De la démocratie en paysage de retraites

La substance de la démocratie est une chose évanescente, qui se dérobe à chaque fois que l’on croit fermement la saisir. Nos recettes les mieux établies peinent à fonctionner au niveau européen, le Parlement n’ayant toujours pas pris le rôle auquel le destinerait le suffrage universel. A l’inverse, une osmose démocratique a poussé le Conseil, espace intergouvernemental, à suivre la volonté commune de solidarité des peuples européens face au Covid ou à l’agression russe. Les figures démocratiques réelles sont donc parfois détachées des modèles qui circulent dans les manuels.

La France connaît une période singulière. Pour la première fois depuis longtemps, son gouvernement ne jouit plus d’une majorité absolue au Parlement. Si la situation est banale dans d’autre grands pays, elle semble avoir provoqué chez nous une panique irrépressible tant la pratique du compromis nous est étrangère. A la place d’une tentative d’entente multipartisane, nous voyons multiplier les tentatives de blocage des institutions et l’usage répété des artifices constitutionnels du 49.3 et désormais fameux 47.2 pour y répondre – ou les devancer. Ces procédures, dites du parlementarisme rationalisé, avaient été introduites après l’expérience de l’agonie de la IVéme République, usée par des guérillas parlementaires incessantes dont le caractère démocratique pouvait être questionné.

Quelle substance démocratique pouvons-nous trouver dans ce débat ? Le projet de réforme sur les retraites a été concerté jusqu’à plus soif, sans qu’il en conserve de trace visible. Ses justifications publiques sont soit mal établies, soit controuvées. On ne sait pas clairement si l’équilibre des retraites est en péril de faillite, et si cela serait dû à une pression démographique ou à une volonté de réduire les financements qui lui sont affectés. La dimension de protection des plus faibles portée par la réforme n’apparaît plus évidente. Face à cela une stratégie d’opposition dominée par le bruit, sans que les options pratiques soient là aussi fortement débattues.

C’est que les vecteurs de démocratie existent en l’occurrence : il s’agit des syndicats. Il y’a bien longtemps qu’une intersyndicale unanime ne s’était pas constituée en France. Cela signifie nécessairement quelque chose, ces organisations n’étant pas hors sol. C’est un message de la base, constituée des travailleurs de notre pays. Leurs positions ne sont pas fixées par des chefs en fonction de leurs considérations tactiques : la direction de la CFDT a été mise en minorité sur les retraites lors de son congrès, et celle de la CGT doit faire face à des fédérations très divisées à cet égard. Quand les syndicats réclament de façon unanime que le débat parlementaire ait lieu pour permettre l’affirmation claire des opinions politiques, les partis qui prétendent relayer leur combat doivent l’entendre.

La vitalité de notre démocratie repose sur aussi sur les corps intermédiaires et la reconnaissance de la pluralité des opinions et des intérêts. Ceci appelle une politique sincère de recherche de compromis et de construction de ponts, quand personne n’est majoritaire à lui seul ou ne peut prétendre incarner seul l’opposition. L’expérience européenne devrait nous le rappeler constamment. Nous l’écrivions à propos des gilets jaunes, nous le répétons aujourd’hui : prétendre incarner seul le Peuple est une pratique dangereuse pour la démocratie.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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10 Commentaires

  1. Votre intervention est très pertinente. Mais il me semble qu’il faut interroger le sens des mots : concertation par exemple, on peut dire qu’il y a eu concertation, mais le gouvernement n’en a pratiquement pas tenu compte, dans ces conditions, est-ce encore de la concertation ?
    En fait, le vrai problème est en amont, et pour moi est une conséquence de la Constitution de la Ve République, de fait présidentielle. L’élection du président au suffrage universel et le système d’élection des députés à l’Assemblée Nationale (qui privilégie le parti au pouvoir) a détruit (c’était d’ailleurs le but avoué de De Gaulle) toute idée de négociation politique (et peut-être de pensée politique) entre les différents partis, qui sont progressivement tous devenus des « écuries » pour présidentiable plutôt que des espaces de réflexion et d’action politique. D’où sans doute la panique actuelle : pas de majorité absolue et aucune vraie possibilité de coalition puisque tout compromis est immédiatement vécu de part et d’autre comme une soumission au cheval de l’autre écurie ! Il n’y a pas de négociation possible quand l’une des parties exige la capitulation sans condition du partenaire ! On le voit bien avec les « raliés » venus de la « gauche » ou de la « droite » à Macron, ils ont abandonné tout ce à quoi ils ont cru et qu’ils ont défendu dans leur vie antérieure.

