Sauver l’Euro ? Sauver l’Europe !

Crise de l’Euro, crise de l’Europe. L’euro survivra t-il à la crise de l’Europe ? Telle est désormais la question. Et l’Europe, survivrait – elle à la disparition de l’euro ? A cette deuxième question, la réponse est, à mon avis, clairement non. La réponse à la première n’est pas écrite et c’est bien le problème, car cette question n’aurait jamais du être posée.

La réaction à la crise des finances publiques grecques a été à la fois trop tardive et timorée. Les raisons en sont purement politiques et non techniques ou institutionnelles, celles-ci ont été surmontées dès lors que la décision du sauvetage était prise. Les autres Etats de la zone euro auraient pu émettre des emprunts pour le compte de la Grèce dès le défaut de paiement, reprendre sa dette publique à leur compte et faire cesser immédiatement la spéculation. Les problèmes à régler avec la Grèce l’auraient été ensuite, mais la crise de l’euro se serait arrêtée là. Elle n’aurait même pas eu le temps d’exister. Les hésitations et les atermoiements ont au contraire créé le doute sur la volonté politique des Etats de sauver tout membre de la famille en difficulté quoi qu’il arrive et donc de sauver l’euro.

Les marchés ont misé sur l’augmentation des taux d’intérêts accordés à la Grèce, pratiquant une prophétie auto réalisatrice, sur un futur défaut de paiement et une possible sortie de la Grèce de l’euro. Il ne suffit pas dire que les marchés ne comprennent pas le fonctionnement de la zone euro, comme le répète Jean Claude Trichet pour sauver les apparences. Le flottement dans la solidarité entre Etats membres, a ouvert la porte à l’incertitude sur ce qu’il adviendrait au cas ou le plan de sauvetage de la Grèce s’avérait insuffisant, ou si d’autres pays en difficulté se trouvaient dans l’impossibilité de financer leur dette. Après la Grèce, l’Irlande, demain qui ? Les regards se tournent vers le sud, mais pas seulement.

L’endettement de plusieurs pays est considérable, la croissance est faible sur tout le continent et l’exposition des banques de chaque pays dans les pays voisins est gigantesque. Les banques françaises et allemandes sont exposées en Grèce, les banques allemandes, anglaises et portugaises sont exposées en Irlande, les banques espagnoles le sont au Portugal, tous comme les banques françaises qui le sont également en Espagne. On parle de plusieurs centaines de milliards d’euros pour chaque pays. Le risque de nouvelles faillites bancaires a été un puissant ressort pour convaincre les Etats membres de déclencher les plans de sauvetage à la Grèce et a l’Irlande. Et de fait les premiers bénéficiaires de ces plans ne sont pas les contribuables locaux mais les banques étrangères.

Mais l’ampleur même des expositions, comparée au montant limité du Fonds Européen de Stabilité financière, entretient le doute sur la suite et accroit l’instabilité. La crainte de la contagion demeure. La spéculation continue et l’augmentation des spreads (écart des taux d’intérêt avec ceux de l’Allemagne) aggrave les risques d’insolvabilité et de défaillances de plusieurs pays.

Cette situation alimente, en retour, et d’abord en Allemagne, l’idée que le jeu n’en vaut pas la chandelle, que le puits est sans fond, que les sommes à mobiliser sont astronomiques, et qu’il n’y a pas de raison que les pays à finances solides payent indéfiniment pour les plus mal gérés. L’idée se répand ainsi, encore minoritaire, mais plus marginale, y compris dans les opinions, que d’une façon ou d’une autre on pourrait sortir certains pays de l’euro, ou qu’ils pourraient décider d’en sortir eux-mêmes. Car dans les pays les plus en difficulté la question se pose de savoir si la meilleure option, ne serait pas d’abandonner la monnaie unique et de préférer une dévaluation à une austérité interminable imposée par l’UE sans perspective de retour à la croissance et de sortie de la crise.

