L’élection du président de la Commission, une (fausse) bonne idée ?

 

Le contexte

Les élections européennes de mai 2014, c’est demain ! Les partis traditionnellement « pro-européens » sont sur la défensive devant la montée de l’ « euro-scepticisme » ambiant, nourrie par la crise économique et sociale et les plans d’austérité qui frappent durement certains pays de l’UE, en particulier dans la zone euro. Cette situation fait peser sur le scrutin un double risque : celui de voir les électrices et électeurs se détourner des partis traditionnels par une abstention massive ou par le vote-sanction en faveur de partis euro-sceptiques, nationalistes et populistes. Pour tenter d’inverser ces tendances, les dirigeants et les partis « pro-européens » disposent de deux leviers : infléchir les politiques d’austérité vers la relance et la croissance, mais aussi sensibiliser les citoyens des pays de l’Union aux enjeux des élections. Sur ce dernier point, certains sont d’avis que l’élection du président de la Commission sur la base de candidatures présentées par les « partis politiques européens », porteuses de visions politiques rivales, serait de nature à mobiliser les citoyens. De quoi s’agit-il ?

Vous avez dit : « élections » ?

Le traité de Lisbonne (art. 17, par. 7 TUE) dispose que: « En tenant compte des élections au Parlement européen et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen (. . .) ». Bien que cette disposition du traité fasse deux fois référence aux termes « élections » ou « élu », le président de la Commission n’est élu, ni indirectement, ni a fortiori directement, par les citoyens européens. Question : le fait que les « partis politiques européens » présentent des candidat-e-s à la présidence de la Commission serait-il de nature à « personnaliser » et donc à « politiser », voire à « démocratiser » cette élection ? Encore faut-il savoir de quoi l’on parle exactement et, le cas échéant, peser les avantages et les inconvénients d’une telle innovation, qui est tout à fait possible sans modification du traité (TL-TUE). Toute modification plus profonde de la « gouvernance » européenne vers plus de « fédéralisme » ne serait portée à l’agenda politique, en tout état de cause, qu’après les élections de 2014. Au stade actuel, les « partis politiques européens » – qu’il ne faut pas confondre avec les « groupes politiques » du Parlement européen – sont des regroupements (de type confédéral) de partis nationaux qui ont décidé de se regrouper au niveau européen. Ces structures (dans lesquelles chaque parti garde sa pleine autonomie) coexistent avec les « groupes politiques » du Parlement européen, dans lesquels se retrouvent les députés élus sur les listes nationales des partis « frères » ou « apparentés ».

Rien n’empêche donc ces « partis politiques européens”/« groupes politiques » du PE de présenter leurs candidats respectifs et de prendre l’engagement de défendre leur candidat-e devant le Conseil européen, si ce/cette candidat-e provient du « parti politique européen »/« groupe politique » majoritaire ou encore de défendre le/la candidat-e soutenu-e par une éventuelle coalition majoritaire issue des élections de 2014.

Une innovation controversée : le pour et le contre

La « politisation » de la Commission, ou plus exactement de son président, a d’ores et déjà déclenché des controverses.

Une première controverse oppose des interprétations apparemment contradictoires sur la manière dont la Commission « promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin » (art. 17, premier paragraphe du traité de Lisbonne TUE). Ce débat – nourri par certains « puristes » de l’ « impartialité » de la Commission – qui serait placée « au-dessus de tous les intérêts particuliers » – n’est pas déterminant. Rappelons que les propositions législatives de la Commission sont, pour la plupart d’entre elles, soumises à la procédure législative ordinaire entre le Conseil des ministres et le Parlement : c’est une majorité parlementaire et la pluralité des positions reflétée par le Conseil qui détermineront le contenu de la décision finale sur la proposition initiale de la Commission. Rappelons aussi que les délibérations du Parlement européen se caractérisent souvent par un large consensus.

Une deuxième controverse est nourrie, entre autres, par le président du Conseil européen en personne, Herman VAN ROMPUY, pour qui l’ « élection » du président de la Commission serait une « fausse bonne idée » : la «  légitimité accrue » qui serait conférée à ce dernier, sans que les pouvoirs de la Commission ne soient renforcés, risquerait de susciter des déceptions et des frustrations. Ces doutes sont partagés par plusieurs ténors du Parti populaire européen et du groupe parlementaire du PPE.

