Elections tchèques : inexorable effet domino eurosceptique en Europe centrale ?

Après l' »illibéral » Viktor Orban au pouvoir en Hongrie depuis 2010, après le social-populiste Robert Fico revenu au pouvoir en Slovaquie en 2023, après la victoire du national-conservateur Karol Nawrocki aux élections présidentielles en Pologne du 1er juin, les portes du pouvoir à Prague semblent désormais s’ouvrir aux eurosceptiques au terme des élections législatives du 3 et 4 octobre derniers. Ce domino est-il une fatalité ? L’Europe centrale serait-elle définitivement perdue aux eurosceptiques ?

La victoire électorale d’Andrej Babiš, milliardaire tchèque de 71 ans et leader du parti d’extrême-droite ANO, affilié aux Patriotes pour l’Europe (PfE) de Jordan Bardella, est sans conteste. L’ancien premier ministre, qui lors de son mandat entre 2017 et 2021était étiqueté comme libéral, recueille 35 % des voix et 80 sièges sur 200 au parlement tchèque. Ce score d’ANO est d’ailleurs le meilleur résultat jamais atteint par un seul parti lors d’une élection parlementaire tchèque.

Le parti du premier ministre sortant, le conservateur (modérément) proeuropéen Petr Fiala (ECR), n’obtient quant à lui que 23 % des voix (52 sièges contre 71 en 2021). Les centristes de Stan (PPE), également membres du gouvernement sortant, arrivent troisièmes avec 11 % des suffrages et 22 sièges. Les Pirates, affiliés aux Verts au Parlement européen et détenteurs de la mairie de Prague entre 2018 et 2023, confirment leur statut de parti refuge de la gauche progressiste et remportent 18 sièges. Le parti d’extrême droite SPD (7,9 % des voix) et le nouveau parti des automobilistes (6,9 %) accèdent également au parlement. La coalition de gauche souverainiste Stačilo! (Assez), qui appelle à quitter l’OTAN et l’UE et favorise des relations plus étroites avec la Russie, quant à elle ne dépasse pas le seuil de 5% pour entrer au parlement. Les Sociaux-démocrates tchèques (CSSD), dont l’histoire remonte à 1878 et qui depuis la Révolution de Velours de 1989 avaient désigné quatre premiers ministres, disparaissent de la scène politique (0,18%). Le paysage politique tchèque ne compte plus non plus de parti libéral. En effet, jusqu’aux élections européennes de juin 2024, ANO siégeait avec les Libéraux de Renew Europe avant de rejoindre le groupe d’extrême droite PfE avec le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán.

Si la victoire de M. Babiš est claire, la messe anti UE n’est pas encore dite

Dans une première réaction, M. Babiš, tout en se déclarant « clairement proeuropéen et pro Otan », a d’ores et déjà indiqué sa préférence pour un gouvernement minoritaire soutenu par le SPD et le parti des automobilistes. Les analystes prédisent à la fois que la formation d’un gouvernement ou d’un « accord de tolérance » pourrait prendre des mois. Le SPD eurosceptique n’ayant obtenu « que » 8%, c’est-à-dire beaucoup moins que les 13% prévus par les sondages, M. Babiš n’aurait pas à faire trop de concessions aux extrémistes anti UE.

Par ailleurs, le président tchèque Petr Pavel, ancien chef des forces de l’Otan et proeuropéen convaincu, avait pris l’engagement de ne pas nommer de ministres qui préconisent le retrait de la Tchéquie de l’OTAN ou de l’UE. Il avait également déclaré qu’il consultait des avocats sur la question de savoir s’il fallait bloquer M. Babiš sur le conflit d’intérêts posé par son empire agricole Agrofert.

Enfin, M. Babiš attend actuellement un verdict du tribunal de district de Prague pour savoir s’il a fraudé l’Union européenne d’un montant de 2 millions d’euros afin qu’Agrofert puisse recevoir des subventions destinées aux entreprises de taille moyenne.

Son accession au pouvoir est donc semée de quelques embûches encore.