    Merci de votre intervention qui m’a fait réfléchir.

    • Complètement d’accord avec vous sur votre expression « écuries pour présidentiable ». C’est exactement ça la V ème République, une course tous les 5 ans… C’est pourquoi j’ai bcp appuyé Mélenchon qui veut une 6ème R. Même si je ne suis pas toujours en accord avec lui en ce qui concerne l’Europe et la politique étrangère.

  2. Profondément d’accord avec cette analyse, zn particulier sur le rôle d’acteurs démocratiques des syndicats unis. Ils représentent le peuple français, de façon plus complète à mon sens que les partis politiques.

  3. Je suis complètement d’accord avec Podevin. Encore faudrait-il que les entreprises ne s’appliquent pas dissuader les salariés de se syndiquer.

  4. Au risque de perdre mon, ma, dernier.e follower.euse ! Petit dé-lire de poésie politique, du coq à l’âne, la poule y retrouvera ses petits : On part pour les Indes, fort de toutes les vérités scientifiques de l’époque et l’on découvre qui l’Amérique, qui le Pacifique et basta de toutes nos expertises ! Comment nommer le monde d’après avec les mots d’aujourd’hui, déjà d’hier !

    Coup de télescope : De la révolution Macron : « obéissance, inégalité, individualisme » ou faire table rase de 1789, de ce flambeau olympique, de ces lumières, de toutes ces valeurs : « liberté, égalité, fraternité », droits de l’homme, démocratie… que la France a osé porter à travers l’obscurité du monde d’alors, ses certitudes « immuables », fatalistes ! 
    Macron ou le VRP de la renaissance du rêve trumpiste, d’une société ou chacun est égal et peut réussir pourvu qu’il se donne la peine de traverser la rue (L’ENA soldée, à portée de tous) , vieux rêve, « narratif fictionnel », auquel peu d’américains croient encore !

    Coup de périscope donc ou quand les analyses sous-marines remontent à la surface pour se confronter au réel.
    « La substance de la démocratie est une chose évanescente ». Radio Spinoza, 1677 : « La plupart des erreurs consistent en cela seul que nous ne donnons pas correctement leurs noms aux choses. » La Chine, la Suisse, la France se targuent toutes d’être démocrates, de représenter le pouvoir du peuple. Pourtant, la République Populaire de Chine c’est plutôt la citation ironique d’O.Wilde : « la démocratie, c’est le matraquage du peuple par le peuple (élections) pour le peuple ».

    L’abbé Sieyès, qui a participé à la rédaction de notre première république, a bien précisé que ce n’était pas une république démocratique, qu’il ne s’agissait que d’évacuer le peuple, et ses idées bizarres d’égalité, du pouvoir pour le remettre entre les mains de la bourgeoisie afin qu’elle vote les lois défendant ses intérêts, une république censitaire donc. Les choses ont-elles vraiment changé depuis ? Y-a-t-il des débats enflammés sur la parité sociale à l’AN ? La Suisse est une démocratie plus directe que la nôtre, où le peuple à son mot à dire, a un réel pouvoir décisif ! Nous sommes une démocratie non directe mais représentative, où nos représentants, comme des distributeurs entre les producteurs et le consommateur, touchent leur benef au passage et transmettent à leur façon la parole du peuple ! Il n’est pas de sauveurs suprêmes, Ni Dieu, ni César, ni Tribun, Producteurs sauvons-nous nous-mêmes! Décrétons le salut commun! E.Pottier, l’Internationale !

