Pour Jean-Sébastien Lefebvre, une campagne « exécrable et à côté de la plaque »

Correspondant à Bruxelles du site spécialisé Contexte.com, Jean-Sébastien Lefebvre est un fin connaisseur des questions européennes et un lecteur averti de la presse française. Pour lui, les journalistes français n’ont pas fait leur travail durant la campagne.

Du point de vue médiatique, comment qualifieriez-vous cette campagne européenne ?

Exécrable et à côté de la plaque. Elle n’a duré que deux semaines, et les médias n’ont fait que donner des sondages et annoncer la victoire du Front national.

Le seul autre sujet sur lequel ils se sont penchés un tant soit peu, c’est la crise de l’euro. Le problème, c’est que le Parlement européen n’a très peu de compétence sur l’euro. De plus, la France n’a pas été très touchée par la crise, du moins pas autant que la Grèce.

Ce qu’il aurait fallu, ce sont des débats de fond sur les sujets que le Parlement traite : la Politique agricole commune, l’environnement, le TTIP, les travailleurs détachés…

Mais n’était-ce pas pareil en 2009 ?

Pour 2009, j’ai plutôt le souvenir d’une campagne intéressante : Nicolas Sarkozy avait capitalisé sur la présidence française de l’UE, les Verts avaient fait un beau score… Mais c’est vrai qu’on ne sortait pas d’élections municipales.

Pourtant, il y avait une nouveauté, par rapport à 2009 : la désignation des têtes de liste par les partis, pour rendre les enjeux du scrutin plus clairs…

Quelques médias ont joué le jeu, comme France 24, qui a organisé un débat entre Schulz et Juncker. Mais pour la plupart, les têtes de liste sont passées inaperçues.

Le meilleur exemple reste le débat que France Télévisions a refusé de diffuser. Le groupe public a argué que le débat était en anglais, mais l’argument n’est pas très solide. France TV aurait pu s’impliquer dans la préparation, et demander à en faire une partie en français. Ou, à la rigueur, il aurait pu faire une diffusion en différé, avec une traduction. Mais non, rien du tout !

A la place, il a diffusé un documentaire sur l’histoire de l’euro. C’est comme si, pendant les élections présidentielles, on passait un documentaire sur la révolution française à la place d’un débat entre les candidats. Journalistiquement, c’est injustifiable.

C’est vrai pour les télévisions, mais de nombreux médias, print ou web, ont fait de nombreux articles sur « les cinq prétendants » à la présidence de la Commission…

C’est vrai, il y a eu de très bons articles ! Mais il fallait absolument que la télévision joue le jeu. Il ne faut pas oublier qu’elle reste le premier média d’information de 80% des Français. De plus, elle permet de voir et d’entendre le candidat, donc de l’incarner plus aisément.

Quelles leçons les médias français doivent-ils tirer de cette campagne et de ce scrutin ?

Il faudrait arrêter de voir le journaliste spécialiste en affaires européennes comme un militant. Moi, par exemple, j’habite à Bruxelles, je couvre les politiques communautaires, mais je suis aussi tout à fait capable de critiquer la Commission quand il le faut.

De même, les journalistes doivent arrêter de croire que parler de l’Union européenne est un acte militant. C’est simplement du journalisme ! L’Union européenne est maintenant un niveau de pouvoir, tout comme les villes, les départements, les régions, et l’Etat… Par conséquent, expliquer ce qui s’y passe et quels en sont les enjeux, ce n’est pas du militantisme, juste du journalisme.

Enfin, il faut aussi laisser du temps au temps. La démocratie française est installée depuis des siècles, et ses rites politiques et médiatiques vont de soi. Au niveau européen, la démocratie est encore en construction, et il faut encore attendre pour que les médias et les citoyens acceptent ses rites.

CV Jean Comte       Entretien mené par Jean Comte

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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14 Commentaires

  1. Exécrable est le bon terme, incapables de voir plus loin que la politique intérieure française, avec une exception pour ARTE et son journal que davantage de français devraient suivre. Avec ARTE j’étais tout à fait au courant et j’ai diffusé à mes amis la position des chefs de partis européens et la suite des événements : parmi les europhobes, pas de participation à leur Groupe ni de finances pour les français et néerlandais jugés anti-sémites par les autres, position des candidats à la présidence de la Commission et élection d’un pro-Européen malgré l’opposition acharnée des britanniques, difficultés à attribuer leurs fonctions aux commissaires, etc.