En réalité l’idée qu’il y aurait des avantages économiques à tirer d’une sortie de l’euro ou que la gestion de la zone euro coûte cher, est grandement illusoire. Pour la France par exemple, le choix serait entre dévaluation suivie d’une hausse des taux d’intérêt, ou une politique du franc fort, ce qui revient au même que la situation actuelle, mais sans cadre commun avec l’Allemagne. Pour l’Allemagne, Romano Prodi rappelait récemment que les dirigeants qui se plaignent du coût des plans de sauvetage de la Grèce et de l’Irlande ne devraient pas oublier que la force économique de l’Allemagne a beaucoup bénéficiée de la zone euro. Avant l’euro, les pays en difficulté, ou en retard de productivité, procédaient à des dévaluations compétitives. Il n’y avait pas de surplus commerciaux allemands de cette ampleur avant la monnaie unique.

Si les dirigeants européens ne se décident pas à changer radicalement d’approche, et qu’ils continuent à jouer à courte vue, l’euro est en grand danger. Que les marchés aient la vue courte on peut le comprendre, mais que les leaders européens n’aient plus la vision des intérêts de long terme du continent et de leur propre nation est plus inquiétant. Une nouvelle génération d’européens, en Allemagne et en France en particulier, doit se lever. Car l’éclatement de l’euro serait une défaite politique majeure pour les pays d’Europe, réduisant chacun à l’état de nain. Les plus grands pays d’Europe n’ont jamais que la taille d’une région chinoise ou indienne.

Il est temps, comme le rappelaient récemment, et chacun à leur façon, Jacques Delors et Helmut Schmidt, que la politique, les visions de long terme et l’intérêt européen reprennent le dessus sur les approches nationales à courte vue qui nous mènent à la catastrophe.

Sauver les banques et les Etats en faillite au coup par coup ne suffira pas à sauver l’Europe. Les effets de la crise financière, économique et sociale qu’elle traverse, ne pourront être surmontés que par des changements profonds dans la régulation des marchés financiers et du système bancaire, par une forte coordination économique et par l’ambition de réaliser ensemble de grands projets communs dans des domaines d’avenir, en particulier dans la recherche, l’industrie, l’énergie et le développement durable.

Plusieurs propositions sont, aujourd’hui en débat. Elles ont été avancées, en particulier, par les socialistes européens et de nombreux économistes. Elles ont toutes pour objectif de permettre au politique de reprendre la main sur l’économique, de soutenir comme objectif prioritaire en Europe, la croissance, l’emploi, la cohésion sociale c’est à dire le bien-être des populations et le modèle social européen.

En matière de régulation financière, une première réglementation des hedge funds a été adoptée, mais elle est très limitée, les Etats membres ayant rognés les propositions du Parlement européen qui n’étaient pourtant pas révolutionnaires. La création d’une taxe sur les transactions financières internationales est toujours bloquée au sein du Conseil comme du Parlement européen. Elle serait pourtant un outil utile pour freiner la spéculation sur les marchés financiers et dégager des ressources nouvelles pour financer la relance européenne, des projets communs et renforcer l’aide aux pays pauvres en particulier le fond vert des Nations Unies pour le climat.

Nous avons également soutenu depuis des années l’idée de lancer des emprunts européens, les eurobonds, ou euro obligations. Ils permettraient à tous les pays de se financer aux meilleures conditions sans que certains ne soient étranglés par des taux d’intérêt prohibitifs et ballotés par les spéculateurs. Par delà le mécanisme financier, soutenu par de plus en plus d’économistes et quelques chefs de gouvernement dont Jean Claude Junker, cette mutualisation économique serait un signe politique de la volonté des européens de neutraliser le jeu des marchés contre les Etats. Ils permettraient aussi de financer à l’avenir des grands projets communs. La BCE doit également pouvoir, à l’instar de la Réserve Fédérale américaine, acheter des obligations d’Etat, comme elle a commencé à le faire.

