La baisse du déficit avant les réformes structurelles : la faute de la Troïka

La Grèce n’est plus en déficit commercial. Or, en économie, le principal indicateur à suivre est l’excédent commercial (*). Si le pays a autant d’exportation que d’importation, il est quasiment dans une situation neutre vis-à-vis de l’extérieur. Après, il peut faire le choix d’avoir une dette publique élevée, financée par les habitants du pays, comme au Japon. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’un problème de déséquilibre macro-économique, mais de redistribution des richesses : les détenteurs d’obligations publiques sont des rentiers au détriment des classes populaires qui doivent payer des impôts pour payer les intérêts de la dette publique. Si les détenteurs d’obligations d’Etats sont des séniors, cela peut également poser l’enjeu d’inégalités entre les générations.

La fin du déficit commercial provient uniquement de la chute drastique des importations, suite au remède de cheval de la Troïka. Le PIB par habitant a chuté de 23 400 $(**) en 2007 à 18 600 $ en 2012, soit une baisse de plus de 20 %. Cette forte baisse a réduit très fortement le pouvoir d’achat et a limité d’autant les importations. Dans le même ordre d’idée, le salaire minimum a été réduit de plus de 20 %.
Une telle chute des salaires devrait fortement réduire les prix. C’est un résultat classique en économie : hausse des salaires implique hausse des prix et réciproquement. Ainsi, la situation grecque devrait très clairement être déflationniste.

Mais c’est loin d’être le cas. Certes, le taux de TVA est passé de 18 % à 23 %. Mais, il a fallu attendre mars 2013 pour voir une déflation. Fin 2013, les prix n’ont baissé « que » de 1,8 % en un an. D’où cela vient-il ? Clairement, de plusieurs éléments négatifs qui pourraient empêcher une reprise durable en Grèce : une trop faible concurrence sur le marché des biens, du service ou du travail. Une réactivité trop limité au changement. Bref, ce que les méchants libéraux appellent des « rigidités ».

Ces rigidités entraînent une différence très forte entre les autres pays en crise et la Grèce : alors que les exportations portugaises ont augmenté de près de 5 % ces dernières années, les exportations grecques n’ont pas augmenté. Ainsi, Daniel Gros explique :

« In Ireland, Spain, and even Portugal, exports grew strongly when the domestic economy collapsed and wages adjusted. But these countries were already more flexible and, in some cases, undertook strong reforms.” (lire la version longue ici)

A ce stade, 4 conclusions politiques doivent être tirées.

A) Des déséquilibres macro-économiques de la Grèce résolus en seulement 4 ans

Les déséquilibres macro-économiques ont été résolus en 4 ans ! 4 ans ! Ne pouvait-on pas prendre 2 ou 3 de plus pour le faire plus calmement ? Poser la question, c’est y répondre.

A contrario, ces problèmes étant résolus, si la Troïka continue de pousser un peu trop mémé Athènes dans les orties, elle pourrait décider de fausser compagnie à l’Europe…

B) L’échec des réformes structurelles en Grèce

La deuxième conclusion est que la troïka a, pour l’instant, échoué à faire les réformes structurelles en Grèce. Et là, force est de constater que les torts sont partagés. Le conservatisme des Grecs, celui de leur classe politique ou de leur administration est très bien décrit ici sur le blog de Jean Quatremer :
« On s’est occupé de 70 pays depuis 1945 et je peux vous dire que la Grèce se situe dans les 5 à 10 % les plus mal administrés que nous ayons rencontrés », raconte un fonctionnaire du FMI (c’est ici pour la version longue)

Mais l’Europe s’est-elle donné les moyens de le faire ? Existe-t’il un corps d’inspection qui pourrait intervenir en Grèce ou ailleurs pour s’assurer du respect des règles fiscales, sociales ou environnementales ?

C) La faute de la Commission : l’erreur de priorité

La principale conclusion qu’il faut ici pointer est l’erreur de priorité. La Troïka a décidé d’axer sa priorité sur la baisse du déficit et la résolution du déficit commercial. C’était prendre le problème à l’envers. Il fallait commencer par obliger la Grèce à faire les réformes qui allaient permettre à ce pays de repartir du bon pied. De plus, en donnant priorité aux réformes structurelles et en remettant à un peu plus tard la baisse du déficit, les dépenses publiques d’éducation et de santé auraient été préservées. Pour mémoire, le taux de mortalité infantile a augmenté de plus de 40 % en Grèce !

La baisse du SMIC, la diminution des salaires et le licenciement des « travailleurs improductifs », c’est l’inverse d’une politique structurelle de croissance, c’est juste créer du chômage et de la précarité…

Au lieu d’augmenter les impôts et la baisse des dépenses publiques, de baisser les dépenses publiques, la Troïka aura dû exiger de manière prioritaire la mise en place de toutes les réformes structurelles qui permettent la croissance.

Pour n’en citer que 5 :

mise en place d’un cadastre,
amélioration des mobilités entre les secteurs d’activité
simplification du chômage partiel,
libéralisation de certains secteurs d’activités
lutte contre la corruption

En effet, comment avoir un pays qui redémarre, si la corruption est « devenue quasi culturelle » comme le décrit Pierre Verluise, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) ? Comment faire redémarrer un pays si la mobilité entre les secteurs est impossible ? Comment faire rentrer les recettes fiscales sans cadastre ?

