Nabucco face à ses concurrents européens

La sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne a été inscrite brutalement sur l’agenda politique communautaire suite aux deux crises gazières russo-ukrainiennes de 2006 et de 2009. Celles-ci ont mis en avant un double facteur de risque, lié au manque de diversification des sources d’approvisionnement et des routes de transit. Tous les États membres ne sont pas exposés de la même manière à ce double problème: si certains d’entre eux ont massivement investi dans des capacités de stockage leur permettant de tenir lors d’éventuelles crises énergétiques, une majorité de nouveaux États Membres restent encore dépendants d’un seul fournisseur, la Russie, et d’un seul gazoduc, qui transite par l’Ukraine.

Le Corridor Sud et la diversification des risques

La Commission européenne a imaginé une stratégie de diversification des risques par la conception du quatrième couloir d’approvisionnement, connu sous le nom de Corridor Sud. Celui-ci permettrait de relier le marché européen aux ressources de la Caspienne et du Moyen Orient, deux régions du voisinage proche de l’Union européenne, qui possèdent d’importantes ressources de gaz, comparables à celles de la Russie. De plus, le Corridor Sud induit une division des risques puisque les importations proviendraient d’un ensemble de pays et il est peu vraisemblable que

des problèmes y aient lieu en même temps. Plusieurs projets de gazoducs sont soutenus par la Commission européenne dans le cadre du Corridor Sud : Nabucco, l’Interconnector Turquie-Grèce-Italie (ITGI), le Trans-Adriatic Pipeline (TAP) et le White Stream. Parmi ces projets, Nabucco occupe une place de choix, depuis qu’il est devenu projet prioritaire européen suite à la première crise russo-ukrainienne de 2006. Nombreux sont les analystes ayant souligné, à raison, la concurrence entre Nabucco et South Stream, projet rival russo-italien soutenu par Gazprom et Eni. Pour autant, il existe une concurrence à l’intérieur même du Corridor Sud, car aucun des projets susmentionnés ne pourra voir le jour sans les dix milliards de mètres cubes de gaz disponibles à Shah Deniz à l’horizon 2015.

La concurrence intra-communautaire dans le Corridor Sud

Quatre projets sont en concurrence pour les ressources azéries dans le cadre du Corridor Sud : Nabucco, l’Interconnector Turquie-Grèce-Italie (ITGI), TAP et White Stream. L’ITGI constitue, comme Nabucco, un projet prioritaire européen. Il contribue à l’instar de ce dernier à accroître la sécurité gazière de l’Union européenne en diversifiant les sources d’approvisionnement et les routes de transit. Il est plus avancé que Nabucco, car seule l’interconnexion Grèce-Italie reste à construire, mais il a besoin de dix milliards de mètres cubes de Shah Deniz. Les promoteurs du projet mettent en avant que la quantité disponible à Shah Deniz 2 correspond exactement au besoin de l’ITGI. Si accord il y a, le projet se concrétisera, contrairement à Nabucco qui nécessite du gaz turkmène et irakien pour aboutir. Pour autant, le projet ITGI semble ne pas prendre en considération le coût de l’installation de compresseurs sur le réseau turc, supporté par BOTAS, qui devrait investir entre un et trois milliards d’euros. L’ITGI semble aussi être confronté à des problèmes de gouvernance dus à son principal actionnaire, Edison. Celui-ci souffre des désaccords de ses actionnaires, EDF et les municipalités italiennes.

L’autre projet en concurrence pour Shah Deniz 2 est le Trans Adriatic Pipeline (TAP). Ce projet de gazoduc d’une longueur de 520 kilomètres devrait transporter entre dix et vingt milliards de mètres cubes de gaz en provenance du Bassin caspien et du Moyen Orient vers le marché italien, en transitant par la Grèce et l’Albanie. Il est certes soutenu par Statoil, partenaire de Shah Deniz 2, mais son autre investisseur, suisse, semble avoir peu de moyens financiers. A titre informatif, il a réalisé un profit de cent vingt millions d’euros en 2009. En outre, Statoil n’est pas le seul acteur à prendre la décision de l’attribution du gaz de Shah Deniz 2. White Stream est aussi souvent évoqué, mais dans la pratique, rares sont les acteurs qui croient vraiment en ce projet. Le gazoduc devrait transporter entre huit et trente-deux milliards de mètres cubes de gaz en provenance d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan et du Turkménistan sur une route allant de Tbilissi à Soupsa en Géorgie jusqu’à Constanta en Roumanie, soit directement, soit en passant par la Crimée. Si cette dernière option est retenue, White Stream devrait traverser la zone économique exclusive russe pour la rejoindre. Il existe une version de White Stream, appelée AGRI, résultat d’un accord entre la Roumanie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Ce projet alternatif propose de remplacer le gazoduc offshore par deux terminaux GNC, l’un construit sur la côte géorgienne, l’autre à Constanta, où SOCAR, l’entreprise azérie, a déjà acheté un terminal pétrolier. AGRI est présenté par ses promoteurs comme un appel au réalisme, dans la mesure où la crise économique a signé la fin des projets ‘pharaoniques’. Le projet AGRI s’inscrit dans une optique qui se veut avant tout pragmatique: peu coûteux, ayant des sources d’approvisionnement assurées, il serait une alternative fiable pour résoudre le problème de la diversification du transit. Cependant AGRI apparaît plus comme un moyen de négociation utilisé par ces pays dans la négociation Nabucco plutôt qu’une vraie option, car la Roumanie ne dispose pas d’un réseau d’interconnexions pour permettre au gaz azéri d’atteindre le marché européen.

La force de Nabucco

Nabucco semble en passe de gagner la course aux approvisionnements face à ses concurrents. C’est le projet le plus abouti au niveau réglementaire et juridique. Le projet mené par OMV a profité des effets négatifs de la crise, notamment sur le développement de South Stream. Nabucco a aussi bénéficié de la transformation du marché gazier mondial et de l’apparition du gaz de schistes. Ajoutons à cela le soutien politique de la Commission qui s’est traduit par la récente visite du Président Barroso, accompagné du Commissaire à l’Énergie, en Azerbaïdjan et au Turkménistan. Si les déclarations du Président turkmène restent assez ambigües, le Président azéri a signé un accord qui engage son pays à approvisionner le Corridor Sud. Toute l’ambigüité est là. Alors que le Président Barroso a beaucoup insisté sur Nabucco, le Président Aliyev a mis l’accent sur le Corridor Sud, annonçant que son pays prendra ultérieurement la décision concernant le/s projet/s soutenu/s. Il est fort à parier, pour les raisons exposées ci-dessus qu’un seul projet sera soutenu et que ce dernier s’appellera Nabucco.

Adina Crisan-Revol, Assistante de recherche au Centre d’études européennes de Sciences Po & Pierre-Franck Herbinet, Secrétaire Général du Bureau Départemental (39) du Mouvement Démocrate, ont le plaisir de partager un article écrit en commun, intitulé: Nabucco face à ses concurrents européens.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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3 Commentaires

  1. Bonjour,

    Pour être compréhensible, cet article aurait mérité une carte pour l’illustrer plutôt qu’une photo d’estrade de minitres. Sans carte j’avoue n’avoir pas compris grand chose.

    Bonne réception.

    • Effectivement, cela aurait permis une lecture plus facile. Tout simplement, nous n’avons pas trouvé de carte libre de droit présentant les tracés, et pas eu le temps d’en faire une nous même. Pour mémoire, nous sommes entièrement bénévoles.

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