Nous avons également bataillé toute l’année 2010, pour renforcer le budget de l’Union européenne. Les Etats ont bloqué la progression à 2.91%, il reste donc de l’ordre de 1% du PIB européen. L’Union ne peut pourtant fonctionner sans un budget capable de financer ses politiques, d’accélérer la convergence économique et sociale entre les Etats riches et pauvres, d’investir dans l’avenir, de réaliser les grands réseaux européens. La contrepartie à cette plus grande solidarité doit être la fin du dumping fiscal en Europe. La condition à l’aide à l’Irlande aurait du être non pas l’austérité pour les habitants, mais l’harmonisation de l’impôt sur le bénéfice pour les sociétés.

Nous avons également proposé avec le SPD que la coordination des politiques économiques passe par la définition d’un Pacte de croissance sociale avec des objectifs communs, de dépenses d’éducation, de niveau de protection sociale, de création de salaires minimum dans tous les pays et de baisse du chômage des jeunes.

Le devoir de la social-démocratie européenne est bien de proposer aux européens un nouveau modèle de développement et de solidarité pour sortir le continent de l’ornière. Un modèle basé sur la cohésion sociale renforcée, une transition écologique réussie, la recherche et l’innovation, et permettant d’assurer une croissance soutenable et une sortie de la crise.

Dans ce moment charnière pour l’histoire européenne, les dirigeants des Etats membres doivent faire preuve de courage, de détermination et d’une conviction renouvelée pour défendre l’Europe, à l’image des pères fondateurs de l’Union, et de la génération des Kohl, Mitterrand et Delors.

Il s’agit de retrouver la confiance des Européens dans un projet commun.

Les gouvernements conservateurs ont abîmé l’idée européenne dans le coeur des citoyens européens. Cela se traduit par une dangereuse montée des extrémismes et de la xénophobie sur l’ensemble des territoires de l’Union. De l’affaire des Roms, stigmatisés par les propos et les actions inacceptables du gouvernement français, en passant par la persistance des mouvements régionalistes, comme en Belgique ou en Italie, ou par la montée des partis d’extrême-droite aux Pays- Bas ou en Suède, le risque de repli est avéré. Le repli non seulement d’une Europe forteresse fermée par rapport au reste du monde, mais aussi des citoyens des Etats membres rejetant le projet européen.

La crise actuelle confirme ce qu’avait toujours affirmé Jacques Delors, il ne peut y avoir d’Union monétaire viable sans union économique, ni d’union économique sans coordination politique et sans condition sociale commune. La compétition économique dans l’espace européen doit être contrebalancée par la coopération et la solidarité. Un gouvernement économique de la zone euro doit inclure des instruments de cohésion, d’investissement, de soutien à la croissance. Ce sont les conditions pour que l’euro puisse à la fois protéger et dynamiser, contribuer à la stabilité et à la croissance

Les socialistes européens doivent être à la hauteur de ce défi et apporter des solutions à la crise plus justes mais surtout plus ambitieuses que celles des conservateurs. Pour sortir l’Europe de la crise, mais aussi redonner de l’espoir à chaque Européen.

Harlem Désir

Pour télécharger la lettre d’Harlem Désir

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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1 COMMENTAIRE

  1. Les solutions justes et ambitieuses pour que l’Europe sorte de la crise sont sans aucun doute politiques autant que culturelles : l’économie étant à l’origine gestion de la maison commune et l’Europe signifiant VASTE-VUE, il est urgent que les habitants de la maison EUROPE l’animent d’ouverture réciproque, d’harmonie inventive et de dialogue créateur.

    Les rouages européens peuvent déjà favoriser le mouvement évolutif qu’imprima au continent à naître sous son nom la jeune Phénicienne Europe enlevée par le mystérieux taureau lorsqu’il incarna pour les offrir à la Crète et à la civilisation minoenne, la première d’Europe, les techniques nautiques et l’art alphabétique lors du deuxième millénaire avant Jésus-Christ : la démocratie ne naquit-elle pas progressivement, mais entièrement, de ces deux moyens de contact proche-orientaux et révolutionnaires ?

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