Paul Magnette : de la colère à un imaginaire de progrès

Dans le cadre de la parution de son livre La Vie Large – manifeste écosocialiste, le président du Parti socialiste belge francophone, Paul Magnette, a répondu aux questions de Sauvons l’Europe.

Vous ouvrez un débat sur l’avenir de la gauche au travers d’un livre « qui prend le temps » et détaille l’ambition d’un écosocialisme. En même temps, vu de France, le PS wallon, que vous présidez, continue à d’obtenir de bons scores au sein de l’électorat issu des classes populaires, à l’instar des partis scandinaves. Comment expliquez vous ce phénomène ?

N’oublions quand même pas que le socialisme municipal conserve en Europe sa puissance et son maillage territorial. C’est vrai également en France et en Italie, mais dans une moindre mesure. D’ailleurs, j’ai rencontré récemment le maire de Florence, qui a publié un livre évoquant le danger d’un PD coupé de la société civile, et il est conscient du problème.

Effectivement, le PS wallon conserve un réel ancrage au sein des classes populaires. L’une des principales raisons réside dans nos liens avec le monde syndical et associatif, avec un monde du travail avec un taux élevé de syndicalisation. D’autre part, nous avons veillé à maintenir un niveau élevé d’éducation populaire au sein de nos sections, dans une pure approche Gramscienne : notre parti reste très impliqué dans cette tâche.

D’ailleurs, se sont formés des groupes de débat autour de la lecture de mon livre, impliquant des gens de tous horizons, ici en Belgique. En effet, il ne suffit pas de se proclamer écosocialiste, il faut faire de la pédagogie.

Quels objectifs vous fixez vous avec ce livre à la couverture rouge écarlate ? Fixez vous un cadre européen à votre appel à un aggiornamento socialiste ? Souvent, la gauche regrette l’occasion manquée du tournant de l’an 2000, quand elle était majoritaire au Conseil Européen…

… La période de la fin des années 90, il y a quand même eu des avancées réelles et le traité d’Amsterdam est beaucoup plus social que celui de Maastricht ! Reste un goût d’inachevé, car la social-démocratie aurait dû faire mieux. Elle a payé ses divisions entre les tenants de la troisième voie et ceux défendant une approche plus à gauche.

Mais regardons devant nous ! J’ai été agréablement surpris par le dernier manifeste du PSE qui gomme en partie les divergences traditionnelles entre une gauche du nord, plus rigoureuse et une gauche du sud, désireuse d’une coordination fiscale et budgétaire plus importante. De plus, le nouveau président du PSE, Stefan Lofven, est issu du monde ouvrier et syndicaliste suédois. Son parcours est en lui-même un témoignage. Avec Pedro Sanchez, récemment élu à la tête de l’Internationale Socialiste, ils forment un duo intéressant.

Dans votre livre, vous revenez longuement sur la « dimension écologique » sous-jacente au combat socialiste, dès ses débuts, quand il s’agissait de « discipliner » l’usine et l’émergence d’une économie capitaliste. Pourtant encore aujourd’hui en Europe, Syndicats et partis de gauche ne sont-ils pas trop souvent soumis au dilemme Emploi/Climat, notamment dans le fléchage des aides publiques ? 

Par construction, la transition vers une économie décarbonée implique de consommer moins d’énergie et de recourir à des organisations humaines plus denses, avec un fort besoin d’emplois.

En même temps, beaucoup de secteurs (Chimie, automobile…) vont connaître des mutations, voire disparaître sous leur forme actuelle. Nous parlons ici de millions de poste de travail en Europe.  Dans ce contexte, le maître mot est ici anticipation. Par exemple, la Fondation pour la nature et l’Homme a confirmé, dans une étude récente, que la filière automobile en France peut s’adapter à la donne climatique en conservant peu ou prou l‘ensemble des postes de travail. A condition d’anticiper.

En revanche, lorsque rien n’a été anticipé l’action publique se retrouve face au choix cornélien « Emploi versus Climat ». Peut-on alors reprocher aux syndicats de se mobiliser pour maintenir l’emploi, ce qui reste leur vocation première ?

Plus largement, l’Europe doit-elle accepter l’idée de « reconstruire » son économie ? 

Pour accompagner l’extraordinaire mutation économique devant nous, nous devons explorer plus avant la formule « d’une garantie emploi » comme ce que propose le « Green Deal ».

