Le SPD redevient le parti des classes populaires

La victoire du SPD lors des législatives allemandes de septembre dernier constitue une formidable nouvelle pour l’ensemble de la social démocratie européenne. Sous réserve du succès des négociations à venir, elle devrait permettre à Olaf Scholz de devenir Chancelier et donc à ce courant d’idées de gouverner le pays le plus peuplé ainsi que la première économie de l’Union Européenne. Ce qui n’est pas rien pour une famille politique que d’aucuns jugeaient comme moribonde il y a quelques années encore. En gagnant en Norvège quelques semaine plus tôt, les Sociaux Démocrates avaient du reste complété le grand chelem nordique après leurs victoires en Finlande, Suède et Danemark, celui-ci s’additionnant par ailleurs au grand chelem ibérique. La conquête de la Chancellerie allemande signerait donc de manière encore plus éclatante le retour en forme de la Social Démocratie.

D’autre part, les élections allemandes auraient pu matérialiser un basculement anticipé par certains analystes – mais pas par votre serviteur qui évoquait déjà le sujet en 2019 – à savoir le dépassement des Sociaux Démocrates par les Verts. Mais malgré des sondages initialement favorables et un résultat somme toute brillant même si il reste en deçà des attentes, les Verts sont finalement devancés de plus de 10 points par les Sociaux Démocrates. En cause une importante dichotomie entre la percée écologiste au sein des classes moyennes, urbaines et éduquées d’une part et leur incapacité à progresser de manière significative au sein de l’électorat populaire d’autre part. Quand l’un des principaux motifs de satisfaction de ces élections pour le SPD est, au contraire, leur reconquête spectaculaire des classes populaires.

Elle se traduit notamment par les performances sociales démocrates dans les Lander de l’ex Allemagne de l’Est, la progression du SPD par rapport à 2017 dépassant parfois localement largement les 10 points. Ce parti frôle notamment les 30% dans le Brandebourg comme en Mecklembourg Poméranie. L’analyse des transferts de voix montre qu’une partie importante de ces nouveaux votes provient directement des  Linke qui, en s’effondrant dans leurs bastions, sont passés en dessous des 5% fatidiques, ne sauvant d’ailleurs leur présence au Bundestag que grâce à leurs succès dans trois circonscriptions les dispensant ainsi du seuil d’entrée. Dans l’ensemble de l’Allemagne, le SPD remporte 27% du vote ouvrier devant l’AfD qui en totalise 21% et la CDU avec 20%. Certes, le fait que l’extrême droite arrive en tête dans deux Lander à l’Est (la Saxe et le Thuringe) noircit un peu le tableau et montre qu’une partie du chemin reste à faire mais on ne peut que se réjouir du constat global, qui constitue un motif d’espérance ainsi qu’une source d’inspiration pour le reste de l’Europe.

La réussite du SPD doit beaucoup au partage des responsabilités orchestré par le duo Esken/Walter Borjans avec Olaf Scholz. A ce dernier la candidature à la Chancellerie mais les premiers ont veillé à l’adoption d’un programme à forte coloration sociale: augmentation significative du salaire minimum, politique ambitieuse en matière de logements et de contrôle des loyers, réformes des allocations chômage, les années Schröder sont loin. Dans le même temps, les Linke, abandonnant la ligne Wagenknecht, ont privilégié le sociétal au social, espérant ainsi séduire les classes moyennes urbaines. Ce parti aura au contraire perdu sur les deux tableaux puisque ne gagnant rien chez ces dernières qui sont l’apanage des Verts (et du FDP) et se trouvant supplanté par le SPD au sein des classes populaires. Il est clair qu’entre un programme social convaincant initié par un parti ayant une chance de gagner et une plateforme décevante issue d’un parti dont c’était pourtant le point fort, le choix était somme toute logique.

 

Enfin, la tonalité de la campagne fut en l’espèce sans doute au moins aussi importante que le fond. En l’occurrence, le mot « dignité » aura le mot clé de cette réconciliation. Le discours traditionnel de la gauche sur l’égalité des chances n’est évidemment pas à remettre en cause dans son entièreté mais il a parfois eu tendance à laisser à penser que, dans le contexte d’une méritocratie qui serait plus juste, ceux qui ne s’élèveraient pas socialement ne pourraient s’en prendre qu’à eux-mêmes. Cet effet pervers a entrainé un ressenti de mépris dont les classes populaires ont le sentiment d’être victimes de la part des classes moyennes éduqués, même progressistes. Ce qui s’est d’ailleurs souvent traduit par un basculement des priorités du social vers le sociétal, souvent vécu comme une trahison par l’électorat populaire. Or, la crise autour du Coronavirus aura démontré à quel point des millions de salariés dans des emplois peu qualifiés –  au sens universitaire du terme – sont pourtant essentiels au bon fonctionnement de nos sociétés. Rendre leur dignité à ces métiers, cela à la fois sur le plan matériel avec de meilleurs salaires que sur celui de leur reconnaissance sociale constitue donc un enjeu clé pour la social démocratie, ce qu’a très bien compris le SPD dans cette campagne.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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9 Commentaires

  1. Une victoire partisane n’annonce pas nécessairement un infléchissement de la politique gouvernementale. N’oubliez pas que Scholtz a été le ministre des finances d’Angela Merkel et qu’en fait il a été élu parce qu’il s’est présenté comme son héritier. Surtout : il va devoir gouverner en coalition avec leFDP qui ne veut pas du programme economique de Esken et Borjans. Ce programme a servi à appâter les électeurs ouvriers de la SPD. Il va pour l’essentiel passer à la trappe une fois formé le gouvernement. Scholtz sera aussi progressiste qu’Helmut Schmidt et Gerhard Schröder.

  2. Parfaitement d’accord avec Jean-Paul Doguet. Sans majorité au Bundestag,même en s’alliant aux Verts, le SPD reste à la merci du FDP qui est sans nul doute le parti le plus proche du « Saint Marché et de la Sainte Finance ». Je reste donc très circonspecte quant à l’avènement d’un gouvernement plus social en Allemagne.

    Marie-Ange Pangaud
    Agrégée d’allemand.

  3. Oui le social est toujours une préoccupation majeure des citoyen.nes. Oui la social-démocratie sait répondre à ces problématiques, qui sont son ADN depuis le XIXème siècle. Oui on peut gagner des élections sur ce programme, pour enfin sortir de l’impasse néolibérale.

    • Notez bien que la SPD a joué un rôle important dans le virage néolibéral en Allemagne avec l’Agenda 2000 et le programme Hartz 4 mis en oeuvre par Gerhard Schröder.

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