En revanche, de nombreuses voix s’élèvent en faveur de cette innovation. Le groupe des socialistes et démocrates du Parlement européen (ASDE) et le Parti socialiste européen (PSE) défendent cette idée. La Commission européenne elle-même défend le projet, par la voix de la commissaire Viviane REDING. Pour sa part, le vice-président Maroš Šefčovič, en charge de l’administration et des relations interinstitutionnelles, a déclaré: «  Je suis convaincu que cette recommandation, associée à notre proposition visant à renforcer le rôle effectif des partis politiques européens, induira vraiment un regain d’intérêt des électeurs pour les élections européennes. Ce sera forcément une bonne chose, qui encouragera des débats véritablement paneuropéens, et confortera la démocratie européenne en général». C’est qu’une telle « élection », à condition qu’elle soit bien gérée par les partis politiques nationaux concernés, ajouterait une dimension « transnationale » aux élections européennes : les candidat-e-s désigné-e-s auraient l’occasion de participer à divers débats nationaux et stimuler ainsi l’intérêt des électrices et des électeurs. Comme l’écrit Philippe RICARD dans LE MONDE (2/10/13) : « Cette campagne personnalisée et la politisation de la Commission doivent permettre de mobiliser les électeurs, sur fond de montée des populismes. »

En guise de conclusion

Certes, les choses ne seront peut-être pas aussi simples, d’autant que, comme on l’a observé plus haut, les délibérations du Parlement européen sont souvent largement consensuelles. Cependant, si l’on peut, compte tenu de la complexité du système décisionnel européen, peser à l’infini les arguments « pour » et « contre », il n’en reste pas moins qu’une telle innovation consistant à « donner un visage à l’Europe » pourrait contribuer à réduire le « déficit démocratique » des institutions de l’UE. N’est-ce pas le moins que l’on puisse attendre des partis politiques et des groupes « pro-européens » du Parlement européen ? Le Conseil européen et son « président permanent » seraient eux aussi bien avisés d’écouter les (vraies) bonnes idées des citoyennes et citoyens européens qui veulent encore croire à l’Europe. . .

 

Roger Vancampenhout

 

 

 

Roger Vancampenhout

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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6 Commentaires

  1. L’ Europe est en métamorphose – expliqué à des enfants : le chenille qui « mute » en papillon. L’Europe -et la France – est en mutation. Si cela peut expliquer des pertes de repères, cela facilite l’émergence de boucs émissaires. Lors des élections les extrêmes en profitent, les électeurs sanctionnent. Sanctionnent quoi ? Peut être le manque de perspective en l’avenir et, s’il y a, le manque de lisibilité. Contexte, les « chenilles » s’agrippent au passé, on en voit pas les »papillons », c’est pourtant ce cap là qu’il faut mettre en perspective. N’est-ce pas la même chose pour l’Europe « politique », Bruxelles  » bureaucratique » a été vital pour la construction de l’Europe, mais ne devrait-elle pas « muter » en faveur de Strasbourg « démocratique » et ce progressivement. Un transfert de responsabilité et de décision, que les élu/e/s auraient à défendre, et projet qu’ils auraient à assumer, lors des élections, donnerait peut être sens, en tout cas, proximité avec les électeurs/trices. La stratégie de l’Europe en la matière, n’est pas de suivre, mais d’anticiper, cela a toujours été sa réussite et sa raison d’être..

    • Bien d’accord.

      Mais méfions-nous d’expressions comme Strasbourg « démocratique » et Bruxelles « bureaucratique ».

      Certains préféreraient que le Parlement siège à Wallis-et-Futuna pour qu’il exerce son contrôle démocratique de loin.

      La dispersion des centres de décision est un compromis qu’il a fallu accepter pour satisfaire les tendances nationalistes.