En tant que maire de Charleroi, je mène actuellement un test sur mon territoire, auprès d’un premier bassin de 10 000 concitoyens. Mes équipes jouent un rôle de « go-between » pour référencer les compétences disponibles d’un côté, et les besoins sociaux actuellement non couverts.

L’idée est de garantir un revenu aux ouvriers et salariés des secteurs industriels en mutation via un emploi répondant aux besoins non pourvus dans nos sociétés. La taille optimale, pour mettre en pratique une telle garantie, me semble être un bassin de vie de l’ordre de 200 000 à 500 000 habitants. Même si le financement reste principalement national et européen.

Nos sociétés vivent une cohabitation périlleuse entre Écologie, Démocratie et Combat social.  Comment votre proposition d’une « Vie large » résout elle cette équation politique ? Est-ce une manière d’habiter à nouveau la notion de « progrès », antidote puissante aux colères humaines auxquelles vous faites par ailleurs référence ?

A titre personnel, J’ai mesuré les effets de cette colère à l’échelle d’un continent (avec les conséquences planétaires que l’on sait…), lors d’un voyage en 2016 à Pittsburg, qui est jumelée avec ma ville de Charleroi. J’y ai visité un ancien territoire industriel, avec beaucoup d’emplois ouvriers détruits, et des électeurs en colère, traditionnellement démocrates, qui me disaient voter pour Trump… même si heureusement, certains semblent avoir changé d’avis en 2020.

Face à cette colère, il nous faut, nous socialistes, reconstruire un imaginaire de progrès. Comme ce fut le cas aux origines pré-marxistes du mouvement ouvrier, avec le développement d’un imaginaire de progrès embrassant un nouveau rapport à la nature, au travail, à la sexualité et au rapport homme femme, sans oublier la culture.  Un imaginaire qui a rendu le mouvement ouvrier de plus en plus désirable, tout au long du 19ème siècle. Nous avons connu plus furtivement la même effervescence autour de Mai 68. Aujourd’hui je plaide à nouveau pour que nous retrouvions le chemin d’une vie large !

Vous formulez en conclusion dix propositions qui soit s’inscrivent dans un cadre européen, soit requièrent le poids de l’UE pour s’imposer au niveau de la planète…

L’Europe se situe à un niveau majeur de responsabilité dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’Europe est la seule puissance qui joue un rôle de médiateur, assumant sa responsabilité « géoclimatique » au niveau mondial.

Même si nombre de citoyens aiment pointer l’Europe comme le bouc émissaire « facile », c’est quand même l’Union Européenne qui a été – à la COP qui vient de se tenir en Égypte – le médiateur entre la Chine, les Etats-Unis et le reste du monde. C’est grâce à elle que les pays les plus pauvres exposés au réchauffement climatique disposent d’un début de fonds de compensation.

Dans ce cadre, quid de la responsabilité de chaque niveau de pouvoir en Europe ?  

L’Union Européenne doit fixer le cadre global mais l’appropriation d’une industrialisation vertueuse est un défi à l’échelle locale, avec une certification dans l’exploitation et le contrôle.

Cette responsabilité de chaque niveau de pouvoir en Europe, elle est importante sur le plan industriel. Car celui des grands ensembles mondiaux qui aura développé une industrie décarbonée le premier, aura de facto un leadership sur les autres. Si l’Europe le fait en premier, les Etats-Unis suivront pour tenter de garder leur leadership.

Comme mentionné plus haut, des zones urbaines de 200 000 à 500 000 habitants sont adaptées à la mise en place de cette industrialisation innovante grâce à une alliance bien connue en Europe, entre fonds européens et exécution par des compétence locales. Ce dialogue direct entre le Continent et le Local s’appuie aussi sur les Etats comme garant de l’équité sociale.

[author title= »Henri Lastenouse, Sébastien Poupon & Thomas Delavergne »]animateurs de Sauvons l’Europe[/author]