    C’est quoi ce binz de sociale-démocratie ?  Du capitalisme à visage humain, de l’exploitation de l’homme non-brutale, tendre, empathique, sympathique ?

    Apparemment tous les « démocrates » ont peur d’un referendum, une possibilité de la 5éme, usée 4 fois par son créateur. Les poignées de mains cambouitiques, les couches pleines, l’odeur du peuple c’est bien mais pas trop près, le flatter une fois tous les 5 ans pour mieux le mépriser aussitôt élu, accusant l’autre de populisme! Un referendum sur la retraite Macron serait le bienvenu, éviterait bien des fatigues, des sacrifices inutiles! Quand on ne veut pas d’une machine à laver, à vous lessiver, on ne perd pas son temps à écouter le boniment du vendeur, son évangile argumentaire, on lui claque la porte au nez !

    Le sens du mot démocratie n’est pas « évanescent » mais polysémique : le même mot pouvant désigner des réalités différentes ! Macron, ou plutôt MCKinsey, tous les publicitaires, n’utilisent pas comme les savants le langage comme un outil permettant de chercher une vérité (bien que…) mais comme un outil de pouvoir, de manipulation, de domination et savent particulièrement jouer sur la polysémie des EDL, voir les détourner vers un tout autre sens incompréhensible à l’ entendement commun !

    Sur ce à la revoyure, je cours stocker du PQ en vue de la grève du 1 avril !

  5. Comme d’habitude, vous vous gardez bien de ne pas prendre position sur le fond de la réforme proposée par le gouvernement Macron. Comme syndicaliste à la retraite et comme homme de gauche, je trouve que la réforme (comme toutes les autres proposées par la droite visant à augmenter le temps de travail) est beaucoup plus un problème de répartition équitable des richesses produites qu’un problème d’allongement de l’espérance de vie. Elle révèle la pertinence toujours actuelle de l’analyse marxienne sur le taux de profit, la plus-value et le temps de travail. En cela, il s’agit essentiellement d’un problème politique plus qu’économique. En cela, vous avez raison, mais je dois dire que votre neutralité m’agace quelque peu (sur un site qui se déclare euro-progressiste) à un moment où la France entière est en ébullition sociale !

  6. Etrange ! tout le monde veut un régime parlementaire : on l’a ! il y a eu un compromis entre forces politiques ce qui naturellement réduit la lisibilité du projet ! et ceux qui veulent le régime parlementaire préfère la rue et ne pas voter a l’assemblée !

    • Les choses sont plus complexes que cela. Pour faire court, sachez que la protestation de la rue a toujours joué un rôle important dans l’histoire des démocraties parlementaires au niveau des conquêtes sociales et de leur défense que ce soit le suffrage universel, la journée des huit heures, des congés payés et de bien d’autres encore.

  7. Bonjour.

    Sommes nous vraiment en démocratie, j’en doute ?

    Les accaparateurs de richesse agissent dans l’ombre, ils achètent, ils corrompent, ils faussent les règles de fonctionnement de la démocratie.

    Le report de l’âge de départ à la retraite n’est pas nécessaire si la répartition des richesses n’étaient pas faussée, pour exemple, il suffit de voir comment l’état oriente l’augmentation des revenus des salariés, il préconise des orientations ou il n’y a pas ou très peu de cotisations sociales dont celle destinés à la retraite.

    Je le soupçonne même d’avoir mis en place une stratégie consistant à faire disparaître notre protection sociale commune pour la transférer au secteur privé qui s’en mettra plein les poches, qui ne fera pas son travail correctement.
    Pour preuve, le groupe KORIAN dans le secteur de la santé, savez vous qu’une personne hospitalisée chez eux à cause d’un AVC ne reçoit pas la totalité des soins (kinésithérapie) auxquels il à droit, ?
    Et oui, on fait des économies pour avoir une plus forte rentabilité, le pire est que personne n’ose se plaindre car il y a un manque de place, on a créé la pénurie pour faire taire les gens ?

    Est-on vraiment en démocratie ?

    Je vous le dis, je parle vrai, est ce le cas pour tout le monde ?

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