Ces élections sont-elles l’expression d’une originalité tchèque ou centre européenne ?

Au regard du fait que le parti d’extrême-droite SPD soit conduit par Tomio Okamura, un binational japono-tchèque, ou que le parti des automobilistes, qui rappelle un peu le parti de la bière dans l’Allemagne de l’Ouest des années 1980, puisse obtenir près de 7% à ses premières élections et rejoindre une coalition gouvernementale, il serait tentant de minimiser le résultat de ces élections et l’interpréter comme l’expression d’une originalité tchèque, propre au pays du brave soldat Švejk. D’aucuns pourraient également considérer avec fatalisme que ces élections s’inscrivent dans une excentricité d’Europe centrale.

Pourtant, la situation politique dans les pays d’Europe occidentale, notamment sur fond de chaos politique en France ou d’une AfD frisant les 40% dans certaines régions d’Allemagne de l’Est, devrait imposer une certaine humilité. Mais c’est surtout l’analogie avec Trump qui est indéniable : un populiste milliardaire, de retour sur une vague de mécontentement généralisé, promettant de renverser un « establishment », qui semble avoir abandonné des régions entières au sein du pays.

La carte électorale est frappante à cet égard. En dehors des principales villes de Prague et Brno, ce sont les villes moyennes et les zones rurales qui ont apporté la victoire à ANO. Ces territoires à faible productivité, à faible création d’emplois, à faible croissance et dépourvus de perspective de développement. Le soutien actuel 21 milliards d’€ pour la période 2021-2027 au titre de la politique de cohésion de l’UE n’aura pas été suffisant.

A travers toute l’Europe, et non seulement en Europe centrale, c’est cette « géographie du mécontentement » (geography of discontent) identifiée par l’économiste Andrés Rodríguez-Pose et ce déficit de cohésion territoriale qui menacent la viabilité même du projet européen.

Source: 2025 Czech parliamentary election – 2025 Czech parliamentary election – Wikipedia

Si l’Union européenne devait ne pas réussir à redonner une perspective à ces territoires en déshéritance, notamment dans la nouvelle période de programmation 2028-2034 de la politique de cohésion, l’Union risquerait de n’être plus qu’un marché lâche d’États-nations.

Quelles conséquences des élections tchèques pour l’Union européenne?

Un futur gouvernement Babiš devrait être hostile à l’action environnementale de l’UE, notamment la fin du moteur thermique dans les véhicules neufs après 2035, et s’opposer aux négociations d’adhésion de l’Ukraine sans pour autant s’aligner sur Moscou au même degré que la Hongrie. Ce revirement par rapport à l’Ukraine serait d’autant plus paradoxal que la République Tchèque compte certes le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens par rapport à sa population (alors que la France accueille proportionnellement le moins de réfugiés ukrainiens de tous les Etats-membres de l’UE) mais a selon toutes les analyses le mieux réussi leur intégration, notamment sur le marché du travail.

Source: Temporary protection for persons fleeing Ukraine – monthly statistics – Statistics Explained – Eurostat

Sur le renforcement des dépenses militaires, M. Babiš a estimé que le pilotage de l’initiative européenne visant à fournir deux millions de munitions à l’Ukraine, dans lequel la République tchèque aurait dû jouer un rôle prépondérant, devrait incomber à l’OTAN.

Le futur gouvernement tchèque devrait enfin ne pas être « commode » dans les négociations sur le futur cadre financier pluriannuel 2028-2034 de l’Union européenne et notamment l’identification de nouvelles ressources propres pour ce budget.

La domination actuelle de partis eurosceptiques voire europhobes en Europe centrale plaide pour que le futur budget de l’Union européenne soit conçu sur un modèle décentralisé et que soit en particulier maintenue au niveau de la politique de cohésion la gestion partagée des fonds entre la Commission européenne et les collectivités territoriales.

Matthieu Hornung
Matthieu Hornung
Animateur de Sauvons l'Europe en Belgique. Administrateur au Comité européen des régions.

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