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8 Commentaires

  1. Comme syndicaliste wallon, pendant ma vie professionnelle (je suis aujourd’hui retraité), j’ai été constamment confronté à un parti socialiste belge francophone complètement acquis au néolibéralisme, à partir du début des années 80 jusqu’à la crise financière de 2008. Cette ligne politique a enfanté de très nombreux « parvenus » complètement corrompu au capitalisme, utilisant les institutions publiques pour des enrichissements personnels (il serait trop long d’en faire le détail ici mais les «affaires » furent nombreuses. La ville de Charleroi ne fut pas épargnée). Aujourd’hui, subsistent encore certains de ces individus (de plus en plus rarement, heureusement) de cet acabit au sein du parti socialiste francophone de Belgique. D’autre part, il ne faudrait pas surestimer la fonction d’éducation populaire (permanente) du parti socialiste, le syndicat FGTB (socialiste), auquel j’appartiens, me semble beaucoup plus actif dans ce domaine notamment via notamment le Cépag (Centre d’éducation populaire André Genot). Beaucoup est à reconstruire de ce côté-là au sein du Ps. Le livre de Paul Magnette ainsi que sa résistance au Ceta me semblent aller dans le bon sens. Personnellement, j’ai démissionné du PS en 1982. Peut-être que sur mes (très) vieux jours, je pourrais y ré-adhérer mais il y a du travail au sein d’un parti qui a été très abîmé.

    • Ceta, Jefta, Mercosur….
      Le libéralisme peut-il avoir du bon ?
      Redéfinir les accords commerciaux peut-il être bénéfique, tant pour les hommes, que pour la vie et la planète ?
      Et puis, tenter de réécrire l’esprit de prédation qui régit nos échanges… A t’on vraiment le choix ?
      Poutine essaie avec le BRICS, … Le Commonwealth s’essoufle…
      Tous dénoncent l’inhumanité, l’inégalité, la déloyauté des règles commerciales…
      Le profit pré/post-colonial des accords de Bretton-Woods que tous ont signé après guerre…
      Réécrire ? Oui, tous s’en accordent…. mais comment ?
      Le Ceta et le Jefta auront peut-être le mérite d’instituer du changement…
      Puisque le Mercosur ne semble pas recueillir la confiance.
      Encore faut t’il s’entendre et se donner les moyens de créer cette confiance.
      Le Ceta est loin d’être parfait… Pour autant… C’est mieux que rien.
      Ne rien changer, c’est la mort assurée.
      Allez savoir ce qui peut germer de cette graine de (mauvaise) idée ?

  2. En France, Anne Hidalgo obtient le score le plus bas de l’histoire du PS, 1,7 % des voix exprimées lors du premier tour de l’élection présidentielle 2022. En 82, Mitterrand a abandonné le rêve socialiste de réformer le système pour plus de justice sociale et a abdiqué devant la puissance de banques comme la BNP. La classe ouvrière a quasiment disparu avec les délocalisations au profit des services, du commerce, privé, numérisé, uberisé. Le PS hésite encore entre les dinosaures macrono-hollandiens et l’ombre de Mitterrand, de Jaurès.
    La France paie aux USA 5 fois plus cher que les américains le gaz de schiste qu’elle lui achète, gaz souvent produit par Total US. La France et l’UE, pour suivre la guerre, la politique économique des USA contre le bloc Russo-chinois a du quitter ses fournisseurs russes, moins coûteux, au profit des USA et des pays musulmans producteurs de gaz, les voilà donc à la merci de ces pays qui en profitent pour accentuer leurs influences.
    Nous subissons donc les conséquences collatérales de choix politiques, le marché mondial n’est plus libre, il est interdit de commercer avec les concurrents des USA, il faut choisir son camp, le monde est de nouveau divisé en 2 blocs, celui du « bien » et celui du « mal » !!!
    Difficile de combattre frontalement la Chine avec laquelle, pour l’instant nos intérêts économiques sont étroitement liés. La France réorientant ses délocalisations vers les US favorisant ses produits ?L’UE doit donc, si elle veut rester un peu indépendante, se battre à la fois contre le bloc russo-chinois et contre ses « alliés » US, développer son propre marché intérieur et extérieur.

    • Vous le dites bien… « il faut choisir son camp »…
      Depuis Mao et Tchang kaï-chek rien n’a changé….
      Entre Roosevelt et Staline, la même course à la puissance, au pouvoir….
      Qui sera le maître du monde ? Qui aura la raison ?
      Pour autant la finalité, nous la connaissons tous. Malraux nous le rappelle bien dans « la condition humaine ».
      Quel que soit ton camp, tu finira vivant dans le four de la locomotive ou mort au fond d’un goulag.
      Choisir un camp, c’est choisir la mort… Ne pas en choisir, c’est aussi choisir la mort…
      Quoi que vous choisissiez, la mort est au bout car quand on règne, il ne peut y avoir de partage.
      Capitaliste ou communiste, au fond, il n’y a aucune différence.
      Esclave d’un patron ou esclave d’un régime, expliquez moi la différence.
      Tout s’est construit dans la cruauté… et aujourd’hui nous voudrions l’oublier…
      Mort de rire.
      Passer à autre chose ? Oui… Certes.
      Mais certains n’oublient pas les traumatismes du passé et en plus ils osent demander des comptes… quand aux autres, soit ils guérissent encore dans le silence, soit ils n’osent pas encore parler.
      Choisir son camp…. Savez vous ce que cela implique ?
      C’est juste la mort assurée… Tant devant Staline, que devant Roosevelt.

