris par le marché et la concentration des pouvoirs et des fonds.
    Un cycle qui nous a permis de développer du local en 1988, avec un partenariat dans lequel les « bénéficiaires », sont à la manœuvre, à leur place mais en responsabilité et pas simplement citoyen consommateur, au Continental Europe en 2008, les Groupements d’Employeurs. Le Commissaire Européen à l’Emploi, aux Affaires Sociales et à l’Egalité des Chances, Monsieur Vladimir Špidla et du Président du Comité des Régions, Monsieur Luc Van Den Branden, avaient présidé la mise en place de ce Centre Européen. La reconnaissance européenne à Turku 1998 en Finlande lors de la conclusion des Pactes Territoriaux
    L’aventure continue en Nouvelle Aquitaine puisque le Centre de Ressources des Groupements d’Employeurs, qui avec les amis Allemands, Autrichiens, Belges ..a fait vivre le CERGE, est porté par la même dynamique du « dialogue social territorial » qui rassemble les intéressés employeurs et accompagnateurs des salarié-es à temps partagé, les partenaires sociaux, la Région et l’Etat. Son audience dépasse la Nouvelle Aquitaine. Un autre centre de ressources fonctionne sur le même modèle en Occitanie.
    Les transitions-adaptations, économiques sociales et culturelles qui vont marquer durablement notre avenir, trouvent déjà, localement, des réponses aux crises qui se succèdent. Les citoyen.nes et les territoires se sont remobilisés. C’est avec eux que nous pourrons développer les solidarités locales, la confiance. Il nous faut à la fois contrôler la chute des murs, nombreux que nous avons érigés les uns et les autres et repartir « les yeux dans les yeux. Et reconstruire du bien commun.
    France Joubert
    Fondateur du CRGE
    Pacte du Pouvoir de Vivre

  3. Comment faire pour que la presse informe sur l’Europe pas seulement trois semaines avant les élections de juin ? vaste sujet.
    Seul le journal d’ARTE de 19H30 intègre une vision européenne. Il serait intéressant d’analyser cette situation.

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