  2. J’ai adressé une protestation à Radio-Classique qui a outrageusement privilégié les partis europhobes: FN, Dupont-Aignan. Mais il n’y a pas que RC: l’europhobie était à la mode. Une exception notable : France-Inter, qui, avec Bernard Guetta notamment, a largement alerté l’opinion sur les enjeux du scrutin. Une mention tout particulière pour La Croix, qui a publié tout au long de la campagne des dossiers très bien faits. Mais cela reste une exception.

  3. J’ai en son temps participé à la pétition demandant à France Télévision de diffuser les débats sur les chaines publiques, hélas sans résultats.
    J »en tire la conclusion, que la Télévision Française est toujours à la botte du pouvoir parisien, quel qu’il soit (par lâcheté ?), et donne ainsi au peuple français l’illusion que tout peut se décider à Paris et exclusivement.
    Nous sommes loin de la mission de ce que devrait être le service public : informer et éduquer….

  4. Absolument d’accord!On fait croire que cela n’intéresse pas le public TV,mais c’est un alibi car la TV est là justement pour intéresser les gens !Elle ne remplit pas sufisamment cette fonction et ne pense qu’à l’audimat! vaste hypocrisie!Oui,il faut davantage communiquer sur l’Europe.On confond « info » et connaissances .Il faut pouvoir réfléchir pour se positionner .

  5. Article très juste. Les media français, mis à part quelques rares journaux, ignorent l’Europe et manquent de hauteur de vue, embourbés qu’ils sont dans la France. C’est bien dommage car l’Europe est déjà notre présent mais surtout notre avenir. Pour être au fait de ce qui se passe, le seul recours reste les journaux étrangers bien plus ouverts à cet égard et aussi Euronews.

  6. @ edulphie : Drôle ! Qui n’est pas Atlantico – eurolâtre est FN …
    Le FN va vous bénir , vous vous rendez compte du nombre de sympathisants ou votants potentiels dont vous venez de le créditer ?
    Qu’est-ce qui détruit les partis politiques ? Réponse : le militantisme outrancier.

  7. Le militantisme est l’anticorps de la société, les militants sont des lanceurs d’alerte : quand on voit un pompier éteindre un feu, on ne va pas lui demander pourquoi il le fait, ni lui dire qu’il gâche de l’eau et inonde le bâtiment.

  8. Tout à fait d’accord à la précision près sur le débat des leaders européens a été diffusé du i-télé et certains s’exprimaient en français, les autres étaient traduits en simultané !!! L’argument minable de France Télévision ne tient pas la route une seule seconde !

  9. Le mot n’est pas encore assez dur face a l’omerta des médias qui ont fait monter le Shaine et les extrémistes de tout poil!

  10. la télévision européenne a failli gravement; les débats européens ont eu lieu contre elle, le blocage de la télévision publique française faisant partie du paysage global. Heureusement, les candidats ont pris l’initiative, y compris pour s’exprimer dans leur langue maternelle dans plusieurs cas.
    Le scandale hélas ne se limite pas à la France. Il faut voir l’Union européenne de radio-télévision (UER)!!! une construction archaique par plusieurs aspects et qui semble vivre encore sur le mode international des années 50, sans aucune vision politique. Comment dépasser les ambitions de l’Eurovision??? cela suppose de penser Europe et citoyens….

  11. Je suis d’accord avec l’analyse exprimée sur le manque de courage des grands médias pour diffuser les débats sur l’Europe et d’aborder aussi les évolutions que vivent les européens. J’étais moi-même remonté sur le sujet.

    Pour que l’Europe soit encore plus une réalité, il faut encourager les échanges et de longues durées entre les gens par les séjours à l’étranger. L’Europe doit aussi être vécue.

    Pour les élections européennes, il faut encourager les débats entre européens certainement davantage à la télévision mais aussi de façon décentralisé. Alors seront peut-être débattus les points de convergences et de divergences pour tracer des orientations. Ainsi, nous parlerons vraiment d’Europe avec les grands enjeux et que soit compris cette complexité d’un espace géopolitique dont on ne peut se détourner.

    Peut-être devrait-on à terme être en mesure de voter pour des députés européens, listes pouvant être composées de plusieurs nationalités. La dynamique serait plus intéressante aussi pour exprimer de vrais orientations pour faire avancer l’Europe.

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