      • Des fois on se dit qu’on a de la chance d’être Français….
        Même si rien n’est parfait…
        Au moins on peut parler…
        sans risquer de crever brulé ou gelé,
        du moins, j’ose l’espérer
        et puis un Français ne se laisse pas museler
        (pour mediapart une pensée)

  3. Bonjour.

    De bonnes idées dans cet article mais déjà en premier lieu, ne faut’ il faut pas d’abord s’émanciper de la tutelle des autres grandes puissances dont les USA (On voit bien que ce pays regarde d’abord ses propres intérêts, nous sommes ses larbins.) en finalisant la construction européenne avec les fonctions régaliennes qu’elle exercera pour notre sécurité ?

    Pour arriver à le faire, nous devons faire du dégagisme au niveau de la gouvernance européenne, ils sont tous inféodés aux USA , ils jouent tous un double jeu.
    Combien de ces soi-disant responsables ont des comptes bien alimentés dans des paradis fiscaux ?

    Que se passera-t-il pour cette Europe désunie si un nouveau TRUMP arrive au pouvoir dans 2 ans ?

    Quant aux formations politiques, socialiste ou autres, c’est « bonnet blanc et blanc bonnet », je ne peux pas leur faire confiance, que ce soit sur le plan social et écologique, trop d’incohérence, manque de réalisme, l’humain est toujours absent, pas de véritable programme ambitieux et pragmatique qui doit s’étaler sur le long terme avec des étapes clés.

    Oui de bonnes suggestions mais le cadre n’y est pas.

  4. « Capitalisme ou communisme au fond, il n’y a aucune différence. » (MP). Cela vérifie la formule d’O.Wilde : « La démocratie c’est le matraquage du peuple par le peuple (les urnes) au nom du peuple » C’est toujours le parti qui prend le pouvoir qui, au nom du peuple, le confisque pour lui seul, en use et abuse de toutes ses prérogatives: corruption… !
    C’est toujours pour le bien du peuple, cet argument « démocratique », qu’on lui serre la vis et c’est là que les pouvoirs marchent sur le fil du rasoir : jusqu’où peut-on pousser le bouchon? Car si le peuple est pris dans cette tenaille perverse du en même temps « démocratique », ses dirigeants le sont aussi et cette contradiction peut leur être retournée. Il y a un moment où l’écart entre le réel et le discours, l’affabulation, devient trop grand et révèle le mensonge, la contradiction !
    Le peuple n’est jamais là où on l’attend. Le rêve de son contrôle absolu est aussi bien capitaliste que communiste. Qui voyait venir les GJ (Gilets jaunes): les sondages, les cabinets de conseil, les « journalistes », les partis, les syndicats ? On part du prix de l’essence et on en arrive à la remise en cause de tout le système, aux malaises et aux aspirations plus profondes. Pareil en Tunisie, en Algérie, en Égypte…Pareil en Iran, on part du foulard à la remise en question du régime…
    Pareil en Chine, ce que l’on croyait impossible avec la police du parti et le QR code du crédit social. On croyait les chinois matés, résignés , gâtés par le consumérisme, et les voilà qui passent du refus du confinement à la critique du pouvoir, au constat que le plus grand bien, sans prix, est la liberté, soutenus chez nous par ceux-là même qui hier traitaient de « complotistes » ceux qui disaient que le confinement était une atteinte aux libertés, confinement dont le bilan réel n’a pas encore été fait ! L’art d’un banquier est de savoir utiliser les opportunités à son profit …

    • Bonjour Zorro.

      Je suis d’accord avec votre commentaire mais si nous voulons évoluer, il faudra d’abord agir à notre niveau..

      Je pense que nos commentaire à tous doivent être un peu plus terre à terre, nous connaissons tous les étapes à franchir, pourquoi ne sont-elles pas systématiquement évoqués, le reste est un incessant « bla bla bla ».

      Dans les articles et dans beaucoup de commentaires, on ne cessent de se répéter, avec des thèmes différents mais dont la finalité est toujours la même, on avance pas ?

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