      Le nationalisme reste un fléau en Europe et il nous coûte cher. On espère un miracle : -( la France qui donne l’exemple 🙂

      Rationalisons

  2. L’Europe est morte, vive l’Europe
    Au rythme des traités successifs, des directives et autres règles incohérentes, l’U.E se meurt à petit feu. Le dernier sommet de Vilnius ne changera rien à ce constat. Ce n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois.
    Aujourd’hui, il est de plus en plus nécessaire que l’Europe ne se construise pas qu’à partir des gouvernances de chaque pays membre, mais qu’elle s’incarne et se cultive en chacun des citoyens. Serait-il utopique de faire de ces derniers les nouveaux pères fondateurs ? A quelques mois des élections européennes, il est temps qu’un appel solennel soit lancé afin de sensibiliser le peuple sur cette échéance avec, à la clé, le lancement d’une campagne européenne officielle digne d’une présidentielle. Agir pour que tous les citoyens aient à l’esprit cette nécessité : la refondation de l’Union européenne . Qu’ils débattent de plus en plus, qu’ils ne laissent pas à la seule classe politique et aux seuls médias cet avantage. Une source d’idées et de pistes doit naître de ces débats qui ne doivent pas rester le monopole des gouvernants et des politiques, mais une série de devoirs que ces derniers auront à accomplir pour assoir sérieusement et durablement l’Union européenne. Rappelons que le citoyen gouverne par délégation ( peu de citoyens ont cette notion à l’esprit ). Et si cela peut concourir à réussir l’Europe, une autre démarche est primordiale : que notre Président ne nous interpelle pas seulement sur cette échéance, mais interpelle aussi les Etats membres sur la nécessité, certes, de motiver aussi leurs citoyens respectifs, mais de désigner le Parlement à venir comme assemblée constituante, et ce, si nécessaire, par voie de traité. Celui de Maastricht avait bien instauré l’Euro. L’avantage : l’émergence de candidats députés plus motivés, parce que plus respectueux de la charge dans un nouvel hémicycle constructif et représentatif de la volonté des peuples d’Europe.
    Soyons conscients de cette priorité , refondons l’Union européenne, sinon elle appartiendra au passé, et donc aux historiens. 

  3. Les partis « traditionnellement pro-européens » sont ceux qui ont tué l’idée européenne en la transformant en machine contre les peuples. C’est la Chancelière allemande qui fait machine arrière sur l’excellente idée de donner la parole au peuple quant au choix du Président de la Commission.
    Que Van Rompuy s’offusque du renforcement de la légitimité du porésident de la Commission, c’est de bonne guerre car lui n’en a aucune. Par contre, que le PPE lui emboîte le pas, c’est pitoyable.
    L’UE dans sa forme actuelle a vécu, les peuples ne s’y reconnaissent plus. Même les fonctionnaires de Bercy, pourtant peu suspects d’amour pour l’UE, s’inquiètent sur les orientations du nouveau plan quinquennal.
    On ne sauvera pas l’Europe en continuant sur la lancée actuelle. Il est grand temps que les visionnaires s’unissent et soient présents dans les élections européennes, partout dans tous les pays.

  4. Franchement: en l’état actuel des institutions, une désignation démocratique du Président de la Commission, avec pour effet induit l’identification à un « visage » de l’Europe, ne serait-elle pas un peu embarrassante pour le Président du Conseil européen ? Il ne faut donc guère s’étonner de la position quelque peu réservée de M.Van Rompuy face à une telle perspective. Quant à une solution via la fusion des deux têtes de l’ « exécutif » que préconisent nombre d’auteurs, ceci serait une autre histoire…

  5. Cette élection est indirecte, insistant d’autant plus sur le poids du Parlement en charge. Sauf en France, les Premiers Ministres sont issus, en Italie, en Espagne, au Portugal, au RU, en Allemagne de la majorité qu’ils ont réuni sur leur nom. Ils sont ainsi véritablement responsables devant leur Assemblée et non pas devant un conseil dont la couleur politique peut varier sans cesse, ce qui les rend inamovibles de fait. L4europe doit être gouvernée par un élu ayant rang et légitimité de Premier Ministre, et non par un chef bureaucrate soumis aux lobbies !

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