En Irlande, le libéralisme est présent : l’austérité y a un impact fort, mais lorsque l’austérité se réduit, le pays est en mesure de redémarrer. En Grèce, on est perdant sur les deux tableaux : non seulement, l’austérité a eu impact socialement dévastateur, mais en plus les rigidités non résolues empêchent le pays de redécoller même si l’austérité se terminait…
Aujourd’hui, heureusement, les priorités de la commission portent sur ces freins à la croissance : « Au coeur du cycle de négociations qui a débuté lundi figure notamment la levée d’entraves à la concurrence sur plusieurs marchés, comme celui du lait ou des médicaments. » (article disponible ici)

D) La fragilité française : la politique économique menée en France est la bonne

En France, le déficit commercial est 60 milliards €. Incroyable, les déséquilibres macro-économiques sont résolus en Grèce, mais pas en France.

Toute sortie de l’Euro en France aujourd’hui ne nous rendrait pas notre souveraineté, puisque nous serions dépendants des marchés financiers internationaux. Une sortie de l’Euro ne pourrait être envisageable que lorsque ce déficit commercial sera comblé. Comment le combler ? En diminuant le coût du travail par exemple et en améliorant l’investissement et la formation ou la négociation dans les branches. Avec le CICE par exemple. Ou même avec un pacte de responsabilité ? #ohwait !

La baisse du coût du travail et les contreparties du pacte de responsabilité ne sont pas des solutions libérales, c’est un choix stratégique pour faire face à une difficulté majeure de la France : son déficit commercial.

 

benoit bloissere 

Benoit Bloissère – @ben_economics
_____________________________
(*) pour faire plaisir au puriste, le vrai indicateur, c’est la balance courante. Elle tient compte du solde commercial et des revenus financiers nets entre le reste du monde et le pays. Si cette balance courante est négative, le pays est obligé de s’endetter à l’international pour financer sa consommation. Le pays vit au-dessus de ses moyens.
Un déficit public signifie que l’Etat vit au-dessus de ses moyens, mais cela ne signifie pas nécessairement que le pays dans son ensemble vit au-dessus de ses moyens.
(**) en dollars constants

Sources :

http://www.7sur7.be/7s7/fr/1536/Economie/article/detail/1751155/2013/12/02/Fitch-confirme-la-note-de-la-Grece-avec-perspective-stable.dhtml

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140106trib000807959/2014-la-grece-quitte-l-euro.html#xtor=AD-12

http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/politique-economique/221164600/dette-publique-japonaise-q

http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/09/60-milliards-d-euros-de-deficit-commercial-en-2013_4344959_3234.html

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=7&codeStat=BN.CAB.XOKA.GD.ZS&codePays=FRA&codeTheme2=7&codeStat2=x&codePays2=GRC&langue=fr

https://www.google.fr/search?q=salaire+minimum+gr%C3%A8ce&ie=utf-8&oe=utf-8&aq=t&rls=org.mozilla:fr:official&client=firefox-a&channel=sb&gfe_rd=cr&ei=u2EbU6uQFZGCjwf6yYDADA, http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/grece/pib-par-habitant.html

http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/grece/pib-par-habitant.html, http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/grece/taux-de-chomage.html

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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5 Commentaires

  1. Je vous suis très largement, mais alors pour être cohérent il convient de pousser énergiquement l’exploitation du gaz de schiste. Je me trompe ?

  2. Et si votre catéchisme, que vous récitez très bien, datait d’une époque révolue ? Voilà quarante ans que nous avons abandonné le Keynésisme pour la Pensée-Unique qui devait apporte « Modernité et Bonheur pour tous, et ça na marche pas, alors que le keynésisme fonctionnait très bien. J’ai passé ma vie professionnelle sous les deux systèmes, alors je peu comparer. Mais, ça na faisait pas l’affaire d’une oligarchie qui veut tout pour elle, et qui veut même voir des pauvres pour savourer leur supériorité. Cela a marché dans les temps anciens, mais ne marche plus dans les temps modernes. Vous ne pouvez arrêter la marche de l’Histoire vers toujours plus de civilisation ; nous sommes à la croisée des chemins.

    Entêtez-vous, puisque que vous êtes financé pour cela, mais ne soyez pas étonnés de ce qui va vous arriver.
    Bien cordialement.

    • 1 qu’appelez-vous keynesianisme? Dans un cadre Keynesien, des déséquilibres macroéconomiques du niveau de la Grèce posent tout autant problème.

      2 Pourquoi tant d’anti-européens sont-il persuadés que nous sommes « financés »? Nous sommes bénévoles et ne touchons aucune subvention. Etes vous-vous même financés pour venir commenter sur notre site?

  3. A part la notification de l’absence de cadastre en Grece, il y a peu à retenir de ce papier sentencieux , meme pas une allusion à l’évasion fiscale des armateurs et du clergé tout puissants. pour en cterminer par un éloge à la compétivité sauce hollandais…nul.

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